"Pour moi le sens de la vie est de faire le plus de bien possible avec les dons que l’on possède"
Cela fait un moment que l’on suit Nattali Rize et son actualité. Vous commencez à la connaître et vous avez surement déjà écouté son nouvel album Rebel Frequency (si ce n'est pas le cas, précipitez vous).
Actuellement en tournée en France et en Europe, nous l’avons rencontrée après son concert en première partie de Yaniss Odua à l’Aeronef de Lille.
C’était une belle semaine de reggae à l’Aeronef puisque 2 jours avant c’était les mythiques Inna Di Yard qui étaient sur scène et 2 jours après la conférence de Thibault Ehrengardt sur le reggae et la politique dans les années 1970 en Jamaïque, autant dire qu’on s’est régalé !
Nous avons donc retrouvé Nattali Rize après un super concert. Le public était plutôt venu pour Yaniss Odua et arborait déjà les drapeaux rouge jaune vert. Mais après un petit temps d’adaptation, tout le monde a été séduit par l’énergie scénique de Nattali Rize, ses musiciens et ses messages forts. Elle est même allée jusqu’à lire un très beau texte en français plein d’humanisme et prônant le respect pour toutes et tous. Un message qui résonne d’autant plus fort dans le nord quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle.
Nattali Rize nous a accordé du temps pour répondre à nos questions en toute humilité et gentillesse, mais tout en portant haut et fort une philosophie de vie basé sur le respect, la solidarité internationale et son combat pour faire vivre ces valeurs à travers le monde. Un grand merci à elle pour ce moment de discussion et de très belle réfléxion, à l’image de sa musique et de sa personne.
NB : L’entretien effectué en anglais a fait ressortir des mots très forts qu’il est parfois difficile de traduire en français, vous trouverez donc parfois la phrase originale entre parenthèse et entre guillemets.
- Bonjour Nattali Rize et merci d’accorder quelques minutes à la Grosse Radio. Nous sommes très fiers d’être partenaires de ton 1er album Rebel Frequency. Je pense que tu dois être assez fatiguée après ton concert et une semaine assez éprouvante (elle était la veille à Paris et repartait le soir même pour Bourges).
- Oui c’est vrai mais nous avons reçu beaucoup d’énergie de la part du public donc ça va nous sommes très contents (elle rit).
- Première question : comment te sens tu après ton concert à l’Aeronef de Lille ?
- Très bien. C’est la première fois que nous nous produisions ici à Lille. C’était une très bonne chose de venir ici avec Yaniss Odua qui est un grand artiste avec de nombreux fans. Je pense que beaucoup de gens ce soir nous voyaient pour la première fois. C’est appréciable pour nous car cela veut dire que notre musique atteint de nouvelles oreilles et c’est une bonne opportunité pour nous de rencontrer de nouvelles personnes et de construire quelque chose avec eux.
- Peux tu nous parler un peu du groupe qui t’accompagne ? On sent une formidable énergie sur scène de la part de l’ensemble des musiciens et une vraie complicité. Comment les as-tu rencontrés et comment travailles-tu avec eux ?
- En fait le projet Nattali Rize est véritablement né avec l’ensemble du groupe. A l’origine, j’ai connu une partie du groupe en Australie. Ils tournaient à ce moment-là avec Jimmy Cliff. Ensuite lorsque j’ai déménagé en Jamaïque en 2014, je travaillais avec un producteur local appelé Notis qui m’a fait rencontrer toute sa communauté musicale. Ces musiciens faisaient partie de cette communauté donc quand le temps est venu de démarrer ce projet, cela s’est fait naturellement car nous vivions déjà ensemble et nous "jammions" ensemble. Le groupe que nous avons formé pour la scène s’est créé il y a 15 mois environ pour notre premier show en Australie. Nous n’avons pas arrêté de tourner depuis.
Pour nous cela devient de plus en plus fort et c’est vraiment super de pouvoir venir en Europe et de développer notre musique avec notre label Baco Records basé en France. Il s’occupe vraiment très bien de nous à travers l’Europe.
On est très content et l’énergie qu’on peut avoir sur scène est vraiment quelque chose de collectif avec les musiciens mais cela inclut également le public. Nous aimons co-créer cette expérience du live et nous ne pourrions jamais le faire sans le public. Tout le monde participe à cette ambiance quand nous sommes sur scène.
