Interview avec Natty Jean (10.2018)

Je ne pense pas vous l'apprendre, mais le groupe Danakil est composé depuis 2011 de deux voix : celle de Balik et celle de Natty Jean. C'est ce dernier qui aujourd'hui fête la sortie de son deuxième album solo Imagine, paru le 5 octobre dernier chez Baco Records. Lors de la promotion de ce nouveau disque, nous le recevons à Paris pour parler de ce nouvel opus dont la chronique est à retrouver ici. Une façon aussi de se poser et de traduire quelques textes ; car rappelons-le, le chanteur est originaire du Sénégal et vit désormais en France. 

LGR : Nous voilà donc avec Natty Jean pour parler de l’album Imagine sorti ce 5 octobre. Merci déjà pour le temps que tu nous accordes.

NJ : Normal !

Bannière album Imagine - Natty Jean

LGR : Du coup, c’est ton deuxième album solo, c’est bien ça ?

NJ : c’est mon deuxième album solo. Le premier est sorti en 2012. Il s’appelait Santa Yalla qui voulait juste dire “Dieu merci” pour rendre grâce à cette opportunité que j’avais à ce moment-là de pouvoir sortir un album, pouvoir avoir un message à faire passer et puis là, on est en 2018 et le 2ème album est là. Bon… Imagine pour donner de l’espoir, pour avancer. Je défends beaucoup de valeurs là-dedans. Il y a beaucoup de messages par rapport à la situation d’aujourd’hui, actuelle. Je parle de l’Afrique, vis-à-vis de l’Europe et le reste du monde. Je parle aussi beaucoup d’amour, de respect. Je parle aussi d’immigration, donc je constate, comme tout le monde qu’il y a plein de choses, plein de valeurs, qui aujourd’hui ne sont pas respectées, vis à vis de l’être humain même et que souvent malheureusement ça tombe sur des africains et autres. Donc voilà, j’ai envie juste de pointer le doigt sur certains sujets et c’est ce que je raconte en tous cas dans l’album.

LGR : D’accord, donc c’est bien ce que nous avions senti avec le mot ‘Imagine’ qui évoque de l’espoir en tous cas, et une envie de changer.

NJ : c’est ça.

LGR : On a plus de la moitié de l’album, je ne me trompe pas, qui est en wolof ?

NJ : Mmh, oui normal, pour moi.

LGR : Ce n’est donc pas un choix, c’est venu naturellement ?

NJ : oui, c’est normal même j’ai envie de dire car c’est quand même mes réalités. Je ne peux pas aujourd’hui faire un album qui défend d’autres réalités que les miennes. Je suis sénégalais et je connais le peuple sénégalais mieux que n’importe quel autre peuple au monde. Donc quand je parle, quand je dénonce, bien-sûr que c’est d’abord pour moi, eux d’abord la priorité pour moi. Parce que tôt ou tard je vais rentrer chez moi. Je vais bouger et c’est là que j’ai envie de choses, changer les choses, changer peut-être les mentalités et consorts. Voilà j’ai envie de défendre les couleurs de mon pays donc naturellement je parle wolof, enfin les morceaux, allez on va dire 70% en wolof. Mais c’est déjà bien ! parce que mon premier album, il n’y avait pas de morceau en français et à l’époque il était pas fait pour sortir en France ni en Europe. J’étais dans mes réalités du Sénégal, du Mali, je vivais entre les deux et donc aujourd’hui c’est normal après toutes ces années où je vis un peu en Europe d’élargir un petit peu mon public. Donc voilà, je n’ai aucun problème vis à vis de ça.

LGR : Super intéressant, Donc rappelons-le, si je ne me trompe pas, le wolof c’est…

NJ : C’est la langue, si tu veux, nationale du Sénégal.

LGR : oui, parmi, cinquante ? cinquante-sept, je crois ?

NJ : Je ne pourrai pas dire exactement combien de langues. Souvent même ça m'intrigue quand ici on parle de dialectes souvent. Moi je ne pense pas que ce soient des dialectes. Ce sont vraiment des langues à part entière avec des ethnies qui chacune ont la particularité de dire les mêmes choses mais dans des langues différentes. Bref, mais oui, donc je ne sais pas combien d’ethnies on a, combien de langues on a mais… ouais !

LGR : Je te propose qu’on se penche sur ce que racontent tes textes, notamment ceux en wolof. A commencer par "Salimata". Si je ne m’abuse, c’est un prénom ?

