Sir Jean & The Roots Doctors est le premier projet intégralement reggae du chanteur polymorphe Sir Jean. Après des incursions dans les milieux dub, hip-hop, afrobeat, et j'en passe, le Lyonnais a fini par se tourner vers le reggae. Il nous fallait donc absolument en savoir plus.
C'est ainsi que nous sommes allés à sa renconte cet été dès sa sortie de scène au No Logo, alors qu'il venait tout juste de donner un concert avec ses Roots Doctors sous le chapiteau du camping (le gros report ici).
Sir Jean revient alors sur la genèse de cette aventure reggae, mais aussi sur les deux opus produits par le groupe, l'EP Come Pon Dem (la grosse chronique ici) paru au printemps, et l'album Da Right Time (la grosse chronique ici), tout juste sorti il y a deux mois.
Bonjour Sir Jean, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Peux-tu nous donner tes réactions à chaud sur le concert que tu viens de donner avec tes Roots Doctors ?
Je dirais juste nickel ! Les gens avaient la pêche, nous aussi. On a bien communiqué ensemble. Je dis souvent qu'il n'y a pas de concert sans public et lorsque l'énergie sur scène est bonne elle se transmet très vite au public. Il se rend compte immédiatement que tu aimes ce que tu fais. Donc, c'était cool !!
Qu'est-ce qui a motivé la réunion de tous ces musiciens pour former le projet ?
Ça a commencé tout d'abord avec Maxxo, qui est à la fois batteur, compositeur et directeur artistique. Il y a longtemps que j'avais envie de faire cet album reggae, j'ai justement avorté pas mal de projets. Et il y a environ trois ans, je me suis vraiment lancé dedans puisque ça me tenait à cœur. Il se trouve qu'on s'est vraiment super bien entendu avec Maxxo, c'est lui qui porte la moitié du projet. Il a composé les riddims puis on a enregistré avec plusieurs musiciens dont Jawad, guitariste des Wailing Trees, Thibaut Saby, ancien clavier des Wailing Trees et Yann notre bassiste. Et alors qu'on était en train de mixer tout cela, on a formé le band afin de défendre les titres sur scène. C'est ainsi que Mike de Broussaï et Nordine de Sinsemilia ont fini par nous rejoindre. Je leur tire vraiment mon chapeau à tous, puisque ce n'est pas évident, après avoir fait beaucoup de concerts, de repartir dans une toute nouvelle aventure. En effet, malgré toute l'expérience que j'ai pu avoir dans la musique, ce n'est pas évident d'arriver avec quelque chose de neuf et que je défends sous mon propre nom. J'ai vraiment envie de me dédier à cela, puisque j'en rêve depuis longtemps. D'autant plus que les musiciens sont vraiment là pour la musique et pour apporter leur pierre à l'édifice, ils ne font pas juste acte de présence. BIG UP à eux !
Mais ce n'est pas un peu surprenant de voir Sir Jean se cantonner à un seul style alors que tu as majoritairement travaillé avec des groupes très éclectiques ?
(rires) C'est vrai qu'on ne m'a encore jamais vu sur un projet strickly reggae, hormis peut-être avec le Conquering Sound. Mais en fait, le reggae c'est ma musique de prédilection. Quand tu me croises avec un casque sur les oreilles, 90% du temps, c'est du reggae que j'écoute. C'est le son que je kiffe depuis que je suis gamin, ce sont les textes de Bob Marley qui m'ont donné envie d'apprendre l'anglais et surtout de savoir de quoi il parlait. En effet, je trouvais ça tellement touchant et puissant qu'il fallait donc que je comprenne ce qu'il disait.
Le reggae est donc très présent dans ma vie. A l'époque, il y avait une radio qui émettait depuis les côtes gambiennes et qui diffusait du reggae 24/24. Tu pouvais passer dans un village paumé en Gambie à deux heures du matin et tu croisais un vieux sous son arbre en train d'écouter cette radio avec Burning Spear ou Gregory Isaacs, etc ! J'ai baigné dedans.
Le premier groupe que j'avais au Sénégal, bien évidemment on ne faisait pas qu'un style, on jouait du mbalakh, du reggae, etc. J'ai, de toute façon, toujours été dans un univers assez éclectique ayant grandi au Sénégal, pays avec de nombreuses cultures. Au bal, je pouvais me retrouver à danser le zouk par exemple, chez un pote j'écoutais tel ou tel style de musique, etc. Mais c'est toujours le côté reggae qui m'a le plus interpellé.
Pour revenir à propos des Roots Doctors, ce projet reggae il a déjà avorté deux fois et au bout de la troisième fois, je me suis dit : "Là, il faut absolument y aller, sinon je ne le ferai jamais" (rires). Et il y a l'âge aussi ; mais ce projet c'est avant tout un cadeau que j'ai envie de m'offrir.
Concernant le nom du groupe, le reggae serait-il donc un bon médicament ?
Tout à fait ! Le nyabinghi, c'est le heart beat. Le reggae est très puissant, il est à l'intérieur de toi-même ! C'est quelque chose de très fort, même si certains artistes en ont perverti l'esprit, notamment avec des textes slackness où la spiritualité et le respect de la femme et de l'autre en général sont totalement absents. Avec les Roots Doctors, je voulais faire un projet roots et conscient qui serait issu de ce reggae que j'ai connu en grandissant. Le reggae m'a beaucoup aidé, puisque certaines paroles de Burning Spear m'ont permis d'ouvrir les yeux sur beaucoup de choses par exemple, ou encore le groupe Culture qui sont des rastas profonds et qui te sortent une philosophie dans une seule chanson. C'est avec ces gens-là que j'ai grandi.
