5ème dition. En cette année 2019, le Nomade Reggae Festival de Frangy (74) a atteint un nouveau cap, et non des moindres, celui de la stabilité. Il est aujourd'hui devenu l'un des plus importants événements strickly reggae dans l'Hexagone et ce, seulement quatre ans après sa création. En termes de fréquentation et de têtes d'affiche, il est ainsi définitivement installé dans le paysage reggae français.
Posons donc les choses d'emblée : "Cette édition 2019 aura encore été un grand succès", selon les dires même de Bafing Kul, le porteur du projet. Ainsi, l'organisation, consciente de certaines lacunes, a tiré les leçons des erreurs passées et a encore amélioré certains aspects : des sanitaires plus nombreux sur le camping, un parking réservé aux camions, moins d'attente au bar, etc... Il reste forcément des choses à revoir (notamment le stand de restauration, le manque de zones ombragées ou de points d'eau potable d'après les remarques des festivaliers), mais il est indéniable que le Nomade Reggae Festival progresse. A son rythme, certes, mais il progresse et il évolue.
Et surtout, insistons bien là-dessus, gardons à l'esprit que le festival a, bien évidemment, une vocation culturelle et musicale, à savoir la diffusion du reggae et la découverte de la Haute-Savoie, mais aussi une visée sociale et humaniste, puisque les bénéfices sont alloués à la construction d'un centre de santé dans la commune de Sanankoroba au Mali (voir ici). Cela mérite le respect, puisque peu de festivals de cette envergure s'inscrivent dans cette démarche caritative.
Par conséquent, c'est sous un déluge de good vibes que s'est déroulée cette cinquième édition. Le soleil était au rendez-vous et de manière beaucoup plus supportable par rapport à la canicule de 2018 et le public a répondu en nombre à l'appel, de même que les artistes. La programmation était justement riche en têtes d'affiches ainsi qu'en découvertes : Frangy, the place to be ! Qu'on se le dise !
Conformément aux années précédentes, le festival s'est ouvert par une journée consacrée au dub et à l'electro. S'il était extrêmement difficile de faire mieux que 2018 concernant le line-up (Jah Shaka, Mad Professor, Lee Perry, High Tone et O.B.F), le programme était tout de même alléchant cette année avec des facettes très diverses : Le Peuple de l'Herbe, Biga*Ranx, Brother Culture, Kanka et Paria Binghi.
Mais rappelons tout d'abord que c'est au rythme des sélections du Little Lion Sound System que les massives ont pénétré sur le site en ce premier jour. Le crew genevois, en compagnie de ses homologues de Derrick Sound et avec qui il a fondé le label Evidence Music (dont on vous parle régulièrement sur le webzine) a officié durant tout le week-end pour apporter le maximum d'ondes positives aux spectateurs.
Moins de roots qu'avec le Shining Sound System des années précédentes, mais une playlist axée autour du rub-a-dub et du dancehall, voire même du moombahton et du hip-hop. Au cours de ces trois jours, nous avons donc pu entendre Barrington Levy, Half Pint, Ini Kamoze, Eek A Mouse, plusieurs fois le massif "Rock Stone" de Stephen Marley, Capleton & Sizzla, le "Who Knows" de Protoje & Chronixx, des dubplates sur le "Next Episode" de Dr Dre, le "Watch Out For This" de Major Lazer, des sessions consacrées à Manudigital ou à Bob Marley, le "Spank" d'High Tone et, bien évidemment, quelques productions made in Evidence Music, telles que "Turn It Up Loud" de Skarra Mucci ou le remix de "Burn Dem Up" de Capleton par L'Entourloop.
Bref, c'était lourd et massif, c'était percutant, c'était mad et les massives scotchés au mur d'enceintes auront démontré que les dub corners font aujourd'hui définitivement partie intégrante des festivals reggae.
Il est temps maintenant de nous intéresser aux groupes qui se sont relayés sur la grande scène. Commençons donc logiquement par celui qui a ouvert cette cinquième édition du Nomade Reggae Festival, j'ai nommé Paria Binghi.
Bérurier Noir, Rage Against The Machine et High Tone. Avec des références comme celles-ci, on ne peut que souscrire au son de Paria Binghi, puisqu'il s'agit d'un véritable Carnaval des Agités sur scène, notamment de la part du machiniste, clavier, melodica et trombone (oui, oui, tous ces instruments à la fois), qui saute et bouge de partout. Comportement un peu plus introverti de la part du chanteur mais qui n'en demeure pas moins motivé en nous faisant part de ses conscious lyrics, en témoignent les morceaux "Paria" ou "Il est l'heure". Les riddims oscillent entre dub, reggae, hip-hop et ragga et on prend plein la face avec des grosses infrabasses. Vous l'avez compris, Paria Binghi, c'est l'énergie punk couplée à l'efficacité scénique de la mouvance dub live française avec un soupçon de raggamuffin. Seul hic, au cours de ce Concerto pour Détraqués, l'absence d'un troisième membre, le batteur ; mais on s'est consolé avec un hommage aux classiques, tels que le "Real Rock" (au trombone, obligé !) ou le "Peanie Peanie", déjà réactualisés par des certains Raggasonic il y a quelques décennies. Tiens, tiens...
