Ackboo – Pharaoh

Il l'a dit, il l'a fait. Dans notre interview en début d'année dernière, Ackboo nous parlait déjà de son troisième album Pharaoh (à paraître demain) en préparation et de son envie d'explorer le courant trap, cette sensibilité aujourd'hui majoritaire dans le hip-hop, mais que les producteurs de reggae ou de dub ont du mal à intégrer dans leurs compositions, en France tout du moins. En effet, si la scène dub live française des années 90 et 2000 ne se privait pas pour métisser son dub, celle qui a pris sa suite (à savoir celle issue du sound system), malgré son exceptionnelle vitalité actuellement, souffre d'un manque de renouvellement et peu nombreux sont les beatmakers à vouloir se détacher de ce dogme qu'est le sacro-saint stepper à l'anglaise.

Ackboo fait cependant partie de ces artistes qui n'ont pas froid aux yeux et qui voient loin. A l'instar des deux labels tourangeaux que sont ODGProd et Brigante Records, le dubmaker toulousain apporte un vent de fraîcheur au dub français en le décloisonnant de ses aspects pour trop classiques. On s'était rendu compte, via son génial Invincible (la grosse chronique ici), qu'Ackboo n'était pas figé dans un processus de création répétitif et qu'il aimait se démarquer. Si les influences electro marquaient de leur empreinte Invincible, Ackboo propose avec son Pharaoh une esthétique complètement différente.

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Alors bien sûr, nous direz-vous, les tonalités roots et stepper sont bel et bien présentes ici. C'est notamment ce que vous avez pu constater sur le premier single, "From All Men Apart' (voir ici), en compagnie de Ras Hassen Ti, un dub profondément mystique et religieux et, bien qu'il n'en soit pas nécessairement représentatif, l'un des meilleurs morceaux de cet album. Mais la ligne directrice de ce Pharaoh est tout autre. Le trap fait indéniablement son entrée dans l'univers musical d'Ackboo et on ne peut que saluer cette initiative qui, nous le répétons, se fait trop discrète dans le dub français. Peur de singer ou tout simplement refus de s'inspirer d'un genre considéré comme trop commercial ? Nous ne saurions le dire, mais l'évidence se met au jour : le reggae (dub) et le trap sont des genres qui arrivent pourtant à fusionner. L'expérience le prouve : Brahim, Biga*Ranx, Atili, OnDubGround, Supa Mana, SD Holis, Damé, Bisou, etc... nous l'ont brillamment démontré.

Ackboo s'engouffre donc aujourd'hui dans la brèche ouverte par les artistes que nous venons de citer avec son Pharaoh.

C'est cependant un versant déjà bien connu d'Ackboo que nous pouvons entendre dans les premiers morceaux de cet album. Sûrement histoire de ne pas trop destabiliser son auditoire, le Toulousain opte pour des riddims stepper pour introduire sa nouvelle création. Pharaoh s'ouvre sur "Youth Nation" avec un Marcus Gad qui, lui, vient toaster à contre-courant de ce qu'il a plutôt l'habitude de proposer (voir d'ailleurs son Chanting à la forte tonalité roots et méditative) ; à croire que l'influence d'Ackboo le force à se dépasser puisqu'on le retrouvait déjà sur Invincible avec "Ina Sky", un stepper plus porté sur l'electro.

Quant aux autres MCs qui viennent se poser sur les instrus survitaminées du dubmaker, ils sont, eux, plus habitués des univers du digital et du dub. Sr Wilson, l'une des trois voix "officielles" d'O.B.F (en compagnie de Shanti D et de Charlie P) nous fait part de son flow sur "Goodness", un titre nettement calibré sound system, très efficace mais moins mélodique que le précédent.
Avec Dapatch (qu'on a déjà pu remarquer au côté des deux maîtres français du reggae digital, Atili et Manudigital), Ackboo opte pour un beat qui concentrerait ses références et celles plus ruff et digitales d'O.B.F sur "Give Me A Hand" à la ligne de basse bien grasse. A propos d'O.B.F, "Youthman" en feat. avec Malone Rootikal est tout à fait le genre de morceau qui aurait pu figurer sur leur dernier chef-d'œuvre en date, l'album Ghetto Cycle en collaboration avec Charlie P (la grosse chronique ici), qui synthétise brillammment les chaudes vibrations de la Jamaïque à celles plus grises, froides et electro de Londres.

