Il était un des pionniers du reggae digital.
Wayne Smith aka Sleng Teng commence sa carrière dans les années 70 aux côtés de Prince Jammy qui produit dix tunes sur son premier album Youthman Skanking (1982), enregistré et mixé chez King Tubby et Channel One.
En 1984, il apparaît sur le Showdown Volume 7, série mettant en avant les artistes naissants, ce qui engendra une collection de titres. Sa célébrité est confortée.
Cette même année avec le cousin de Jammy, il ralentit un peu le tempo du "Something Else" d'Eddie Cochrane pour donner vie au révolutionnaire "Sleng Teng".
L'album du même nom sorti en 1985 a été le précurseur du genre à être enregistré sans musiciens et entièrement programmé par ordinateur, d'où provient le terme digital.
Décidément cette année est productive avec les sorties du très roots Smoker Super et Wicked Ina Dancehall, moins bon mais de qualité aussi.
Puis bizzarrement aucun album ne sortira plus, juste quelques singles pour ne pas sombrer dans l'oubli comme "Morning News" ou "My God, My Savor" en 2000.
En 2004, il s'installe en France où il pose ses dubplates. En 2014 il était programmé au Spring Reggae Fest organisé par Irie Ites au Mans.
Comme vous l'annoncions ici il ya quelques jours, le singer n'a pû honorer ce rendez-vous avec le public, emporté par la maladie au mois de Février 2014.
Le label Suisse Evidence Music a travaillé dur pour sortir cet album posthume qui aurait dû voir le jour cette même année sur son propre label Sleng Teng Records.
Mr Bossman sorti le 16 Juin dernier comporte douze pistes enregistrés entre 1983 et 1986.
Le premier morceau n'est autre que le titre éponyme de cet album. "Mr Bossman" possède une basse lourde bien dans le style des Roots Radics qui l'accompagnaient sur pas mal de titres.
C'est le premier extrait clippé il y a quelques semaines que nous vous présentions ici-même, et dans lequel son fils Tibel incarne un jeune musicien bien décidé à produire son propre disque. Mais la production coûte cher et il n'a d'autres choix que de revendre son stock de disques au big boss.
Wayne Smith - "Mr Bossman" [ Evidence Music ]
Avec le titre suivant "Rain Rain", le singer jamaïcain nous confie un peu ses états d'âme, sous forme d'une histoire d'amour. Mais malheureusement elle se finit mal, et il compare la pluie qui tombe ardemment à un flot de larmes incessant qui rougissent ses yeux.
"Uncle Sam" est un titre datant de 1983 au rythme légèrement plus enlevé avec un flow plus rub a dub, comprend des passages classiques avec le duo basse batterie.
Vous l'aurez sans doute compris, celle-ci dénonce et fustige le système colonial américain et sa trop grande suprématie, le tout sur fond d'oppression.
"Long Live Your Love" est une chanson qui parle de l'amour virtuel mais qui malgré tout lui donnait de la force dans ses périodes creuses où le soutien fait toujours du bien.
Le thème est d'actualité avec l'apparition des réseaux sociaux et autres sites de rencontres où les relations se créent à distance.
Autre titre qui sent le vécu. A travers "Cold Wind", il nous emmène au coeur de sa solitude. Lui le pionnier a dû lutter contre ce vent mauvais qui plonge trop vite les gens dans l'oubli.
Une carrière musicale peut vous emmener très haut, mais un beau jour on ne fait plus appel à vos services et l'esprit se perd tant les questions affluent.
Le mensonge est abordé dans le titre suivant. "Liar" condamne ceci, sous toutes ses formes, surtout d'un point de vue affectif.
On peut y ressentir une forme de déception, une pointe d'amertume liée au sentiment humain qu'est la colère, mêlée à une certaine forme de dégoût.
Avec "Bushmaster", il aborde le lourd thème des armes à feu, déjà trop en vogue selon lui et il n'avait pas foncièrement tort, les ravages étaient déjà grands au début des années 80 aux quatre coins du globe, et les marchands d'armes se frottent encore aujourd'hui les mains en toute impunité.
Pour la petite histoire, sachez que le titre de cette chanson est aussi le nom d'une firme américaine créée en 1973 qui fabrique des armes à feu "nouvelle génération".
"One Life One Love" est un titre personnel qui traite aussi bien de l'amour que l'on porte à son frère, qu'à l'amitié que l'on peut nouer avec des gens vrais et sincères.
On reste dans le même thème sous une forme que l'on pourrait qualifier de torride. Au jour d'aujourd'hui et avec les possibilités qu'offrent les nouvelles tendances, "Jump Ina Mi Bed" figurerait en bonne place sur un opus en version dancehall fever.
"Teach Me To Dance" est un titre qui respire le digital et sur lequel on sent bien l'influence des premières expérimentations sonores. Bien sur les moyens technologiques n'étaient pas les mêmes quà l'heure actuelle, et c'est là que le précurseur du genre exprime tout son talent.
"Skull Bore" conclut cet album. On pourrait le traduire par alésage du cerveau ou tout simplement formatage. On nous donne des tonnes d'infos auxquelles il faudrait croire.
Une lobotomie perpétuelle que seul l'esprit bienveillant peut combattre.
Un bien beau projet pour un très bel hommage au personnage et à sa musique.
Sleng Teng était un précurseur, un créateur. Il a quitté ce monde trop tôt à l'âge de 49 ans.
Tracklist:
1 - Mr Bossman
2 - Rain Rain
3 - Uncle Sam
4 - Long Live Your Love
5 - Cold Wind
6 - Liar
7 - Bushmaster
8 - One Life One Love
9 - Jump Ina My Bed
10 - Lover Play
11 - Teach Me To Dance
12 - Skull Bore