Another Weeding Another Dub – Entretien avec Weeding Dub

Quelques heures avant qu'il ne monte sur la scène du festival Contraste & Couleurs (le gros report ici), nous sommes allés poser quelques questions à Weeding Dub.

Le dubmaker vient en effet de sortir son tout dernier album, Another Night Another Day (la grosse chronique ici), il y a quelques mois, le 9 février précisément.

Le producteur lillois en profite donc pour nous exposer les grandes lignes de cet opus qui mêle tradition roots et modernité stepper et digitale.

Bonjour Weeding Dub, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Peux-tu nous expliquer le choix du titre de l'album, Another Night Another Day, pourquoi ce contraste ?

A vrai dire, je ne sais pas trop ! (rires) Nan, plus sérieusement, on a tous un côté jour et un côté nuit. De plus, dans l'album, tu retrouves des aspects roots comme des morceaux plus digitaux, surtout que le visuel s'y prêtait avec une double face, l'une heureuse et l'autre plus négative. Et puis ça permet toutes sortes de reprises, another night another live, another night another remix, puisque j'aime bien cette idée dans le dub où tu peux suivre plusieurs directions. Et sincèrement, j'ai autant de plaisir à écouter un Yabby You qu' un Iration Steppas, par exemple ; c'est ce que je voulais faire ressortir à travers cet album. J'espère que c'est réussi !

Le reggae représenterait-il le jour et le dub la nuit alors ?

Pourquoi pas, on peut voir les choses comme cela, si l'on considère que le jour vient après la nuit, de la même manière que le dub est apparu après le reggae. Le dub que je produis, je le vois comme du reggae à la sauce digitale ou stepper.

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Est-ce justement la raison pour laquelle tu n'as pas composé un album "an 3000" pour reprendre tes propres termes au Nomade Reggae Festival ?

En effet. Je n'arrive pas à me focaliser uniquement là-dessus. Mais je suis en train de me demander si mon prochain album ne sera pas uniquement axé sur des riddims très digitaux, calibrés pour le sound system. Cependant, je ne peux pas ignorer le côté roots et instrumental, j'aime beaucoup cet aspect de la musique. Sur cet album, il y a plus de musiciens que sur les autres. Le saxophoniste a un doctorat en saxo (rires), quant au percussionniste, ça fait 20 ans qu'il fait de la percu en sound system, ce sont tous des virtuoses dans leur discipline et c'est cool de pouvoir les avoir sur mon disque. Ce n'est pas juste de la programmation informatique, il y a un cœur qui bat derrière ces gros beats.

L'afrobeat est également l'une des directions de cet album, ce n'est d'ailleurs pas la première que tu en produis. Là aussi, voulais-tu mettre en avant l'aspect plus instrumental ?

L'afrobeat est en effet l'une de mes grosses influences, c'est un style que j'écoute beaucoup, au même titre que le blues, le jazz, la soul ou encore le funk et même la techno ou la drum. Ça n'a pas pu faire pour cet album, mais j'aimerais bien pouvoir travailler avec une chanteuse de soul dont j'admire la voix et composer un morceau reggae en insistant sur le côté soul.
Pour revenir à l'afrobeat, il y a en effet cette part d'instrumental, mais ça évoque aussi l'Afrique et le reggae ; tout est un peu lié finalement. Je vois le reggae comme le blues jamaïcain et d'ailleurs tous ces genres musicaux (reggae, soul, funk, etc...) ne sont que des branches du blues, selon moi. Et sans vouloir tomber dans les clichés, le reggae est né dans la souffrance, c'est très important de le rappeler, même si aujourd'hui on fait danser les gens et que le caractère festif prime sur le reste. Le reggae est porteur d'un message que l'on doit toujours avoir à l'esprit et c'est la même chose pour l'afrobeat. Par conséquent, à mon échelle en 2018, j'essaye de perpétuer cela.

Le saxo, très présent dans l'album, serait-il le liant de toute cette black music que tu viens d'évoquer ?

Tu n'es pas le premier à me le dire ! Mais je ne l'avais pas spécialement vu comme cela. J'ai toujours utilisé beaucoup de cuivres et là, il est vrai que sur deux ou trois morceaux, le saxo est particulièrement mis en avant. Mais c'est tombé de manière inopinée, c'est plutôt le résultat de sessions de studio euphoriques avec Lionel, le saxophoniste, qui, je le répète, est un monstre du sax. Lors de nos séances de travail, je le laissais jouer ce qu'il voulait sur mes riddims et ça a donné un morceau comme "Afuryca", très orienté afrobeat et il s'est passé la même chose pour "Skankertainer" en feat. avec Little R, où le riddim de base et le rendu final n'ont rien à voir du tout. C'est une direction que j'aime bien prendre, puisqu'elle est très diverse ; l'afrobeat c'est comme le jazz, c'est une musique riche. J'espère pouvoir continuer là-dessus, et en même temps faire du dub "an 3000", puisque j'adore ça aussi ! (rires)

En parlant de dub "an 3000", as-tu immédiatement pensé à Shanti D pour se poser sur  "Can't Understand", sachant qu'il est à l'aise avec ce genre de riddim, ceux d'O.B.F par exemple ?