- Effectivement nous l’avons bien ressenti dans le public, tu nous avez demandé de taper des mains, de chanter, de crier donc on ressent vraiment cette énergie collective qui se répand. Vous partagez des messages très forts, d’ailleurs merci pour la traduction de votre texte en français avec des mots touchants et sincères, c’était très émouvant. Comment définiriez-vous votre musique ? Est-ce un acte politique lorsque vous chantez ?
- Non pas vraiment. Je dirai plutôt de la musique consciente ("conscious music") parce que nous considérons que la musique peut être un moyen très puissant pour créer des chemins vers un niveau de conscience supérieur ("higher consciousness"). Quand les gens sont créatifs, qu’ils font de la musique, de l’art ou tout autre moyen d’expression, lorsqu’ils se concentrent sur ce qu’ils ont de meilleur en eux ("higherself"), c’est cela qu’il faut appeler "vivre".
Je pense que c’est ce que tout le monde devrait faire plus souvent pour maintenir cette connexion avec son moi supérieur ("higherself"). Mais ce n’est pas facile dans ce système dans lequel nous vivons avec la politique, les gouvernements, les inégalités, le racisme, les discriminations... Tout cela est construit de manière inhérente à la création de notre société ("fabric of society"). Cela crée une certaine mentalité et ce que nous faisons dans notre musique, dans notre art, dans la peinture, la danse, c’est d’essayer de rompre avec cette mentalité et d’aider les gens à le faire.
Nous devons tous nous rappeler que nous sommes des êtres en mouvement, nous évoluons tous dans nos consciences et nous sommes tous égaux et capables de tellement mieux que ce que le système voudrait nous faire croire. Nous voulons être capables de vivre et d’aimer sans aucune limite. On nous dit que le ciel est la limite (expression anglaise, "the sky is the limit"), je ne sais pas si vous dites ça en France, mais le ciel n’est pas la limite, ce n’est que le commencement !
Donc on essaie de garder espoir en sachant cela et d’aider la communauté internationale ("our international family") à garder ces idées en tête.
- Est-ce pour ces raisons que tu as de multiples talents : l’écriture, le chant, la guitare, la percussion, la composition ?
- Toutes ces choses font partie de mon expression naturelle ("natural expression"). Ce sont des choses que j’ai en moi et qui gravitent autour. Il est très important d’être à l’écoute de ses capacités et de les cultiver dans un sens positif qui serve l’humanité et la planète entière, notre famille, les êtres humains. Pour moi le sens de la vie est de faire le plus de bien possible avec les dons que l’on possède ("the meaning of life is simply do the greatest good with the gifts you have). Donc quelque soient tes talents, que tu sois écrivain, journaliste, chanteur, pharmacien… avec les bonnes intentions tu peux faire le bien autour de toi, pour tout le monde et toute chose.
Parlons de ton nouvel album Rebel Frequency ? Ton ep précédent s’appelait New Era Frequency, peux-tu nous expliquer ces titres et ce que représente le terme "fréquence" pour toi ?
- Bien sur ! Le terme "fréquence" est très important car pour moi, dans un monde en trois dimensions, toute matière, chaque atome, se désintègre ("break down") sous forme d’ondes ("waveling" = ondulations). Si on regarde dans l’infiniment petit, il s’agit d’une vibration donc d’une fréquence. Cela signifie que toi et moi, on est fait de ces vibrations, de ces fréquences, donc qu’on entre littéralement en résonance les uns avec les autres. Quand tu rencontres quelqu’un que tu aimes, tu entres en résonance avec lui, même si ces choses sont silencieuses.
Avec notre musique nous voulons créer de nouvelles fréquences. Et nous mettons des intentions dans ces fréquences. Nous mettons des intentions dans nos mots. Dans chaque grattement de guitare, chaque beat, chaque riff que nous créons, nous avons un objectif. Nous voulons la liberté totale, ici à notre époque. Donc la "Rebel Frequency", c’est quand nous mettons ces intentions dans nos mots pour parler de nouvelles manières de vivre et d’aimer, en dehors du paradigme de pensée actuel si étroit.
C’est considéré comme de la rébellion, mais il est temps de devenir rebelle contre ce système oppressif et étriqué ! C’est vraiment quelque chose de positif. Donc c’est de cela qu’il s’agit quand nous parlons de "Rebel Frequency" ou "New Era Frequency" car nous créons une nouvelle ère.