A propos de Raggasonic (présents sur le Nomade Reggae Festival deux ans plus tôt), Daddy Mory et Big Red n'ont jamais renié leurs influences de la perfide Albion (pas si perfide que cela finalement) et notamment celles provenant de leurs MCs touche-à-tout. Brother Culture est de ceux-là, même si son set à Frangy était principalement articulé autour du dub. Backé par l'un des activistes du Little Lion Sound et donc, par la même occasion, d'Evidence Music, le Britannique a tout naturellement interprété certains de ses titres parus sur le label, à l'instar de "Dreadlocks Things" ou du désormais célébrissime "Jump Up Pon It" (titre également diffusé tout le week-end sur le sound system), repris par un public chaud bouillant et qui skankait comme un diable. En effet, à cette heure avancée de l'après-midi, le site commençait à se remplir très sérieusement au son de Brother Culture et de son selecta. Ceux-ci ne manqueront pas d'ailleurs de faire retentir un autre titre mythique, "Ghetto War", paru chez ODG.
Et c'est justement un dubmaker signé chez le crew tourangeau qui a fait son apparition sur la scène peu avant 20 heures, j'ai nommé Kanka. Plus besoin de présenter celui qui est l'un des pionniers du live machine dub à la française et qui a permis à celui-ci d'avoir une audience et une reconnaissance internationales. Et s'il a déjà travaillé avec des MCs tels que Brother Culture ou Biga*Ranx (présents le même jour au NRF), c'est en solo qu'il s'est présenté devant les massives pour un pur moment instrumental et musical, même si quelques chanteurs étaient virtuellement audibles tels que YT sur "Disconnect Yourself". Tout s'enchaîne toujours aussi parfaitement avec Kanka, son dub stepper à l'anglaise fait mouche à chaque instant, cependant on aurait préféré le voir jouer sur la sono du Little Lion Sound, cette configuration en sound system lui seyant mieux selon nous. En effet, bien que le public a réagi avec force et passion aux beats stepper du Normand, la proximité entre l'artiste et les spectateurs inhérente au sound system aurait permis à Kanka de mettre encore plus le faya. Mais ça, c'est juste notre avis.
Depuis la sortie de leur dernier album Stay Tuned... (la grosse chronique ici) en 2017, mais aussi et surtout via notre précédente rencontre avec eux en 2018 au Verjux Saône System (le gros report ici), force est de contaster que Le Peuple de l'Herbe a pratiquement abandonné l'electro et le dub pour s'adonner pratiquement exclusivement au rock et au hip-hop. Leur prestation à Frangy s'inscrivait dans cette lignée façon Beastie Boys des débuts, d'autant plus que DJ Pee n'était pas avec ses collègues ce jour-là. Départ définitif ou absence d'un soir ? Nous ne le savons pas, mais ce qui est sûr c'est qu'il n'y avait plus aucun des membres fondateurs du groupe au NRF et la formation se résume, instrumentalement parlant, au triptyque guitare/basse/batterie, même si on a vu Oddateee, la dernière recrue, taquiner les machines, ajoutant donc une corde à son arc. En effet, en qualité de MC, sa formation initiale, on l'a entendu interpréter "Abuse", "Who's got it" et deux reprises, l'une de Doug E. Fresh, rappeur américain, et l'autre de Burning Heads, les punks d'Orléans. Quant à JC001, l'autre MC, on le retrouvait pour certains des titres historiques du Peuple, à savoir "Herbman Skank" et l'incontournable "No Escape".
Et pour clore cette première soirée, le NRF avait convié Biga*Ranx, afin de nous partager son nouveau show, le Cassette Tour, dont on avait déjà pu avoir un aperçu au Grand Bastringue de Cluny (le gros report ici) en juin dernier. Le Tourangeau se produit donc tout seul sur scène, envoyant lui-même les riddims avant de se poser dessus, pendant qu'un écran fait défiler des images ensoleillées et sentant bon l'été et la plage derrière lui. C'est donc une configuration quasi sound system que Biga*Ranx a proposé, configuration qui s'éloigne de plus en plus de son reggae/dancehall initial avec des orientations clairement affichées dub et electro désormais, avec des influences passant de Rooty Step à St Germain. Les morceaux sont, pour la plupart, joués en extended versions et les parties dub occupent ainsi une large partie du concert, montrant, par conséquent, que Telly* (son pseudonyme de beatmaker) prend l'ascendant sur Biga*Ranx dorénavant. Alors bien évidemment, le flow est toujours aussi ravageur, mais ce n'est pas l'intérêt principal du spectacle, on se concentre plus sur l'aspect musical, notamment à la fin où l'auteur de 1988 balance un gros dub d'une dizaine de minutes transformant le site en dancefloor géant.
Crédit photos : Live-i-Pix