NJ : Salimata, c’est un prénom oui ! C’est comme un peu… J’ai suivi une logique que j’avais déjà, en tout cas un concept que j’avais déjà utilisé dans mon premier album, j’avais fait un morceau qui s’appelle Aïda. C’est un nom aussi. Et en général, le but c’est de prôner des valeurs, enfin les valeurs que moi-même je peux concevoir chez la femme ou chez la femme africaine, chez une soeur, une femme, une mère, et que je les dirige vers ce prenom-là en disant “Voilà, voilà pourquoi je t’aime, j’aime tes valeurs, j’aime ta beauté.” et j’utilise en fait un prénom pour faire passer ce message-là et j’essaie de sensibiliser aussi les femmes africaines, tu vois, pour qu’aujourd’hui elles s’éveillent aussi. C’est important aujourd’hui de parler aux femmes, parce que voilà… on est dans une période où on parle beaucoup d’émancipation de la femme surtout, beaucoup plus chez nous qu’autre part, parce que souvent on a toujours ces clichés. Moi je pense que ce n’est pas toujours vrai que les femmes sont un peu rabaissées chez nous ou réduites à zéro. Pour moi, ce n’est pas vrai mais je pense qu’on a des femmes ouvertes au monde, éveillées avec plein de qualités et c’est ce que j’ai envie de démontrer à travers ces noms-là. Alors c’est juste des noms, mais derrière, ce qu’il y a, le message c’est de dire qu’on a des femmes du monde quoi ! On est très ouverts aussi sur ce plan-là.

LGR : Super intéressant, merci… Autre chanson, en wolof, “Lou Teugue Tass”

NJ : Lou Teugue Tass ! Alors ça veut dire que tout a une fin.

LGR : Oui, c’est ce que j’avais cru comprendre, parce que je me suis quand même un peu initiée au wolof (rires) Donc “tout a une fin”, tu faisais référence à un événement en particulier ?

NJ : Oui, à deux-trois événements même, dans ma vie personnelle. Des trucs qui m’ont touché tu vois, perdre un frère par exemple, bah… certaines séparations avec des gens avec qui tu as vécu des choses et qu’à un moment, chacun prend sa route et j’ai juste envie de dire que la vie est ainsi faite quoi. Donc on doit tous s’y attendre en fait. Tu vois, pour moins souffrir, il faut toujours se dire que tout peut s’arrêter d’un moment à un autre. Donc le plus important c’est de profiter du moment présent.  Donc c’est un peu ça… Après il y a pas mal d’événements, à commencer comme tout le monde, on a tous vécu une perte quelque part, soit un être qui part, une famille, une séparation, ça c’est des choses qui arrivent dans la vie et souvent quand on souffre de ça, c’est quand on n’est pas préparé, quand on pense que tout est rose alors qu’en fait, la vie n’est pas toujours rose.

LGR : OK… Autre morceau, en wolof, où on entend Viviane Chidid…

NJ : "Ak yow" ! Ak yow ça veut dire “avec toi”. C’est tout simple. C’est que la vie n’est pas pareille avec, ou sans toi. Il y a “ak yo”, il y a “avec toi” mais il y a aussi “sans toi”. Donc moi je choisis “Ak yow”, avec toi. Et voilà, donc on a partagé ça, avec Viviane Chidid. Et Viviane, c’est comme une… plus qu’une grande soeur même, j’avais envie de dire ! Je ne dirai pas une tata parce que ça va la vieillir et je pense qu’elle ne serait pas contente que je lui dise ça ! (rires) Mais je le dis parce que dans mon adolescence aussi, c’est une artiste que moi j’ai entendue étant jeune, que j’ai écoutée, qui a beaucoup influencé la musique mbalax. “Mbalax” c’est la musique traditionnelle sénégalaise, et qui a eu aussi beaucoup d’ouverture d’esprit, genre la chanteuse traditionnelle qui à un moment a fait des featuring avec des rappeurs, qu’a ouvert vraiment le truc et c’est pour ça que je l’aime. Et en plus, c’est une femme ! Encore pour en revenir à ce que je disais, c’est important pour moi d’avoir une femme qui vienne chanter dans mon album… Ouais, parce que j’aime bien ce sentiment-là, de voilà, d’être, d’avoir une femme… Ce sentiment de, de… Je ne sais pas comment dire, de partager en tout cas, d’ouvrir les choses et de partager avec les femmes du monde de chez moi. Donc c’était une super expérience, et je la remercie encore pour ça d’ailleurs.

LGR : D’ailleurs, en entendant le riddim, on peut se rappeler que c’était déjà une chanson d’amour sur l’album de Danakil.