Les peuples qui s’éveillent commencent à peine à réaliser à quel point le système mondial est oppressif et restrictif. Et à partir de là ils commencent à se dire qu’un autre monde est possible, que les êtres humains sont capables de beaucoup mieux que ce qu’on nous fait croire.
Dans ton album Rebel Frequency tu fais un pont entre des chansons très roots et une musique moderne avec des beats et des sons plus électroniques. Comment fais-tu ce lien entre deux mondes musicaux à travers tes créations ?
Forcément nous sommes très inspirés par tout ce qui a été fait avant nous, les fondations du reggae. Nous adorons le reggae roots, toutes les légendes : Bob Marley, Peter Tosh, Burning Spear… Leur musique est très importante encore aujourd’hui. Mais nous vivons aussi dans une nouvelle ère technologique et nous avons accès à différents instruments et différents sons que nous aimons explorer. Je pense que nous essayons toujours de créer quelque chose de nouveau avec toutes les influences que nous pouvons avoir.
Certains titres de l’album sonnent plus roots comme "Natty Rides Again" mais même dans ces titres là nous y avons mis une grosse basse et un gros kick (son de batterie). Cela vient sans doute aussi de mes influences hip-hop. C’est ce mélange avec des ajouts de dance music ou même de dubstep qui nous connecte. En fait nous aimons la basse et le beat ! Avec de puissantes fondations qui sont encore fortes, nous développons notre musique et évoluons. Donc certains titres de l’album rendent très bien compte de ces affinités, il y a d’autres titres plus roots et une chanson où ce n’est que moi et ma guitare.
Nous voyons l’album lui-même comme un projet très cohérent car tous ces éléments différents viennent se compléter les uns les autres. C’est le fruit de notre relation depuis quelques années et c’est aussi très représentatif de nos concerts live. Nous sommes très heureux de pouvoir partager ce travail aujourd’hui auprès du plus grand monde possible.
Il y avait cette semaine à l’Aeronef le concert d’Inna di Yard avec des légendes du reggae comme Cedric Myton, Kiddus I, Winston McAnuff mais aussi des artistes de la nouvelle génération. On parle beaucoup aujourd’hui de reggae revival à un moment charnière où il y aura malheureusement de moins en moins de témoins de la création du reggae. Selon toi comment perpétuer cet héritage du reggae à travers les jeunes générations sans les lumières des fondateurs ?
Oui évidemment comme je le disais, tout ce qui a été fait avant nous a une grande influence sur tous les musiciens reggae à travers le monde. Et c’est ce qui est passionnant avec le reggae. Il vient d’une toute petite île appelé la Jamaïque et il a eu un énorme impact dans le monde entier. Il y a du reggae partout. Sur toutes les îles, dans les coins les plus reculés, s’il devait y avoir un seul type de musique, ce serait le reggae et non la musique traditionnelle du pays. C’est un style très puissant qui a baigné mon enfance et a grandi avec moi. C’était la musique de mon enfance : Jimmy Cliff, Judy Mowatt mais aussi d’autres styles de musique comme Santana, Led Zeppelin ou même le hip hop qui se ressent beaucoup dans ma musique.
Comment as-tu choisi les artistes qui ont collaboré sur ton album : Jah 9, Raging Fyah, Dre Island… ?
En fait j’ai passé beaucoup de temps à Kingston ces dernières années. Cela a été très inspirant de voir beaucoup d’autres excellents jeunes artistes conscients qui font de la musique incroyable et sont très talentueux. Ça été incroyable pour moi de faire partie de cette sorte de communauté. Quand nous avons écrit notre musique, la plupart des morceaux ont été écrits et enregistrés en Jamaïque à Kingston. En fait les chansons elle mêmes nous dictaient quel invité nous voulions avoir sur le morceau. Nous recherchions un certain timbre de voix, la bonne énergie et la bonne conscience pour une chanson en particulier et le contenu des paroles et le sujet de la chanson. Et finalement cela nous a guidés à la bonne personne.
Toutes ces collaborations se sont faites comme ça et pour la plupart c’était la première fois que nous travaillions avec ces artistes. C’est toujours agréable de partager et ces collaborations sont les bases de notre futur car nous devons toujours collaborer dans la vie, à tous les niveaux et grandir ensemble.
Tu parlais tout à l’heure du fait que les citoyens doivent se prendre en main pour répandre le bien autour d’eux. Tu sais peut être que nous avons une élection présidentielle ce dimanche donc on parle beaucoup en ce moment de différentes visions du monde qui s’affrontent. En tant que présidente de la France, quelle serait ta vision du monde ?
