Peu de temps après leur concert au Grand Bastringue le 8 juin dernier (le gros report ici), nous avons sollicité les deux acolytes de Mahom pour une interview. Alors qu'ils se trouvaient à leur stand de merchandising, nous avons ensuite arpenté les longues allées de l'abbaye de Cluny afin de nous installer posément et religieusement puis commencer l'entretien.
Joris et Toinou ont bien accepté de nous parler en détail de leur dernier album, King Cat (la grosse chronique ici), tout juste sorti en mars chez ODGProd et Flower Coast. Ils reviennent sur les étapes de la composition, la collaboration avec Panda Dub et sur les thématiques de cet opus.
Bonjour Mahom, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Parlons tout d'abord du titre de l'album, King Cat. Vous vous prenez pour des rois maintenant que vous avez travaillé avec Panda Dub ?
Joris : (rires) Ça commence très fort ! Non, bien évidemment, ce n'est pas pour cela ! (rires). En fait, nous avons tout simplement choisi de représenter l'histoire de King Kong en version chat ainsi que l'animalité qui existe en chacun de nous au milieu d'un univers urbain. Dans quelles mesures est-on humain ou animal ? La vraie question à se poser d'ailleurs est justement de savoir si aujourd'hui les animaux ne sont pas plus humains que nous, puisque là réside la vraie problématique de King Kong : un animal détesté que tout le monde veut tuer et qui tombe amoureux d'une humaine. Cette histoire nous a touchés et c'est ce qu'on a voulu mettre en avant.
Toinou : En effet. Tout est justement parti de l'histoire de King Kong et de cette image sur la pochette. Ça a été un déclic puisque ça faisait six mois qu'on cherchait un nom et un concept pour l'album et à partir de là tout s'est enchaîné et embrayé logiquement.
Peut-on également y voir un parallèle avec King Tubby, le fondateur du dub ?
Joris : Pour le coup, vraiment pas ! Mais c'est une analyse qui est la bienvenue, tout le monde peut y trouver du sens dans ce titre. Ça n'a rien à voir avec King Tubby, mais merci d'y avoir pensé, c'est cool !
Pour revenir sur l'aspect urbain, est-ce la raison pour laquelle vous avez développé un côté trap et hip-hop sur l'album ?
Toinou : Le côté urbain est ancré en nous, ça fait partie des choses qu'on écoute, qui nous influencent et des barrières qu'on ne se met pas ou qu'on évite de se mettre. On a toujours aimé mélanger les styles et ça a donc donné cette couleur urbaine avec le projet dub de Mahom. De toute façon, depuis le début, on ne s'est jamais cantonné à un seul genre en particulier. De même, lorsqu'on compose, il arrive qu'un morceau peut prendre une dimension complètement différente six mois plus tard ; ainsi, un hip-hop peut vite se transformer en stepper par exemple, alors que la trame initiale était plutôt roots ! Comme tous les autres styles, le hip-hop fait partie de cette liberté qu'on aime prendre dans nos productions.
Quel a été le véritable rôle de Panda Dub, qui a été le directeur artistique sur cet album ? Aviez-vous déjà des pistes prédéfinies avant son intervention ?
Joris : Oui, tout à fait. Quand on lui a fait la demande pour la direction artistique, on avait déjà créé pas mal de sons, une vingtaine en l'occurence. Certains étaient déjà bouclés, car assez fluides, mais on cherchait à en améliorer et à en faire évoluer, mais il est arrivé un stade où on bloquait sur certaines choses et c'est là que Panda Dub est intervenu. Ainsi, il a amené un regard neuf, une autre écoute sur nos morceaux. Tout d'abord, il nous a aidés à faire une sélection sur les titres à conserver (au final, on en a gardé que 12 sur 20), mais sans qu'il nous impose quoi que ce soit ; le but n'était pas d'obéir à tout ce qu'il nous disait, il y a eu des débats entre nous. Cependant, on lui a relativement fait confiance, puisqu'il n'est pas arrivé là où il est par hasard.