NJ : Exact, c’est un riddim qui a été utilisé, qui a été fait avec Danakil dans le dernier album donc il y avait déjà le thème. Et c’est vrai que ça m’a inspiré et que ça m’a donné envie moi aussi de chanter aussi de l’amour, mais à ma manière, à ma sauce tu vois, de faire ma version ! Et je trouve ça intéressant. Je pense qu’il y en aura d’autres, peut-être qu’ils vont le faire aussi, mais en tous cas c’est ouvert sur ce riddim. Quand je dis “on” c’est Danakil, dont je suis membre aussi du crew. Mais je pense que c’est ouvert, ceux qui ont envie de mettre leur version, de poser dessus, il pourront le faire aussi.

LGR : Très cool ! La porte est ouverte donc ! Sur l’album aussi d’ailleurs, car il y a d’autres invités. Ils sont aussi sénégalais ?

NJ : Oui, Didier Awadi que je ne présente plus. Ca a été un des pionniers du hip-hop sénégalais, du hip-hop africain même, pardon ! A l’époque avec son groupe PBS : Positive Black Soul. Et c’est eux aussi qui nous ont tous inspirés, qui nous ont donné l’envie de faire de la musique. Donc moi j’ai d’abord été influencé par le hip-hop, normal, et puis à un moment aussi, voilà, j’ai un peu changé, j’ai bifurqué mais je garde toujours ce côté hip-hop, mais ça se sent dans l’album. Il y a beaucoup de rythmiques hip-hop, de sons hip-hop et tout. J’aime ça, et du coup, voilà. Et Didier Awadi qui a bien voulu participer, qui m’avait aussi précédemment invité dans son album donc c’était une manière de lui rendre la pareille.

LGR : Et ce son s’appelle “Prezident”. C’est une allusion à l’élection présidentielle qui arrive au Sénégal ?

NJ : Oui, les élections qui arrivent. C’est une allusion, c’est aussi pour dire…  En fait, nous, en tant qu’artistes, on est des régulateurs un peu, de ce que le peuple ressent, du sentiment du peuple. Donc moi je parle au président, moi j’en ai rien à cirer personnellement. Je fais ma vie, je fais mon truc, mais je lui dis juste ce qu’on me dit quand je sors, je vais dans la rue, je vais au marché, tu vois les gens, voilà ce qu’ils me disent. Donc moi, je lui transmets le message. “T’en fais ce que tu veux” Voilà, le truc il est là, et faut dire franchement, moi j’ai… moi je suis déçu un peu du pouvoir qui est en place au Sénégal, parce qu’on avait beaucoup d’espoir par rapport à ce président-là qui est Macky Sall, qui est arrivé, qui nous a trompé on va dire. Après, ça c’est pas nouveau hein, c’est toujours l’histoire de la politique, c’est toujours comme ça. Mai là, il y a encore quelque chose en plus, parce que les présidents précédents, avant lui, c’étaient… ils étaient un peu âgés, dans une autre mentalité. Pour nous, ça représentait plutôt l’Afrique ancienne. Mais lui, Macky Sall, il est venu dans un élan, où on avait besoin de fraîcheur, la jeunesse était là pour s’exprimer. Et bah, on lui a fait confiance. Et il a fait pire que tous les autres présidents qu’on ait connus ou en tout cas que moi j’ai connus. Et aujourd’hui, on se retrouve dans une situation enfin… on a beaucoup régressé au Sénégal. Les gens sont toujours là à mourir de faim, pas d’eau potable, la capitale est dégueulasse, il y a des inondations… tu vois, c’est quand même dur. Et en parallèle, quand on voit ceux qui sont au pouvoir se mettre plein d’argent dans les poches, se mettre dans des conditions… Des fois, c’est presque des insultes tu vois, et avec une arrogance… Bah on se dit que… Moi je m’inquiète en tous cas pour les prochaines élections. Et derrière, on voit aussi qu’il est en train de mettre en prison beaucoup d’opposants sérieux, des gens qui ont des idées, qui nous parlent à nous, et donc il les empêche de continuer de nous influencer. Enfin, c’est pas nous influencer, mais, c’est d’être là et de partager le truc quoi et de dire ce qu’ils pensent et ça moi, je trouve ça dommage, je trouve ça surtout dangereux. Donc "Prezident" c’est ça, c’est dire “de toutes façons le peuple d’aujourd’hui, on est conscient, c’est plus comme il y a 15 ans et tout. Donc il n’aura qu’à prendre ses responsabilités, si il continue dans la manière, dans sa manière en tous cas, de faire les choses. Je pense qu’il aura de bonnes surprises, qu’on va le retrouver dans son palais et qu’il va sauter. C’est ce que j’espère. Je suis déçu.

