Depuis des décennies, l'île de la Jamaïque regorge de talents, je ne vous apprends rien. Plusieurs figures emblématiques du reggae et quelques jeunes pousses se sont rassemblées sur la terrasse d'une maison à Kingston pour nous offrir la quintessence de leurs cultures musicales, enregistrant un album original, un acoustique à ciel ouvert en seulement quatre jours.
Il faut revenir un peu en arrière pour mieux connaître les racines de cette histoire. En 2004, le label français Makasound ayant fondé par la suite Chapter Two, avait publié une série d'enregistrements dans l'arrière-cour du guitariste Earl "Chinna" Smith.
Le concept Inna De Yard a ainsi vu le jour.
En 2017, la Philarmonie de Paris a décidé de consacrer une expo sur la Jamaïque débutée au mois d'Avril. C'est donc tout naturellement et spontanément qu'ils firent appel à Chapter Two et Inna De Yard pour faire revivre la plus savoureuse des expériences musicales.
Sur ce nouveau concept sorti le 10 Mars dernier intitulé The Soul Of Jamaïca comprenant treize pistes on retrouve quelques monuments comme Ken Boothe ou Cedric Myton et quelques talents naissants.
C'est avec joie qu'ils enregistrent cet album ensemble, avant de communiquer ce même plaisir avec vous dans les grands festivals estivaux.
Rentrons à présent dans l'intimité de ce disque. Nous savons que la voix est un élément important, surtout quand la parole est sacrée. Pour commencer ce projet, ce n'est pas une mais trois voix que l'on retrouve avec l'indétrônable trio vocal The Viceroys qui reprennent leur standard "Love Is The Key", datant de 1982 et présent sur l'album We Must Unite.
C'est accompagné des célèbres vocalistes que le crooner jamaïcain Ken Boothe fait sa première apparition sur ce projet avec une reprise du superbe "Let The Water Run Dry" datant de 1968 et figurant sur l'excellent Mister Rocksteady.
Un rocksteady acoustique que nous vous présentions ici en Janvier dernier.
Inna De Yard Feat. Ken Boothe - "Let The Water Dry"
Lloyd Parks est un vétéran, un chef d'orchestre hors pair et un bassiste de légende ayant accompagné les plus grands. Pour les besoins de cet album, il reprend avec une extrême légèreté un de ses plus grands tubes "Slaving" sorti en 1972.
C'est à coups de percussions saupoudrées de lignes cuivrées que la jeune garde prend possession de l'héritage. L'exemple nous est donné par Kush Mc Anuff, fils de Winston Mc Anuff et par ailleurs membre des Uprising Roots sur le titre puissant "Black To I Roots" présenté ici-même.
Si je vous dis que la légende qui vient sur le titre suivant est la voix falsetto de ce groupe mythique fondé en 1977 et auteur notamment du planétaire "Fisherman", vous reconnaîtrez aisément Cedric Myton, leader des Congos qui revisite ici l'emblématique "Youthman" de 1979.
Inna De Yard feat. Cedric Myton - "Youthman"
Un air d'authenticité flotte sur ce projet. Il y est question d'un état d'esprit, de l'histoire mais aussi de la Jamaïque d'aujourd'hui avec ce regard sur la réalité des ghettos de Kingston dans "Crime", interprétée par le jeune singer Var.
"You can't solve crime if the youth are hungry all the time".
Kiddus I fait partie de l'aventure, lui le rescapé de chez Makasound. Il est notamment connu pour être l'auteur de l'immense tune "Graduation In Zion", popularisée par le film Rockers datant de 1976.
Il nous étonne encore ici avec la reprise du titre "Jah Power, Jah Glory", sorti en 12" Inch en 2011.
Pour le titre suivant, on retrouve le grand Ken Boothe. Certains morceaux de base de la musique jamaïcaine ont le droit à une deuxième jeunesse. C'est le cas pour un de ces chefs-d'oeuvres qu'est "Artibella", la version ska d'origine datant de 1966 quand l'adaptation roots voit le jour en 1976.
Steve Newland est le membre fondateur du crew Jamaïcain Rootz Underground. C'est avec sa voix brisée aux accents soul qui rappelle celle des fils Marley qu'il se mêle au collectif avec le titre "Sign Of The Times".
Ce concept est une rencontre intergénérationnelle. Après son fils Kush sur le titre "Black To I Roots", c'est au tour de son père Winston Mc Anuff de se prêter au jeu avec sa pure voix roots reggae en reprenant son titre "Secret" datant de 2002, et son album Diary Of The Silent Years.
Notre musique est dans les gènes.
Derajah possède une voix envoûtante et profonde qui nous donne la chair de poule à chacune de ses apparitions. Ressenti par ses pairs comme la relève du roots rock reggae, il a tout naturellement sa place dans le collectif avec le titre "Stone".
On continue à nouveau avec Lloyd Parks qui, sur un nyanbighi puissant vient interpréter un de ses titres phares des années 70 intitulé "Money For Jam" dans un acoustique de toute beauté.
On ne les compte plus, tellement cet album en est riche.
Le dernier titre de ce petit bijou voit la participation d'un autre personnage influent dans la culture reggae. Artiste reconnu dans la petite île pour être un grand guitariste ayant oeuvré pour The Aggovators ou les Roots Radics.
Bo-Pee clôt la cérémonie avec le très nostalgique "Thanks & Praises".
"Plus qu'une musique, il s'agit de faire vivre un état d'esprit, alors qu'aujourd'hui, à Kingston, les jeunes musiciens et les stars du dancehall moderne s'isolent dans des cabines de studio aux équipements digitaux pour enregistrer leurs morceaux, Inna De Yard fait le pari inverse. La production mise sur la simplicité de l'orchestration, la chaleur du son acoustique, l'émotion brute des voix et l'énergie collective, ces instants précieux où la musique naît d'une communion entre musiciens, de façon organique et presque spirituelle".
Tracklist:
1 - Love Is The Key feat. The Viceroys
2 - Let The Water Run Dry feat. Ken Boothe
3 - Slaving feat. Lloyd Parks
4 - Black To I Roots feat. Kush Mc Anuff
5 - Youthman feat. Cedric Myton
6 - Crime feat. Var
7 - Jah Power, Jah Glory feat. Kiddus I
8 - Artibella feat. Ken Boothe
9 - Sign Of The Times feat. Steve Newland
10 - Secret feat. Winston Mc Anuff
11 - Stone feat. Derajah
12 - Money For Jam feat. Lloyd Parks
13 - Thanks & Praises feat. Bo-Pee