Puis, une fois qu'on a choisi les morceaux, nous sommes entrés dans la phase véritablement artistique et il nous a conseillés d'aller à fond dans les directions que nous voulions prendre. Par exemple, sur "Blue Hole", titre que nous avons beaucoup travaillé ensemble, il fallait faire en sorte que ce soit un tunnel, c'est-à-dire que même dans le break au milieu du morceau, on devait avoir l'impression que la basse et le kick continuent à jouer alors qu'ils se sont arrêtés, un peu comme en free party (c'est lui qui nous a fait cette analogie). C'est de cette manière qu'on a procédé, à aller plus loin dans nos orientations.
C'est donc plus sur la partie technique qu'il vous a aidés que sur la partie musicale alors ?
Toinou : Oui et non. C'est vrai qu'au niveau technique, on a beaucoup échangé, puisqu'on travaille sur le même logiciel. Chacun a sa petite recette et on a, pour ainsi dire, mixé nos méthodes. Quant au côté artistique, comme le montrait Joris, il nous a poussés à aller jusqu'au bout de ce qu'on voulait faire. Par exemple, pour "Sound Conspiracy", on a composé pratiquement un nouveau morceau par rapport à ce qu'on avait initialement. Ça a plus été du cas par cas sur chaque titre en fait.
Autre personnage présent sur l'album, Green Cross sur "Digital Badness", qui fait partie du label Brigante Records. Ce dernier développe actuellement un reggae/dub dit vapor. Est-ce une source d'influence pour vous ou au moins quelque chose dans lequel vous baignez ?
Joris : Alors on ne va pas se mentir, on ne baigne pas dedans. Je commence tout juste à découvrir ce monde-là. Je sais qu'il existe et qu'il a suffisamment d'influence aujourd'hui, c'est la raison pour laquelle il faut être à l'écoute de ce qu'il se passe et ne pas rester dans notre petite paroisse. On est d'ailleurs dans l'abbaye de Cluny, l'analogie passe donc très bien (rires) ! On sait ce que fait tout le crew avec Biga*Ranx, Atili, Green Cross et on peut même évoquer Chaton qui est également dans cette veine-là. Je trouve ça très stylé tout ce qu'ils composent mais ce n'est pas ce que j'écoute à la maison. Par contre, écouter de temps en temps pour savoir ce qu'il se produit, c'est essentiel et très important. Et quand on fait le choix de Green Cross c'est clairement un message pour dire qu'on ne veut pas rester dans notre caste de stepper qui poutre ou de dub méditatif. Le vapor dub est très intéressant, il faut en prendre une partie bien évidemment.
Et le riddim est dans la lignée des prods de Manudigital, entre dancehall et reggae digital. C'est quelque chose de radicalement nouveau pour vous. Comment vous est venue l'inspiration pour la composition ?
Toinou : C'est Joris qui a commencé à travailler dessus et effectivement ça ressemble à du Manudigital. Joris est arrivé un jour en m'annonçant : "J'ai un nouveau son ! Manudigital style !" (rires)
Joris : Tout à fait. Je me suis levé un dimanche matin et j'avais envie de faire du son, comme bien souvent d'ailleurs. Et je me suis dit : "J'ai encore jamais fait un riddim digital de ma vie, c'est le moment !". Et en effet, ça fait un moment que je regarde les vidéos de Manudigital et je les trouve hyper fun ; pas forcément pour la musique, mais plus pour le délire qu'il y a autour. Par exemple, la session en Jamaïque dans une cage d'escaliers avec Junior Cat est juste énorme où tout le monde se bat pour avoir le micro. Il va jusqu'au bout de son trip et c'est génial ! Et puis j'aime bien aussi le côté vintage du Casio-MT 40. J'ai donc commencé par faire le riddim puis on l'a amélioré ensemble par la suite.
Et il a justement été composé sur le Casio MT-40 ou sur un clavier similaire ?
Joris : Non, non, pas du tout, c'est de l'ordinateur total (rires). Avec les plug-in et ce genre de choses, on peut tout à fait copier cela aujourd'hui, ce n'est pas un problème. C'est vrai que ce serait mieux d'avoir le clavier, tout d'abord parce que c'est plus simple ; tu le branches et tu as le son qu'il faut. On a fait ça avec notre matériel, on n'est pas allé se racheter d'autres machines.