En fait, ce que j'apprécie chez Shanti D, c'est son sens des harmonies ; dans l'orchestration, il a quelque chose de singulier par rapport aux autres chanteurs. C'est vrai qu'il est à l'aise sur les riddims "an 3000". Quand je l'avais contacté pour cet album, je lui avais envoyé une vingtaine de riddims qui allaient du roots au digital et c'est lui qui a choisi celui de "Can't Understand".

Sur l'album, certains morceaux ont parfois plusieurs versions. Est-ce une façon de montrer le travail même du dub où un morceau peut être mixé plusieurs fois ?

En effet. A chaque fois que je mixe un track, il en ressort plusieurs mix. Pour cet album, on s'est retrouvé avec 46 versions potentiellement sortables. Il a donc fallu faire des choix et c'est la raison pour laquelle on a fini par éditer un double album, alors qu'on était parti sur un simple. C'est avant tout l'aspect mix qui me plaît dans le dub.

Du remix à l'infini...

Tout à fait ! Le même morceau peut avoir une version joyeuse ou mélancolique, évanescente ou énergique. C'est surtout cela que je voulais montrer. Comme on le sait, le dub est né avec King Tubby et consorts qui, au départ, sont des ingénieurs du son : on laisse parler la console et quand le résultat n'est pas trop mal, on le met sur disque. Après, c'est un travail qui va peut-être plus s'adresser à des gens avertis, mais je suis content quand même de pouvoir sortir du vinyle en 2018 et de mettre plusieurs versions d'un même morceau sur un album. C'est important sachant que ça fait partie de la culture du sound system.

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Parlons du morceau éponyme de l'album maintenant. La flûte fait penser au printemps, à l'éveil de la nature, etc...

Oui, c'est d'ailleurs comme cela qu'on est venu au titre de l'album. Ma copine me disait en rigolant que c'était un bon morceau à mettre en réveil-matin, puisque ça commence tout doucement et ensuite ça t'incite à sortir du lit et à filer sous la douche (rires). Une nouvelle journée (another day) commence. J'aime bien ce côté chaud et froid dans le morceau ; d'une manière générale, dans l'art, ce sont les contrastes qui font qu'une œuvre est intéressante : le clair n'existe pas sans le foncé, la musique n'existe pas sans silence, etc...

Le dub n'existerait pas sans le reggae...

Oui, on en revient toujours au même !

Comment s'est fait la connexion avec Dixie Peach qui n'est pas un nouveau venu dans le reggae ?

Je l'ai découvert il y a une quinzaine d'années via ses sorties sur Jah Tubby's. Je l'ai vu plusieurs fois en live, il est monstrueux. Il a un tempérament à la fois lover et conscient. On s'est rencontré en soirée et l'enregistrement s'est fait dans l'ancien studio de Russ Disciple. Lorsque j'ai reçu les pistes, je me suis rendu compte qu'il ne s'était pas moqué de moi et qu'il avait fait du très bon travail. Il est assez précis et à dubber c'est un bonheur. Il est cependant trop peu invité en France à mon goût et si ce morceau peut lui donner un coup de pouce, alors c'est génial.
Mais ce qui me tenait surtout à cœur avec Dixie Peach, c'était de pouvoir rendre hommage au mouvement rasta, même si moi je ne le suis pas. J'ai découvert le dub par le reggae et j'ai découvert le reggae par le biais de la pensée rasta, la musique est venue seulement après. C'est un mouvement qui m'est cher de par ce qu'il m'a apporté artistiquement parlant. Je voulais donc un morceau pour supporter cette culture, le clip va dans ce sens-là également. C'est ma modeste pierre à l'édifice.

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

BIG UP La Grosse Radio ! Ça fait plaisir de voir des activistes qui durent dans le temps. On a besoin de tout le monde. Même si notre scène est foisonnante et très active en ce moment, elle a besoin de bras à tous les niveaux, que ce soit pour chanter, pour produire, pour organiser des soirées, pousser des box, tenir un stylo ou taper sur un clavier. BIG UP à vous !

BIG UP à toi aussi Weeding Dub ! Merci de nous avoir accordé cette interview !

Crédit photos : Live-i-Pix



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