ASM (A State of Mind) – Masking

 Une chanson = Une histoire
 

Vous connaissez désormais le principe de cette nouvelle série d'articles parue sur notre webzine.

Les artistes ont accepté de partager avec vous le souvenir de l'une de leur création. Ce sont eux qui ont écrit les mots que vous allez lire. L'occasion pour La Grosse Radio Reggae de les remercier tant de leur gentillesse que de leur disponibilité.

Pour le webzine, il s'agit bien entendu de remettre le projecteur sur ces artistes et surtout vous faire partager l'histoire d'un morceau qui a peut-être compté pour vous ou tout du moins reste une référence. Ce que certains appellent un Big Tune !

Rendez-vous a donc été pris avec Adam Fade Simmons, le Dj qui soutien les lyrics de ses deux MCs, Green T et FP.  C'est Green T qui a écrit la réponse que vous allez découvrir.

Vous allez connaitre la longue histoire de leur collaboration avec MF DOOM pour la chanson "Masking". 


Il est temps pour vous d'affronter le DOOM !

Sur le dernier album d'ASM, The Jade Amulet, dont La Grosse Radio Reggae vous avez fait partager sa chronique (ici), les trois artistes ont eu le plaisir exquis de présenter le méchant masqué : MF DOOM. Il y joue le rôle d'un roi tyrannique, Dumile, sur la piste "Masking".
Cette connection représente, pour les membres du groupe ASM, l'équivalent hip-hop de ce que pourrait être une victoire lors de la ligue des champions en football.
En effet, le trio s'interrogeait beaucoup sur la façon d'obtenir ce featuring car DOOM est notoirement connu pour son aspect mystérieux et insaisissable. Seules des personnes comme Madlib, Flying Lotus, ou Thom Yorke ont pu réaliser des pistes avec DOOM.

Il est important de préciser que les trois compères Fade, FP et Green T sont des fans obsessionnels de DOOM depuis leurs tous premiers pas dans le bac à sable du hip-hop.
Ses jeux de mots, la mise en place de personnages dans ses textes et leurs perspectives uniques, la sophistication générale de l'écriture a pour eux quelque chose d'inégalée chez DOOM. C'était l'époque durant laquelle DOOM a sorti Opération Doomsday en 1999 et tout le long processus qui l'a conduit à rejeter l'industrie du disque avec la sulfureuse tentation de succomber dans le côté obscure du Rap.

On ressent parfois ce phénomène qui peut vous envahir concernant le travail d'un artiste, qu'il soit musicien ou auteur, au point où vous vous sentez comme si vous le connaissiez personnellement.
Cela a été le cas pour le crew d'ASM avec l'artiste DOOM pendant une bonne dizaine d'années. Il était leur John Lennon ou Kurt Cobain. A ce propos, on pourrait utliser une citation de DOOM qui illustrerait cet état d'esprit. Ce serait comme avoir besoin d'une dose de médicament contre la toux :


“Elixir for the dry throat,
tried to hit the high note,
villain since an itsy bitsy zygote.”

Il était le compagnon constant qu'ASM n'avait jamais rencontré physiquement. Un ami imaginaire et le membre caché de l'équipage, permettant d'améliorer l'écriture à chaque fois, simplement par la vertue d'avoir intégrer son style "off-kilter" ainsi que les structures orales et l'utilisation d'un vocabulaire inconscient. 

ASM

DOOM est un artiste notoirement connu pour être en retard à ses propres spectacles, et ASM avait entendu des rumeurs innombrables à son sujet. Alors, quelle suprise quand, lors d'un festival à Marseille, après avoir terminé leur soundcheck vers 16 heures, ils ont vu apparaitre dans les coulisses, DOOM, parfaitement ponctuel, quelques heures avant son spectacle prévu plus tard dans la soirée.

