Après une édition 2016 radieuse dans tous les sens du terme (autant par l'omniprésence du soleil que par la qualité de la programmation), La Grosse Radio avait de nouveau rendez-vous aux Forges de Fraisans pour les cinq ans du No Logo Festival.
Cinq ans, ça se fête. Pour marquer le coup, plusieurs nouveautés ont été mises en place, également dans le but de satisfaire les attentes du public.
Premièrement, le dub corner a été complètement délocalisé vers l'entrée du festival et il a pu bénéficier par conséquent d'une très large autonomie, alors qu'il était auparavant subordonné aux impératifs et aux horaires de la scène principale. Le dub corner a ainsi tourné en continu pendant plusieurs heures tous les soirs, contrairement aux années précédentes où il ne pouvait diffuser que pendant les interplateaux.
Deuxièmement, conformément à sa devise "C'est vous qui décidez", le choix du groupe en ouverture du festival a été laissé aux spectateurs parmi un panel composé de sept artistes émergents.
Et enfin troisièmement, des améliorations notables ont été constatées au camping, puisque l'organisation a mis à disposition beaucoup plus de sanitaires, une demande faite depuis longtemps par les festivaliers.
Bref, le No Logo ne se moque pas de son public et ça fait plaisir. Le seul problème auquel nous aurons été confrontés durant ces trois jours de festivités aura été celui du son sur la scène, vraiment catastrophique pendant deux ou trois groupes, mais nous y reviendrons.
C'est donc I Woks Sound qui a été plébiscité par le public afin d'ouvrir cette cinquième édition du No Logo Festival. Nous en profitons pour mentionner les autres artistes en lice : Vanupié, LMK, Sonith, Marcus Gad, Patko et Sebastian Sturm qui auraient tout autant mérité de bénéficier de cette excellente exposition, mais les spectateurs du No Logo étant souverains, Jahrald et SK93 backés par Reggae Mylitis ont débuté les hostilités. Et en toute logique, les massives se sont déplacés en nombre pour accueillir LEUR groupe. Pour être tout à fait honnête, c'était la deuxième fois en une semaine que nous voyions I Woks Sound après leur show au Nomade Reggae Festival (le gros report ici) et le combo nous a offert un concert quelque peu différent, temps de passage oblige. Et même si leur set était plus court qu'à Frangy, I Woks Sound n'a pas fait preuve de minimalisme : les flows des MCs nous ont encore épatés et on s'est régalé avec "Enfants du Numérique" ou encore "Défi Kibaye" sur la terrible instru du "Tearz" du Wu-Tang Clan. Reggae Mylitis développe toujours autant un son propre et carré avec une mention spéciale pour le bassiste et le saxophoniste. Les fameux "Toi qui me juges" et "Une Seule Vie" retentiront à Fraisans à la plus grande joie des massives avant qu'I Woks Sound n'interprète un extrait de son futur album, "We Love This Story", et ne termine son set par un "Passe-Temps" énergique et sulfureux.
Les Skatalites ne sont bien évidemment plus à présenter, tant ils font partie de ces artistes qui ont installé et fait connaître la musique jamaïcaine dans le monde entier. Même si, à une exception près, aucun des membres fondateurs n'était présent au No Logo, le combo a fait résonner tout ce qui a contribué à leur légende. Ils ont enchaîné les classiques de chez classiques à la pelle, de toute façon, c'est ce que le public attendait afin de jumper sur les riddims des pionniers du ska, incontestablement à la source de tous ces groupes qui ont fait le succès des festivals il y a une quinzaine d'années (La Ruda, Marcel Et Son Orchestre, Tryo...) et dont on retrouvait au No Logo une part non négligeable des spectateurs qui les fréquentait. Ce sont eux d'ailleurs qui se déplaceront en masse le lendemain pour La Rue Kétanou. Bref, les Skatalites joueront l'inévitable "Simmer Down", le premier tube de qui vous savez, interprété pour l'occasion par la seule représentante de la formation initiale, j'ai nommé Doreen Shaffer. Autrement, nous aurons droit à d'autres morceaux légendaires, qu'il s'agisse du "Guns Of Navarone" (lors duquel chaque cuivre nous gratifiera de son solo) ou de "Phoenix City". Le clou du spectacle a été atteint lorsque la rythmique, Brian Atkinson à la basse et Trevor "Sparrow" Thompson à la batterie, a exécuté un dub magistral des plus envoûtants sur le légendaire "Rockfort Rock" riddim.