Pourquoi avoir sorti un EP peu de temps avant l'album ? S'agit-il juste de promotion ou est-ce plus compliqué ?
En fait, on s'est retrouvé dans une espèce de piège. L'album est en autoproduction, même si Youz Prod, une structure à Mâcon, nous a permis d'obtenir les premières subventions afin de faire appel aux musiciens qui ont enregistré l'album. Et puis des concerts ont commencé à tomber et il a bien fallu qu'on présente quelque chose de concret au public en attendant que l'album arrive. Avec Maxxo on a donc décidé de sortir cet EP avec les quelques morceaux qu'on avait déjà sous la main. Ça rejoint un peu le procédé du single, puisqu'on retrouvera ces quatre morceaux sur l'album.
L'album est essentiellement reggae, mais on écoute quand même un peu de hip-hop, notamment sur "Teach Dem"...
Bien sûr. Et il y a aussi "Nuttin'" où on a invité le rappeur Dynamic, qui a justement dynamité le mic, si je puis dire les choses ainsi (rires). Mais on aime bien cette saveur-là aussi ; il ne faut pas que les gens oublient que le hip-hop vient du reggae. Il faut donc rappeler le lien entre ces deux genres musicaux. Je n'ai pas envie non plus de me mettre trop de restrictions, même si, je le répète, je voulais que l'album sonne reggae dans son ensemble.
On sent également que vous avez pris soin de réaliser des arrangements de qualité ; le mix est aussi très propre. Vous vous êtes vraiment cassé la tête pour tout le travail de postproduction ?
Pour les arrangements, c'est Maxxo qui les a faits. C'est lui qui a réalisé l'album. On a tout fait pour que les arrangements collent à la voix. Et Maxxo étant un perfectionniste, il s'est effectivement cassé la tête pour aller au plus près de ce qu'on voulait... et c'est partiel pour le mix, on a tout suivi et se concertant on a fait refaire des choses pour toujours rester dans ce qu'on avait envie d'entendre. Ça ne veut pas dire que tout est parfait mais on apprécie les résultats et on remercie tous ceux qui ont bossé avec nous et qui ont joué le jeu.
Ce projet des Roots Doctors s'inscrira-t-il dans la durée ou est-il juste éphémère ?
J'espère que ça durera ! J'aime ce projet et ce qu'il donne maintenant. Tout ce que je souhaite, c'est que ça puisse marcher, même si je suis conscient que le chemin est long. Mais ça fait longtemps que j'en rêvais, je ne vais pas donc pas le laisser partir si facilement (rires).
Revenons maintenant au No Logo. Tu vas te produire ce soir en sound system au côté des Dub Invaders, autrement dit les High Tone. Quel effet ce te fait-il de jouer avec eux ?
Les High Tone sont des frères pour moi. Je vais faire l'ancien, mais je les ai connus alors qu'ils avaient à peine 18 ans et que j'étais déjà dans la vingtaine passée (rires). J'ai vu leurs premiers concerts, j'ai vu leur évolution et surtout l'amour qu'ils ont pour leur musique. Ils ont fait le tour du monde avec ce projet. Et quand ils voulu se reposer un peu, ils se sont dit pourquoi pas faire du sound system également, sachant qu'ils kiffent cela : il y a une certaine liberté en sound system que tu n'as pas avec un band. Ils m'avaient déjà invité une fois à Lyon, puis je suis parti avec eux sir quelques dates. Honnêtement, c'est un vrai plaisir d'être avec eux, puisque c'est vraiment une famille.
Est-ce que ça change quelque chose de se produire avec eux en sound system, vu qu'ils ne jouent pas exclusivement du reggae/dub ?
Oui, forcément ! D'habitude, en sound system, on fait du roots, du rub-a-dub, tu balances quelques pull-up, etc, le truc habituel quoi ! Les Dub Invaders, eux, ont une musique assez évolutive, il faut donc être très attentif, c'est un freestyle total ! (rires) Cette largeur qui existe dans leur musique fait qu'on ne se retrouve pas dans une session sound system traditionnelle. Et on se rejoint donc là-dessus, puisque j'aime bien cet éclectisme. Des groupes comme High Tone, Le Peuple de l'Herbe ou Kaly Live Dub sont issus de cette riche scène lyonnaise. Beaucoup de choses se passent à Lyon, il y a de très bons musiciens, autant formés sur le tas qu'au Conservatoire. Par exemple, Yann, notre bassiste, vient du Conservatoire et il joue plus dans des groupes de jazz, mais ça ne l'empêche pas de faire de la cumbia, de la soul ou du reggae. Plein de jeunes montent leurs projets sur Lyon actuellement, c'est cool !
Qu'en est-il de NMB Afrobeat Experience ? Un nouvel album, une tournée de prévus ?
On a un album qui est au congel', on le sortira en temps voulu. Que les gens qui aiment ce projet restent à l'écoute : ils vont devoir patienter un peu, mais ça arrivera au moment opportun. At the right time, comme le titre de l'album avec les Roots Doctors ! (rires)
Un dernier mot pour La Grosse Radio ?
Un gros BIG UP à vous ! Je vois tout le boulot que vous faites, et pas uniquement sur ma musique. Vous écrivez sur beaucoup d'artistes et le reggae en France a besoin de médias comme le vôtre. Vous faites le pont entre ceux qui produisent et ceux qui écoutent et vous le faites super bien. J'ai d'ailleurs un pote qui écoute La Grosse Radio chez lui en continu (rires). Bonne continuation à vous !!
BIG UP à toi également Sir Jean !! Merci de nous avoir accordé cet entretien !! Et BIG UP à tout le band des Roots Doctors !!
Crédit photos : Live-i-Pix