Les membres d'ASM ont immédiatement reconnu ses postures, son langage corporel et ont très vite imaginé son rôle dans leur projet The Jade Amulet. Dès qu'il ouvrit la bouche, le timbre grave de sa voix dissipa toute incertitude persistante. Il serait le méchant masqué du projet ! 

DOOM était super amical durant cet après-midi et sa personnalité correspondait parfaitement à la personnalité conviviale du groupe. Ils ont bavardé pendant un moment, buvant de la bière et obtenant de belles images prises par leur ami Boby, le photographe officiel du festival. De plus, lors de cette première rencontre, DOOM les a accompagné dans la mise en place du show. Il contôla le son, donna des accessoires et participa à d'autres ajustements... .

Mais, le mystère DOOM éclata quelques heures après cet acte. Environ 20 minutes avant le départ de son spectacle, le méchant est soudainement banni de sa salle de backstage, masque, bouteille de Henny à la main, il disparaît dans la nuit. Evaporé. Il revient finalement près d'une heure après que son set eut été supposé avoir commencé, et, la foule, l'organisation du festival, et d'autres artistes dont les intervalles de temps étaient maintenant affectés, étaient tous prévisiblement vexés.

Classique pour un méchant ou choix délibéré de cultiver le mystère ?

Simplement la juxtaposition du caractère d'un oncle chaleureux, affable, hilarant, avec lequel ASM avait passé l'après-midi, d'une part, et la barrique emplit de cognac-swilling shyster qui est délibérément en retard seulement parce que... c'est un Bad-Boy ! L'essence et la beauté du caractère de DOOM.

ASM

Quelques mois plus tard, le groupe ASM a commencé à travailler sur The Jade Amulet. Un album énorme sous la forme d'une odyssée située dans un ancien royaume mythique. Opus complété par des artistes en vedette jouant des personnages dans un récit épique. La plupart des rôles ont été écrits pour les potes, ces amis de longue date et ces collaborateurs que le crew avait déjà à l'esprit pour certaines parties. On pourra nommer- Lili du groupe Deluxe interprétant Zenobia, la prêtresse voodoo Zany, l'oracle jazzy-éthérique Astrid Engberg, le grand frère Mattic comme Rongon le Conquérant, principal antagoniste et guerrier démoniaque brandissant l'épée... .

Puis il y avait le rôle du roi tyrannique. Cette partie a été écrite pour DOOM et, honnêtement, les trois artistes n'avaient même pas de plan de sauvegarde en cas de refus. Artistiquement, c'était le moment où l'orchestration et l'agencement de cet album ont été fortement inspirés par les compositions cinématographiques de David Axelrod, Ennio Morricone. Des couches sans fin de cuivres et de violoncelles enregistrés dans un sous-sol tapissé, des sitars, des tangentes de jazz psychédéliques. Cette tapisserie sonore, plus l'angle conceptuel de l'écriture du point de vue des personnages dans une histoire, a donné l'audace d'approcher le méchant DOOM.

L'accroche était fondamentalement simple :

"Yo, Tu te rappelles du festival sur Marseille ?
Voici une piste pour toi et voici le concept ..."

ASM a alors pensé qu'il y avait autant de chance qu'il l'aime ou qu'il déteste. Aucune réponse.

ASM

Green T était à la maison, dans son appartement de Paris, quand il reçut l'appel d'un numéro inconnu du Royaume-Uni.

“DOOM’s camp. MF DOOM…” 
 

Il s'est alors envolé de son canapé comme impacté par une piqûre de frelon. Apparemment, DOOM aimait le concept, aimait la piste. Validation ultime. Green T n'en revenait pas ! Ils ont proposé un prix, ce qui était raisonnable. L'équipe de DOOM voulait la moitié de l'argent à l'avance. ASM n'a pas hésité. C'était maintenant ou jamais. Des contrats ont été signés, l'argent a changé de mains, est arrivée une longue période d'obscurité. Insoutenable, étouffante, The DOOM purgatoire.