A propos de légendes, Inna De Yard n'a rien à envier aux Skatalites. Le "Buena Vista Ganja Club", ainsi nommé par Les Inrocks (pour une fois que ce magazine parle de reggae) remplaçait au pied levé le tout aussi mythique Horace Andy, retourné en Jamaïque pour raisons personnelles. Leur set, différent et moins convaincant que celui offert dans le cadre magnifique des Nuits de Fourvière (le gros report ici) n'était pas pour autant décevant. La réunion de quelques elders (Cedric Myton, Winston McAnuff, Kiddus I au chant, Robbie Lynn au piano et "Bo-Pee" à la guitare) avec des artistes de la nouvelle génération (Kush McAnuff, Var) en mode acoustique fait toujours autant plaisir à voir. Pendant que l'imposante section percus se charge de rythmer les morceaux dans une ambiance très nyabinghi, les chanteurs se relaient sur le devant de la scène pour interpréter quelques classiques du reggae music. Un Kiddus I se posera sur "Survive", alors'un Cedric Myton, avec sa façon bien à lui de nous épater avec ses éternelles et exceptionnelles contorsions, prendra le mic sur "Magic Carpet". Quant à Winston McAnuff, il interviendra avec sa voix grave au côté du chanteur des Congos pour un "Fisherman" qui tiendra toutes ses promesses. Une nouvelle fois, en fin de set, Kush et Var rendront hommage à Matthew McAnuff en se réappropriant son "Be Careful" transmettant une joie de vivre et une énergie communicatives au public très heureux d'entendre ce morceau.
Si Soom T s'est fait connaître par le biais du sound system, elle se produit aussi avec un band (voir le report des Déferlantes d'Argelès par nos collègues du webzine rock), notamment depuis la sortie de son controversé Free As A Bird (controversé uniquement au sein du public reggae). Backée ce soir-là par, entre autres, Thomas Join-Lambert (portant le t-shirt hommage à Bim) et Thomas Broussard, aka TnT, l'Ecossaise s'est donc présentée dans une posture qui différait de celle où l'on avait plutôt l'habitude de la voir. L'association entre la chanteuse et ses musiciens a très bien fonctionné et nous a globalement satisfaits. Le set se résume, grossièrement, à un condensé des deux derniers albums de Soom T, le funky pop Free As A Bird (la grosse chronique ici) et le digital Ode To A Karrot (la grosse chronique ici). Du premier, on retiendra "Take A Walk" et le trip-hop portisheadien "All I Know" ; quant à "Politic Man", nous restons définitivement plus convaincus par le remix de Manudigital, même sur scène le band de Soom T n'arrive pas à la hauteur du travail du beatmaker auteur de Digital Pixel. Par contre, il se réapproprie parfaitement ses instrus lorsqu'il s'agit de jouer "Easy Weed" ou "Thank My Dealer" issus du Ode To A Karrot auquel Manudigital a participé. Preuve que Soom T reste attachée au sound system, elle saura improviser avec quelques freestyles a capella et preuve qu'elle sait évoluer et se renouveler, le son du band s'orientera très clairement vers le disco par moments.
C'est l'une de nos très rares déceptions de cette édition du No Logo. UB40, ce n'est pas n'importe qui et ce n'est pas n'importe quoi, c'est pourtant ce que l'on a cru durant le concert des Anglais. Tout d'abord, le son était si médiocre pendant les premiers morceaux qu'il était tout simplement inaudible. A croire que les ingés son en régie ont confondu chambre d'écho et scène de festival. Cela serait sûrement passé inaperçu si l'on n'avait pas senti que les artistes faisaient office de figuration durant leur set. Alors qu'on était habitués jusqu'à il y a peu, à une setlist solide et profondément calibrée, introduite par le massif "Present Arms", celle-ci a perdu en intensité et surtout en efficacité. Alors bien sûr, ce groove so british est toujours bien présent et nous entendrons quelques classic tunes tels que "Food For Thought", "Red Red Wine", "Boom Shaka Laka" et qui sauront combler les spectateurs, mais le manque de vibes et la nonchalance des artistes décevront largement nos attentes pour un groupe qui faisait pourtant office de tête d'affiche au cours de ce festival.
Un festival reggae d'envergure qui ne programme pas un Marley, c'est un peu comme une bière sans mousse, d'une certaine manière ça manque un peu de saveur. Après "Junior Gong" l'an dernier, ce fut au tour de Ky-Mani cette année de fouler la scène du No Logo et comme son petit frère, Ky-Mani n'aura cesse de reprendre des morceaux de son père. C'est ainsi qu'il amorce immédiatement son set par "Rastaman Vibration" et qu'il chantera par la suite "Iron Lion Zion" ou "Is This Love", les enfants Marley s'étant partagés le répertoire de papa. Ky-Mani puisera cependant dans ses propres morceaux et on l'entendra sur la ganja tune "New Heights" ou sur "Hustler". Il en profitera également pour nous faire part de quelques-uns de ses nouveaux tracks comme "All We Need Is Love" sur un rythme plus pop. Et hormis l'hommage qu'ils rendent chacun à leur père via les reprises, il est encore un point commun entre Damian et Ky-Mani : leur attitude totalement exaltée sur scène et leur aptitude à être totalement survoltés, courant dans tous les sens et traversant la scène de part en part, partageant ainsi bien plus que de la musique, mais également des vibes profondes et positives.
