Après une première journée consacrée au dub et à l'electro (voir ici), le reggae stricto sensu fait sa grande apparition au Nomade Reggae Festival en ce samedi 3 août. Et chose non négligeable, ce sont les Jamaïcains qui font également leur entrée en scène, étant absents la veille. Des découvertes aux têtes d'affiche, ce sont eux qui donnent véritablement le ton pour ce deuxième jour. Les Français ne sont pas en reste non plus avec le pionnier Pierpoljak qui côtoie la nouvelle génération incarnée par I Woks.
Mais pour l'heure, c'est à I-Taweh qu'est revenu l'honneur d'ouvrir les festivités en début d'après-midi. Le public n'était pas encore tout à fait au rendez-vous, mais le peu de massives présents qui avaient décidé de braver les rayons ardents du brûlant soleil de Frangy ont bien réagi à la chaleur musicale propagée par le Jamaïcain. Car même s'il reste un inconnu pour la plupart des spectateurs, I-Taweh trimballe pourtant derrière un lui un CV prestigieux puisqu'il a déjà travaillé au côté des Mystic Revelation Of Rastafari ou de Sugar Minott, rien que ça ! Le chanteur possède donc une solide expérience de la scène, expérience qu'il partage avec son backing band, composé du clavier des Wailing Trees, de l'ancien batteur de Bigre, du bassiste de Broussaï et du chanteur d'Alibutton (agissant ici en qualité de guitariste/choriste). Et si I-Taweh s'adonne beaucoup au reggae roots des fondations, on ne peut que se satisfaire qu'il s'affranchisse de ce dogme par moments ; on retiendra ainsi la sublime interprétation de "Sunshine In My Eyes" aux incantations soul et blues renforcé par des cuivres et des percus envoûtants. Un avant-goût de son prochain album Reload à paraître bientôt et dont on vous reparlera assurément sur La Grosse Radio.
Notre dernière rencontre avec I Woks datait du même Nomade Reggae Festival en 2017 (le gros report ici). En cinq éditions, le groupe s'est justement produit pas moins de trois fois à Frangy ! Pas mal ! Mais normal, dès lors qu'on sait que Gé, l'un des MCs, et que le Reggae Mylitis, le backing band, sont originaires des montagnes. C'est donc à la son-mé qu'I Woks est venu jouer les tunes de son dernier album Tout Va Très Bien sorti début 2018 devant un public qui avait littéralement envahi le site pour accueillir le crew. Mais au-delà du duo, c'est plus la prestation exceptionnelle (on n'exagère pas) du Reggae Mylitis qui nous aura le plus surpris et séduits au cours de ce concert. Carré, propre, sans fioritures ni fausses notes, le jeu était impeccablement maîtrisé et terriblement groovy, d'autant plus qu'on a plus que kiffé l'intro sur un rythme dub stepper. Autrement, certains morceaux ont été relookés tels "A Table", passant du hip-hop au rub-a-dub ou "We Love This Story", transitant du rub-a-dub au rocksteady. I Woks est donc bel et bien devenu un groupe à part entière, Seb et Gé ont bien fait de supprimer le "Sound" dans l'intitulé initial.
Arat Kilo fait partie de ces collectifs qui représentent une facette plus cross-over dans les festivals reggae. Et d'après les dires du chanteur, c'était même la première fois qu'Arat Kilo se produisait dans ce genre d'événement. Pourtant, il y a fort à parier que les artistes n'auront pas regretté d'être venus à Frangy, tellement les spectateurs ont été conquis. Il faut dire qu'avec un son qualifié d'ethio-jazz, on n'a peu de chances de ne pas accrocher à leurs chansons. Pour faire court et caricaturer largement, l'ethio-jazz se rapprocherait assez de l'afrobeat (même s'ils ne sont pas originaires de la même région) tant pour la longueur des morceaux que pour l'omniprésence des cuivres. Ce sont justement ces derniers qui ont fait tout l'intérêt du concert et qui auront assurément remué les massives. Mais on a également apprécié le contraste des deux vocalistes, le chanteur prenant le parti du hip-hop pendant que sa collègue optait pour des timbres plus soul. Une belle découverte pour nous que fut Arat Kilo et qui devrait inciter encore plus les programmateurs à proposer des groupes extérieurs au reggae dans les festivals.