En attendant, tout le mécanisme promotionnel autour de l'album commençait à prendre de l'élan. Les partenaires des médias ont été contactés, les dates de sortie ont été fixées, tous les enregistrements ont été essentiellement mis en place... et le manager commençait à perdre patience avec ce personnage de DOOM. Le contact avec l'équipe de DOOM avait cessé de répondre aux e-mails.
Puis, ASM est allé à un spectacle de DOOM sur Paris pour essayer de le renouer directement. Cette nuit-là s'est terminée part un after-party avec le DOOM's batteur de l'époque. Lui racontant l'histoire de l'engagement qui avait été pris par l'artiste. Rires :

"Ah ! Bonne chance avec ça ! "

Le batteur leur a raconté une histoire sur un autre artiste, un avec beaucoup plus de contacts et de liens, qui attendait toujours "Le méchant" pour un autre partenariat payé il y avait plus d'un an.

Ce n'est pas ce que les membres d'ASM voulaient entendre. Ils ont commencé à penser que ce featuring ne pourrait jamais se matérialiser. DOOM était semi-nomade, interdit aux États-Unis sans visa d'entrée en raison d'un passeport britannique, une histoire juridique et un manque de carte verte, malgré avoir vécu toute sa vie aux États-Unis. Cela le rendait encore plus difficile à fixer. Il y avait des rumeurs selon lesquelles il se trouvait à East London, dans les Caraïbes ou en Afrique quelque part. Impossible de l'amener au studio, impossible d'entrer en contact avec aucun de ses agents et le tic-tac agonisant de l'horloge.

ASM

Un jour, comme une vraie histoire de bandit, Green T reçoit un appel. DOOM s'est enfermé dans un hôtel avec une bouteille de cognac et un sac de mauvaises herbes, et il veut écrire. Immédiatement.

Serait-ce intéressant de ré-envoyer la piste et les prises de notes sur l'histoire ?

Oui ! Il a wetransferé une nouvelle fois le projet, ce qui devait être la troisième ou la quatrième fois. Ensuite, le silence de la mort à nouveau. Enfin, un ange s'est posé sur l'étoile d'ASM en la personne de la femme de DOOM, Jas, seulement quelques jours avant que le groupe parte pour le mixage de l'album.

Comme la chose la plus normale du monde, il était là ! Dans la boite mail de réception, le message le plus important de toute sa vie ! Clignement d'yeux incrédules à travers la brume matinale de la mauvaise herbe. Le Wetransfer de Jas Dumile.

Putain de merde ! C'est ça !

Un moment que Green T peut classer comme l'un des moments les plus glorieux de sa vie, perché tout là-haut avec son premier voyage sous acide ou jouer pour la première fois devant une foule de 5000 personnes.

Il a écouté le fichier au moins cinq fois avant d'appeler Fade et FP. En voici la retranscription téléphonique :

"- J'ai le couplet de DOOM ! 
- Tais-toi ! 
 -Je jure sur ma putain de vie, je l'ai.
- Oh mon dieu, est-ce que c'est correct comme son ?"
 - Mec, c'est le feu. C'est parfait !
- AAAAAAAHHHHHHH" !

 

C'était la première et la seule fois où Green T s'est fait une bosse de cocaïne seul dans sa vie. Un véritable esprit de damné.

Le couplet n'aurait pas été mieux dans la façon dont il a intégré son personnage avec le ton de l'histoire, la façon dont il a servi l'arc narratif exactement comme ASM l'avait imaginé. DOOM avait vraiment pris le temps de lire les lignes directrices du projet et trouver son rôle ainsi que la fonction de son personnage. Il les a cloués.

Ils ont alors fait une vidéo animée pour cette piste. ASM a sorti l'album. DOOM a posté la vidéo sur ses plates-formes. Okayplayer a publié sur son réseau, Rolling Stone a également fait paraitre un article.

"Nous avons fait une putain de piste avec DOOM ! et quelle histoire" !

ASM (A State of Mind) - "Masking" feat. MF DOOM as King Dumile

ASM



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