Chinese Man Records et Jarring Effects. La Dame Blanche ne se produit pas sur n'importe quels labels, c'est une évidence. La dernière fois qu'on a eu pu entendre la Cubaine, c'était en effet sur l'EP complètement barré des Baja Frequencia, Catzilla (la grosse chronique ici), les Major Lazer de Chinese Man Records, ce duo marseillais qui, à l'instar du crew de Diplo, prend un malin plaisir à ne pas se prendre au sérieux et en envoyant balader tous les codes musicaux en mélangeant trap, dancehall, reggae, electro, cumbia, moombahton, hip-hop, et que sais-je encore.
C'est donc en toute logique que La Dame Blanche sort son troisième album demain chez Jarring Effects, label pionnier en France quant aux expérimentations musicales bigarrées. Pour celle dont son Bajo El Mismo Cielo navigue entre différentes eaux, cette maison de disques était tout trouvée.
En effet, même si elle conserve quelques traits artistiques issus de son Cuba natal (elle est d'ailleurs la fille du directeur artistique de L'Orquesta Buena Vista Social Club), La Dame Blanche a réussi à s'en émanciper de façon à proposer un son métissé, global ("global bass" pour reprendre l'expression de Baja Frequencia) et universel. A peu près aucun des genres musicaux en vogue actuellement (dancehall, trap, electro, hip-hop...) n'est épargné par la chanteuse qui propose, avec Bajo El Mismo Cielo, son opus le plus éclectique, même si les instrus trap (sous le haut patronage de Babylotion, beatmaker de l'album) en donnent une certaine ligne directrice. Par conséquent, ce Bajo El Mismo Cielo marche sur les pas des productions initiées par un certain Diplo via Major Lazer.
C'est à l'écoute de l'intro du premier morceau, "Una Copa Llena" qu'on se dit que Jarring Effects n'a pas été choisi au hasard pour sortir cet album, puisqu'on retrouve en toile de fond les fameuses mélodies spatio-futuristes des Suisses de Reverse Engineering, ce groupe de hip-hop electro qui développait une ambiance très sombre et qui fut signé chez...Jarring Effects il y a une douzaine d'années. Mais aujourd'hui, le boom-bap a été supplanté par le trap et "Una Copa Llena" suit cette dynamique avec un skank, furtif certes, mais qui pourrait rapprocher ce track avec le dub. Quant à La Dame Blanche, elle annonce sa tonalité vocale dès cet instant, en alternant toast et parties chantées. Pour revenir à cet aspect spatio-futuriste inquiétant, on le décelera également sur "No Puedo Loco" (en feat. avec Nelson Palacias), quoiqu'ici le trap se fait plus important avec toutes ses onomatopées et interjections significatives.
Et on sera même plus qu'enchanté d'entendre un énoooorme beat à la Chemical Brothers sur "Mentira", un titre assurément anglais dans ses influences et qui évoque plus la grisaille et le froid britanniques que le soleil et la chaleur de Cuba et des Amériques. Mais que cela ne vous choque pas, La Dame Blanche expérimente tout ici. Au fait, avant de fonder Mad Decent, Diplo n'a t-il pas sorti son premier album chez Big Dada, la filiale hip-hop de Ninja Tune, LE label anglais et éclectique par excellence ?
Il ne faudra pas non plus s'étonner que la Cubaine se permette quelques incantations sur un intéressant "Ave Maria", là où le trap vient se superposer à la poésie d'un registre plus lyrique et classique. C'est justement sur un morceau assez classique, dans le sens où celui-ci fait plus référence à l'héritage cubain que la tonalité générale de cet album, que La Dame Blanche nous fait le plaisir de chanter sur le titre éponyme de ce Bajo El Mismo Cielo : ici les guitares hispaniques sont de rigueur dans une ambiance très acoustique, même si La Dame Blanche se permet de pimenter l'instru avec un peu de dancehall.
Puisque l'on parlait de Major Lazer, l'apport fondamental du crew aura été bien évidemment de marier le trap au dancehall : des morceaux comme "No Da Para Na" ou "Dos Caros" (avec un peu de cumbia en filigrane) représentent bien cette tendance. En ce qui concerne "Olvidate", on remarque aussi cette touche majorlazerienne (et l'autotune en sus par moments sur la voix de La Dame Blanche) guidée par le moombahton et où DJ Snake (le co-compositeur de leur tube intergalactique "Lean On") aurait également glissé sa patte.
Les sirènes du sound system et du dancehall retentissent sur "El Sumo Sacerdote" (en feat. avec Rincon Sapiencia au flow akhenatonien) dans un titre influencé par le genre mais au beat très saccadé et on écoutera finalement une instru trap très cain-ri sur "Fana" en guise de conclusion de l'album.
Avec Bajo El Mismo Cielo, La Dame Blanche donne un brillant aperçu de ce qu'est aujourd'hui la sono mondiale, où la tradition se conjugue avec la modernité et où les continents se rapprochent musicalement parlant. Un bel album inscrit dans l'air du temps nous ici offert par la chanteuse qui parviendra à satisfaire tous les amateurs de global bass.
TRACKLIST
1 Una Copa Llena
2 Ave María
3 Mentira (feat. Manteiga)
4 No Da para Na
5 Olvídate
6 Bajo el Mismo Cielo (feat. Sergio Aguilera)
7 No Puedo Loco (feat. Nelson Palacios)
8 Dos Caras (feat. Celso Piña, Serko Fu)
9 El Sumo Sacerdote (feat. Rincon Sapiência) .
10 Fana
Artiste : La Dame Blanche
Album : Bajo El Mismo Cielo
Label : Jarring Effects
Date de sortie : 25/05/2018