On le sait, les Allemands ont toujours été des adeptes, voire des précurseurs, en matière de musique électronique depuis les expérimentations de Stockhausen jusqu'à la techno minimale de Berlin en passant par l'electro vocodée de Kraftwerk. Concernant le reggae dans sa version électronique et sa déclinaison dub, nos voisins d'outre-Rhin ne sont pas en reste avec le dub techno de Rhythm & Sound et Basic Channel ou le reggae digital de Jahtari. Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur un autre "Jah", en l'occurence Jah Schulz, qui nous vient tout droit de Stuttgart et qui a sorti un album, A Railroad Session, au mois de janvier.
A RailRoad Session est sans conteste un album de dub, mais si nous avons évoqué quelques noms de cette intéressante vague electro allemande, c'est pour la bonne et simple et raison que ce son minimal et indus propre à cette scène traverse l'opus de part en part. Jah Schulz (tout est dit dans le pseudo de l'artiste) ou comment réunir les chaudes vibes de Kingston à celles plus froides de l'Allemagne.
Mais il y a un autre pays, et non des moindres, dans lequel la musique de Jah Schulz aura trouvé une terre d'accueil favorable, et ce pays c'est l'Angleterre. Lorsqu'on est joué par Jah Shaka en sound system et qu'on a l'honneur de voir son album masterisé par Dougie Wardrop de Bush Chemists, alors on peut dire que l'on a la reconnaissance des maîtres européens du dub. Et ça, ce n'est pas rien !
C'est donc une production majoritairement stepper, mais pas seulement, que Jah Schulz nous a livré et à la manière d'un Weeding Dub avec son Another Night Another Day paru dernièrement (la grosse chronique ici), le dubmaker allemand aura rajouté beaucoup de cuivres à ses compositions, que ce soit par l'entremise du saxophoniste Carsten Netz ou du trompettiste Tribuman. Mental à souhait, A Railroad Session ne bénéficie d'aucun featuring vocal, ce qui renforce encore plus cet aspect minimal et froid dont nous parlions plus haut et cela se remarque dès le premier morceau, "Dub Sensor". Malgré quelques touches d'harmonica à la Il était une fois dans l'Ouest et de didgeridoo (cet instrument conférant une note quasi tribale au titre façon Hilight Tribe ou Kaophonic Tribu), le rythme se veut très répétitif. Nous ne sommes pas ici en présence d'un Ackboo ou d'un Vibronics avec leurs lignes mélodiques, seul le beat suffit à Jah Schulz pour s'exprimer : un retour aux fondamentaux et aux origines du dub en quelque sorte avec une atmosphère très épurée.
C'est également ce que l'on ressentirait avec "Mentally Tougher By Using Dub" si le sax de Carsten Netz n'apportait pas une touche planante à ce track squelettique. On remarquera d'ailleurs par moments un synthé façon dub techno.
Le dub de Jah Schulz est ainsi plus un dub cérébral qu'un dub dancefloor. L'Allemand ne s'adresse pas en effet à des massives en quête de sensations fortes qui viennent en soirée dub uniquement pour se défouler sur des rythmes stepper. A la rigueur, sa musique serait plus taillée pour calmer les foules entre deux tunes bien ruff en session sound system : "Go To See The Dub" en est l'expression parfaite avec un featuring en compagnie des Marocains de System D et de leur melodica pour un morceau finalement assez expérimental. Et puisque l'on parle d'expérimention, l'hypnotique "Dub To The Fjord" entre pleinement dans cette catégorie avec ses bidouillages et effets sonores multiples ainsi que le sax de Carsten Netz. Avec ces éléments, on a même l'impression d'entendre les débuts de la scène live française (notamment Zenzile ou 10 Dubians) au tournant des années 2000 où le dub electro était mêlé aux instruments et où l'expérimentation était justement de rigueur. Assurément le meilleur morceau de cet album.
Et si "Rise Up", en collaboration avec Tribuman, nous aura déçus, car trop classique et entrant en contradiction avec l'esprit défricheur de cet A Railroad Session, on ne peut que saluer l'ambition apportée par "Afrikan Powa", en feat. avec le DJ Sirius Soulboy, le plus techno des titres de l'album. Un dub minimal totalement dépouillé de skank, quelques percus et une flûte évasive, sans oublier un sample vocal qu'on croirait tout droit sorti de Detroit, bref superbe !
Avec A Railroad Session, Jah Schulz prend le contre-pied du son dub dominant contemporain que vous pouvez retrouver dans toutes les soirées sound system. Non, le dubmaker s'intéresse plus à ce qui fait l'identité même du dub, à savoir un travail sur l'expérimentation sonore. Si le tout peut manquer de tact par moments, la démarche de Jah Schulz n'en reste pas moins plus qu'encourageante.
TRACKLIST
A1. Dub Sensor
A2. Mentally Tougher By Using Dub – Part 1
A3. Mentally Tougher By Using Dub – Part 2
A4. Go See The Dub Dub (with System D)
B1. Rise Up (T-Jah mixing Schulz & Tribuman)
B2. Dub To The Fjord – Version 1
B3. Dub To The Fjord – Version 2
B4. Afrikan Powa (with Sirius Soulboy)