Ces titres que nous venons d'évoquer constituent la première partie de Pharaoh, une belle entrée en matière avant que le producteur n'inaugure un nouveau chapitre de son album avec le track éponyme (forcément !). "Pharaoh" permet en effet au trap de faire son apparition dans un morceau uniquement instrumental, dans lequel les aspects digitaux en introduction nous rappellent presque le fameux "Entertainer" de Stand High Patrol. Quoiqu'il en soit, la messe est dite ici, le dub et le trap se marient à merveille et Ackboo va poursuivre dans cette voie dans les pistes suivantes.

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C'est ainsi un track dans la droite ligne des productions américaines qu'il met en œuvre sur "Me Nuh Loaf" avec un Lasai qui adopte un flow oscillant entre raggamuffin et posture plus scandée. On notera qu'Ackboo se plaît ici à réutiliser les cloches déjà présentes dans son Invincible. Puis c'est une guitare qui vient rythmer "Slowly" en association avec un Dan I Locks qui, lui aussi, armé d'un débit très lent (obligé !), se renouvelle auprès du Toulousain après ses excursions stepper et electro sur Invincible. On peut même déceler quelques touches r'n'b sur ce "Slowly", sensations que l'on retrouve avec "First Sight", une combinaison entre deux Brigante que sont Pauline Diamond et Green Cross. A l'instar d'un Dan I Locks, Pauline Diamond montre elle aussi toute l'étendue de ses talents de vocaliste : si elle opérait sur des instrus moombahton/dance sur le très djsnakien Dance All Night de Tambour Battant (la grosse chronique ici) ou sur du stepper sur le maaaaddd Double Trouble de Supa Mana (la grosse chronique ici), la voilà qu'on peut l'entendre sur des tonalités beaucoup plus soul. Même Green Cross se fait moins incisif que d'habitude sur ce "First Sight".

Et finalement, Pharaoh se conclut de la même manière qu'il avait commencé, c'est-à-dire en mode stepper avec, tout d'abord, "Ruff Road" où le MC d'Ackboo en live (outre Green Cross), j'ai nommé Ras Mykha, vient toaster sur ce track très anglais dans sa forme, avant que le dubmaker ne propose les dub versions des deux premiers titres de l'album, "Youth Nation" et "Goodness", respectivement déclinés en "Youth Dub" et "Dubness". La boucle est bouclée.

Il nous le confiait dans notre interview citée plus haut, Ackboo aime "les gens qui explorent, qui font des expériences". Si nous aurions aimé qu'il aille encore plus loin dans son exploration du trap justement, on doit tout de même avouer que Pharaoh sort des sentiers battus : ici le stepper côtoie le roots, le digital tutoie la soul et le dancefloor se superpose à des aspects plus méditatifs. Comme Weeding Dub et son intéressant Another Night Another Day (la grosse chronique ici) paru en février dernier, Ackboo s'est musicalement dédoublé dans son Pharaoh.

TRACKLIST

1. Youth Nation ft Marcus Gad
2. Goodness ft Sr Wilson
3. Give Me a Hand ft Dapatch
4. Pharaoh
5. Youthman ft Malone Rootikal
6. Me Nuh Loaf ft Lasai
7. Slowly ft Dan I Locks
8. From All Men Apart ft Ras Hassen Ti
9. First Sight ft Pauline Diamond & Green Cross
10.Ruff Road ft Ras Mykha
11.Youth Dub
12.Dubness

Artiste : Ackboo
Album : Pharaoh
Labels : Tanta Records / Patate Records
Date de sortie : 15/06/2018

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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