Cette première journée du No Logo a commencé avec un groupe français, elle se termine avec un groupe français, en l'occurence Le Peuple de l'Herbe. Le crew lyonnais a construit sa réputation sur scène, leur prestation au No Logo s'inscrivait par conséquent dans cette tradition, puisque ce fut, et de très loin, le meilleur concert du jour, d'autant plus qu'il ne s'agissait pas de reggae ; preuve que le No Logo a fortement raison de s'ouvrir à d'autres styles (à quand les Prophets Of Rage ou Gojira programmés à Fraisans ?) Il y avait encore beaucoup de monde devant la scène pour se presser devant DJ Pee et ses acolytes. L'effectif a été renforcé ces derniers mois avec l'arrivée du MC new-yorkais Oddateee qui est venu épauler JC001 sur le dernier album Stay Tuned... (la grosse chronique ici).
Le Peuple de l'Herbe démarre son set par un "Beautiful Swing" sur lequel opère une autre nouvelle recrue en la personne d'un trombone (les nostalgiques du trompettiste N'Zeng auront pu le retrouver le lendemain avec L'Entourloop) avant qu'Oddateee ne déboule, telle une furie déchaînée, pour "Abuse" et que JC001 ne vienne interpréter le terrible et très dark "Channel Reality". Puis les deux MCs partageront quelques morceaux comme le fameux "El Paso" ou "Back Against The Wall". Et on peut le dire : ça nous a grave fait du bien d'entendre les scratches de DJ Pee, les riffs de Varou, la basse de Spagg et la grosse caisse de Psychostick qui rythmaient les flows de nos deux rappeurs. Le Peuple de l'Herbe reste assurément l'un des meilleurs groupes de live en France, tous genres confondus ; il suffisait juste de se délecter, peut-être pour la dix ou quinzième fois de sa vie, du mythique "No Escape" pour s'en rendre compte.
On ne peut se quitter sans dire quelques mots du dub corner qui, comme nous le disions plus haut, avait été délocalisé cette année, dans le but d'offrir une programmation plus large et d'émettre en continu (même si le sound system ne commençait à faire retentir ses grosses basses qu'en début de soirée).
Le dub corner était sonorisé par Clear Sound, autrement dit par l'un des activistes de Dub Shepherds, Jolly Joseph, également membre de La Granja Orchestra, groupe très connu de nos amis auvergnats.
Nous sommes principalement restés devant le premier affrontement du concept Dub Master Clash et Stand High Patrol.
Pour résumer brièvement, avant que les intéressés ne vous en parlent de manière plus approfondie dans une interview à retrouver très prochainement sur le webzine, les Dub Master Clash sont, comme leur nom l'indique, des clashes dub créés à l'initiative de Clear Sound et de quelques producteurs de dub comme Pilah du Dub Addict Sound System et de Kaly Live Dub et de Fabasstone, bassiste d'High Tone.
Si vous avez en tête le mythique Big Showdown entre Prince Jammy et Scientist animé par Jah Thomas et surtout sa pochette qui représente un ring, alors vous aurez compris ce qui ressortait de l'ambiance qui régnait dans le dub corner à Fraisans. Jolly Joseph agissait en qualité de maître de cérémonie à l'image d'un véritable arbitre de boxe et menait les débats entre Fabasstone et Roots Raid (Bongo Ben des Ligerians et Natty ODG), les artistes qui s'opposaient, amicalement bien sûr.
Pas de sound system, que du live machine, c'est un clash, quoi ! Il faut donc pouvoir moduler et modeler les pistes à sa guise afin d'être meilleur que le concurrent. Et donc, si l'un joue le track original, alors l'autre fait le dub. Si Fabasstone balançait "Strange Situation" ft Joe Pilgrim, alors Roots Raid en faisait le remix et réciproquement lorsque les Tourangeaux faisaient sonner "Dread Inna Babylon" ft Danman, le Lyonnais se chargeait de le dubber. Nous laissons au public le soin de déterminer qui s'en est le mieux sorti, nous préférons nous borner à affirmer que du gros son était au rendez-vous et que chacun a exécuté sa tâche avec brio. Tant que les artistes savent utiliser les effets, la reverb, les échos, etc, nous, ça nous convient, et c'est ce qu'il s'est passé !
Peu après, c'est Stand High Patrol, en mode DJ set, donc sans Pupajim, qui s'est approprié le dub corner, même si l'on entendra bien évidemment sa voix sur "Ruckus" par exemple, pendant lequel le public se pressait en masse devant le "ring". Et donc faute de Pupajim, c'est en quelque sorte le trompettiste Merry qui fait désormais partie intégrante du crew breton, qui se chargeait à sa manière d'animer encore plus les sons balancés par le selecta Rootystep et retravaillés par l'operator MacGyver. Le set a donc oscillé entre dub, hip-hop et electro, mais on aura surtout kiffé cette alchimie vibrante entre les machinistes et le trompettiste qui partait dans des envolées free jazz nous rappelant allègrment la collaboration entre Erik Truffaz et Kaly Live Dub.
Crédit photos : Live-i-Pix
TO BE CONTINUED !! STAY TUNED !!