Au contraire, avec Pierpoljak, on n'est plus dans la découverte mais dans le domaine du connu, d'autant plus que lui aussi n'en est pas à son coup d'essai au Nomade Reggae Festival. Il était déjà présent lors de la toute première édition en 2015 alors qu'il se déroulait dans le gymnase voisin (il migrera ensuite sur le terrain de sport pour une plus grande capacité d'accueil) ; il l'a ainsi confié : "c'est très bien, ça évolue". On ne peut que souscrire à cette déclaration qui confirme que le Nomade Reggae Festival avance et progresse, comme nous l'affirmions dans notre report de la veille. Pierpoljak avait ainsi lui aussi l'air heureux d'être à Frangy afin de venir interpréter ses tubes qui ont fait sa renommée il y a une vingtaine d'années. Ce sont justement ces titres que tout le public a entonné d'une seule voix, raison pour laquelle l'auteur de "Je sais pas jouer", se plaît à appeler les massives "la chorale". Entre "Cultivateur Moderne", "Pierpoljak" ou "Le Mec Bien", aucun des classiques de PK n'a échappé à la setlist. Mais le chanteur ne serait rien sans son backing band constitué de musiciens au jeu solide ; on insistera avant tout sur la section rythmique qui a brillamment mené ce concert.
Soyons clairs d'emblée : à chaque fois que les Congos sont présents dans un festival, ce sont eux qui nous procurent les meilleures sensations. Après leur passage au No Logo en 2016 (le gros report ici), la troupe de Cedric Myton était de nouveau réunie au complet (soit quatre chanteurs), mais cette fois-ci, le quartet était backé par les Belges de Pura Vida. Après une introduction jalonnée de trois ou quatre morceaux qui ont montré l'étendue de la maîtrise du reggae music par le band, les quatre elders ont fait leur apparition sur scène de manière toujours aussi joviale et athlétique. Par conséquent, la devise "un esprit sain dans un corps sain" s'applique parfaitement aux Congos, puisque leurs conscious lyrics entrent en adéquation avec leurs exercices physiques. C'est ainsi une véritable osmose qui transparaît pendant le show entre le groove de Pura Vida et les interprétations magistrales de ce qui nous semble être la plus belle harmonie vocale de Jamaïque. "National Heroes", "La Le Bella", "Sodom & Gomorrow" et l'incontournable "Fisherman", tous entrecoupés de pull-ups, résonnent donc encore merveilleusement à nos oreilles. Longue vie aux Congos !
Après Capleton l'an passé (le gros report ici), ce fut au tour d'un autre représentant de la scène new roots jamaïcaine de faire escale à Frangy, j'ai nommé Anthony B, accompagné par le House Of Riddim Band. Faisant une entrée fracassante sur son mythique "Police" scandé également par tous les spectateurs, c'est à se demander si le singjay ne s'inscrit pas dans la tradition sportive des Congos. En effet, très agile et virevoltant sur scène, Anthony B exécute figures de gymnaste et grands écarts sans aucune maladresse. Lui aussi se veut donc, à la manière des Grecs, sain de corps et d'esprit, puisqu'Anthony B est également un véritable intellectuel (il nous présentera plus tard son livre en interview). Outre ces qualités physiques, on retiendra du show énergique du chanteur un hommage à Ini Kamoze, à Barrington Levy ou encore bien évidemment à Bob Marley via le célébrissime "One Love". Mais il nous a aussi gratifié d'un moment très touchant en invitant un enfant à le rejoindre sur scène lorsqu'il a interprété en exclusivité, "First Time I Falled In Love" un morceau extrait de son prochain album à paraître chez Baco Records. Anthony B est donc un artiste complet et passionné : curieux, romantique, véhément et exalté, il incarne toutes les valeurs du reggae music à l'instar de Bob Marley.
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