Vous avez évoqué Chaton qui mélange reggae/dub vapor et chanson française. Bisou, en feat. avec Suzanne Léo, a également proposé un morceau dans cette vibe avec "On sera beau" (voir ici). Vous même, vous avez repris "Le Temps de l'Amour" de Françoise Hardy avec Luiza. Le dub français, qui a pourtant toujours mêlé énormément d'influences, ne s'est encore pas trop aventuré du côté de la chanson française. Est-ce une direction à prendre selon vous dans les années à venir ?
Toinou : "Le Temps de l'Amour" est la première chanson qu'on fait en français, d'habitude c'était toujours en anglais, et d'autant plus que ce ne sont pas des textes qu'on a écrits. Mais en effet, je pense que ça peut être une direction à suivre, puisque le texte a une influence tellement forte. Quand on regarde "Le Temps de l'Amour", le texte se suffit à lui-même, il te transporte. En ce qui concerne Bisou, les paroles sont très fortes également ; Suzanne Léo se situe d'ailleurs dans cette mouvance de chanteuses actuelles comme Angele ou Alice et moi qui ont des textes avec beaucoup de sens. On peut même évoquer des Orelsan ou des Eddy de Pretto qui, même s'ils se posent des prods de malade, ont des textes qui portent à eux-mêmes les morceaux.
Pour revenir au dub, c'est vrai qu'on a cette facilité de mettre de l'anglais, mais dès lors que tu veux écrire en français ça devient plus difficile, puisqu'il faut immédiatement que ça ait du sens, sinon ça fait trop reggae sunshine ! Il y a donc quelque chose à gratter de ce point de vue-là. "Le Temps de l'Amour" parle de partage avec la famille, les copains, les amoureux, etc, ce sont des choses que tout le monde vit. C'est exactement ce qu'on fait depuis le début avec Mahom, sauf qu'on le traduit en musique. Mais là, il y a des mots et on passe à un niveau supérieur. Si tu arrives à tomber sur la bonne personne avec les bons textes et que tu trouves une alchimie avec ta musique, tu peux aller très loin.
Le morceau "Waves" évoque selon moi Improvisators Dub, qu'il s'agisse du rythme, des mélodies, du skank et du sax en toile de fond. Est-ce un hommage que vous avez voulu rendre au groupe ?
Joris : Alors en fait on a forcément toutes ces influences en nous. J'ai découvert le dub avec High Tone, Brain Damage, Improvisators Dub, Zenzile, Löbe Radiant Dub System, etc (la liste est longue), mais on ne s'est pas nécessairement inspiré d'Improvisators Dub sur ce morceau. Mais quand tu parles du sax, ça me fait penser à l'album Rrrrumble dans lequel il y a des morceaux incroyables au sax. Par contre, le seul moment où on s'est littéralement inspiré d'un dub français, c'est sur "Prisme", titre assez lent et méditatif de l'album, raison pour laquelle on ne le joue pas en live d'ailleurs. Il fait référence à un morceau d'High Tone dans A.D.N dans lequel un kick techno vient se glisser ; et dans "Prisme", on a fait exactement la même chose. Il s'agit donc clairement d'un big up à High Tone.
Quelque chose à ajouter ?
Toinou : BIG UP La Grosse Radio !! C'est toujours un plaisir de lire vos critiques ; c'est pertinent et totalement subjectif comme j'aime.
Joris : J'aime bien le mot "subjectif" que vient d'employer Toinou. Pour beaucoup de gens, il faudrait que le journalisme soit objectif, alors que c'est complètement faux. On aime lire La Grosse Radio, parce qu'on sait que vous avez un point de vue sur les artistes et leurs albums. Je plussoie donc Toinou dans ce sens et je ne dis pas cela parce que vous écrivez de belles choses sur nous ; quand vous faites une chronique, je pense que vous êtes sincères et le jour où on fera quelques chose qui ne vous plaira pas, vous le direz. Et je trouve ça cool ! Longue vie à La Grosse Radio !
Longue vie à vous également les Mahom ! Merci de nous avoir accordé cette interview !
BIG UP aussi à Baptiste de Flower Coast et à Maxime Nordez d'IWelcom pour avoir organisé cette rencontre !