LGR : Dans tout ça, on entend vraiment ton attachement au Sénégal… C’est ton pays. Tu as l’occasion d’y retourner, un peu ? Souvent ?

NJ : Oui ! Souvent, ouais très souvent même, j’y vais deux à trois fois par an.

LGR : Est-ce que tes clips ont été tourné là-bas ?

NJ : Mes clips ont été tournés là-bas. Tout ça c’est important. C’est dans la logique aussi de l’album et tout. Je voulais aussi montrer qu’on peut faire les choses là-bas. Ca c’est une image que j’envoie, que je leurs envoie à eux, et une image que j’envoie aussi à l’Occident. C’est qu’aujourd’hui, on peut faire des choses là-bas. Faut pas croire tout ce qu’on nous montre… Je ne veux pas rester dans les clichés mais au final, c’est beaucoup ça aussi. Parce que je vais un peu partout, dans tous les coins de la France, des fois je rencontre des gens qui ont toujours cette image-là de l’Afrique. Moi je m’étais juré de ne pas défendre ce genre de choses et ce genre de clichés mais aujourd’hui, je suis obligé de faire ça. C’est un engagement et j’ai envie de participer au changement de montrer une autre image de cette Afrique.

LGR : D’accord, du coup, tu voudrais pouvoir aussi tourner au Sénégal ?

NJ : J’espère ! On est en train de tout mettre en place pour que ce soit possible. Le but serait aussi ça, oui.

LGR : On a aussi appris par Balik qu’il aurait aussi son projet solo à venir (l'interview à relire ici). Il faut alors s’attendre alors à une pause dans Danakil pour vous laisser du temps dans vos projets solos ?

NJ : Eux c’est sûr ! Ils font une pause de un ou deux ans quoi, à peu-près, je ne sais pas trop exactement, mais le Zénith là, qu’on fait, servira un peu de concert de clotûre avec Danakil, ça sera au Zénith de Paris, le 27 Octobre pour le Baco Reggae Fest’ avec Protoje, Groundation, et tout le crew Baco !
Et puis je pense qu’après, ils en ont besoin. On en a besoin même. C’est juste que bah voilà, moi, j’ai une double casquette. C’est le moment où je peux aussi profiter et aller au front, donc c’est ce qui va se faire.

LGR : Et as-tu déjà eu l’occasion de présenter quelques titres de ton album en Live ?

NJ : Ah bah oui ! Je n’ai pas arrêté. Parce que justement tout le temps où j’étais en tournée et en tournée avec Danakil, j’ai toujours un petit moment où je m’épanouis, où je me me présente en tant que Natty Jean et justement le but c’est ça aussi. C’est ça, on a un compromis si tu veux avec Danakil qui fait qu’on est ensemble, je suis dans le crew, mais un moment, j’ai la liberté aussi de dire “voilà, c’est Natty Jean”, c’est ce que je représente et partager des morceaux avec eux en milieu de set, des morceaux justement qui sont dans l’album. Donc j’ai pas arrêté, j’ai fait beaucoup, une bonne partie, presque la moitié on peut dire de l’album a été plus ou moins joué dans des shows de Danakil justement pour préparer les gens, faire la promo de l’album et les tenir un peu en haleine.

LGR : Et donc, les réactions ?

NJ : Oui, bon moi, je suis content et je suis confiant.

Portrait Natty Jean

LGR : Le live “Natty Jean”, ce sont les mêmes musiciens que Danakil ?

NJ : mmmh… il y aura quelques musiciens mais pas tous. Il y en aura deux-trois, et puis après, le reste, ce sont des gars qu’on va aller prendre pour certains ce seront des instruments traditionnels par exemple, des trucs comme ça tu vois. Donc il y aura certaines particularités, un nouveau guitariste qui va arriver dans le crew, après en basse-batterie, claviers, ça sera les Danakil. Mais c’est pa LA formation, tu vois ? C’est le début d’un truc, on commence comme ça, et on verra comment ça va se développer peut-être parce qu’à un moment je devrais défendre mon truc et que Danakil aussi auront leurs trucs à défendre, donc on se prépare, on s’organise pour toutes les éventualités.

LGR : Très bien, merci beaucoup ! Merci pour cette interview très intéressante et bons lives !



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