(elle rit et chante "If I were president") Jamais je ne pourrais être présidente dans un système comme celui-là. Jamais je ne voudrais être un politicien. Je ne serai jamais un rat dans cette course de rat ("a rat inna di rat-race"). Seul un rat peut gagner cette course, sans vouloir vexer les rats ("no offense to rats"). Mais la nature même de ce système est inégale, corrompue, guidée par les intérêts financiers, basée sur l’argent, sur le pouvoir d’une minorité qui pousse la majorité à se battre, sexiste, discriminatoire… Nous pouvons faire bien mieux que cela !
Je déconstruirai tout ça ("I would dismantle that"). Je laisserai les citoyens s’associer, construire des communautés souveraines, se reconnecter avec eux-mêmes et avec les autres, réclamer le pouvoir de créer une vie qui les serve. On nous dit beaucoup trop souvent ce qu’on doit faire ou ne pas faire et comment nous devons le faire. Alors que quand tu cherches la vérité c’est un voyage sans fin. Et tu dois chercher cette vérité par toi-même. Et plus tu iras loin et plus tu sauras où tu dois aller.
Ce chemin, nous devons tous l’emprunter d’abord à l’intérieur avant de le parcourir à l’extérieur. C’est pour cela que nous disons que la vraie révolution est l’évolution de notre conscience et de notre esprit (référence à un titre de l’album "the revolution is the evolution"). Car ce n’est qu’au moment où l’on crée cette conscience dans notre monde intérieur ("inner world") que nous pouvons la projeter dans le monde extérieur ("outer world"). Et c’est comme cela que nous pouvons le manifester.
Chaque conversation, chaque rencontre, est une nouvelle opportunité d’apporter cette nouvelle réalité dans notre existence. Nous essayons du mieux possible de ne pas gaspiller ces opportunités. Ayez conscience que nous sommes tous puissants dans nos paroles et nos agissements. Et se rendre aux urnes tous les 5 ans pour élire une nouvelle version de la même merde ("same old shit"), est-ce tout ce dont nous sommes capables ? Alors c’est tout ce que nous obtiendrons : the same old shit.
La vérité c’est que nous sommes capables de beaucoup mieux que ça et les gens commencent à le réaliser et à s’en souvenir. Donc nous sommes ici pour le leur rappeler.
Deux dernières petites questions pour vous : vous entamez une tournée en Europe pour les prochains mois, vous sortez un nouvel album, quelle est la prochaine étape, que pouvons-nous vous souhaiter pour la suite ?
Pour nous ? Dans notre musique ou dans notre parcours ("in our journey") ? Pour l’instant nous avons vraiment l’impression de construire quelque chose avec ce groupe. Nous tournons depuis 15 mois et nous adorons tourner ensemble et faire de la musique donc nous souhaiterions pouvoir continuer à être présent et rendre visite à notre famille internationale ("global family") dans tous les pays où nous sommes appelés à jouer. Nous voudrions rencontrer de nouveaux artistes, collaborer avec eux, travailler aussi avec d’autres types d’artistes, faire différents "art work" pour notre musique et nos chansons, toutes ces choses créatives. Nous adorons aussi entendre parler d’histoires de soulèvements ("uprising"), l’histoire des gens, des histoires vraies, donc nous sommes à l’écoute.
Nous travaillons dur, tous les jours, nous voyageons beaucoup mais nous sommes super concentrés sur ce que nous faisons, pour maintenir et prolonger cette vision, cette mission qui au final est de se rassembler nous-mêmes et notre famille, notre peuple, pour une liberté totale ("full freedom").
Merci beaucoup pour cet entretien. Avez-vous quelques mots pour les lecteurs de la Grosse Radio ?
J’espère pouvoir vous voir bientôt en chair et en os, en concert pour de vrai dans les prochains mois ou années. Nous serons de retour cet été. Vous pouvez nous suivre sur facebook, instagram, twitter.
Stay connected et we soon linked up !
Merci à Nattali Rize pour son accueil et cette discussion très enrichissante, à Gwen de Baco Records, à Daniele de l’Aeronef et à Sarah d’avoir permis cette interview.
N’hésitez pas à suivre Nattali Rize et surtout allez la voir en concert, vous ne serez pas déçu !