Depuis toujours, et ce même en dehors des enfants de telles ou telles légendes, la Jamaïque a eu de jeunes prodigues. Et si on peut citer parmi les monuments Freddie McGregor (à 7 ans), Dennis Brown (à 9 ans), Jacob Miller (à 13 ans) et Delroy Wilson (à 14 ans), on ne peut passer aussi sous silence la grande Nadine Sutherland qui, à l’âge de 11 ans est découverte par Bob Marley lors de la 1ère place d’un concours de chant en 1979 et signera pour le fameux label Tuff Gong, le classique "Starvation on the land" que lui a écrit Sangie Davis ainsi que l’album Until sorti en 1984. Dans les années 90, elle sort la bombe "Action" au coté de Terror Fabulous, un DJ de grande envergure de l’époque avec une voix rocailleuse comme celle de Buju Banton.
En 2015, Nadine Sutherland et Mad Professor lancent le projet "Inna mi blood" et c’est somme toute logique que sort cette année cet album qui saura ravir, tant les belles voix féminines que les sons rough de chez Ariwa, le savant mariage entre la Jamaïque, le Royaume-Uni, les États-Unis et Guyana, une rencontre de cultures et de styles.
L’album s’ouvre sur "Waggonist "avec un son dont on sait tout de suite qu’il est sorti de la tête du Mad professor, les choeurs sont enchanteurs et la voix sublime de Nadine fait toujours son effet où elle s’amuse, tout en les trouvant stupides, des personnes qui la prennent de haut, parce son succès, elle le doit à son travail et non pas forcément à eux. Le morceau comme la plupart de ceux de l’album sont allongés d’un mix de Mad Professor où reverbs et autres magies dub nous donnent des papillons dans le ventre.
Le morceau "It na go so" démarre avec les deux voix Nadine Sutherland/Black Steel avant que la chanteuse ne mette sa voix en mode singjay pour véritablement chevaucher le riddim avec une batterie au galop. Comme elle dit si bien :
« tout le monde veut vivre ses rêves, se sentir aimé, avoir quelque chose à dire
Tout le monde veut penser qu’il y aura un lendemain meilleur »
En ces temps incertains, une chanson qui fait chaud au cœur.
La Grosse Radio vous avait déjà parlé du titre "Inna me blood" que l’on retrouve sur cet album. Tant les batteurs que les percussions nous amènent loin, très loin sur ce morceau dans les fameuses collines Blue Mountains d’où Nanny, de l’ancienne tribu Ashanti du Ghana était une meneuse d’hommes à la rébellion contre l’oppresseur, comme un hymne aux Neg’marrons s’étant battus pour retrouver leur liberté.
"Je vois toujours Babylone forte et forte, je me demande ce qui n'a pas fonctionné,
mais je continuerai à chanter comme une Rastawoman."
Dans le même contexte, Marcus Garvey a aidé à la fierté du peuple noir, tout comme Bob Marley qui a ouvert les esprits au monde entier à travers un reggae prophétique, politique et révolutionnaire. Nadine Sutherland de sa voix puissante est la descendante et porte-parole de cette trinité jamaïcaine.
"Gallist" sonne comme un bon reggae roots teinté du mélodica d’Addis Pablo qui nous rappelle les beaux jours de " Java" de son père. Sur ce titre, elle y dénonce l’homme qui brise les cœurs, celui qui pense uniquement son ‘deuxième cerveau’ pour un plaisir égoïste. Mad Professor lors de la partie dubbée nous fait une belle démonstration de son talent et nous rappelle que s’il a un son bien à lui, il peut faire aussi sonner comme ceux sortis de chez Rockers, le label d’Augustus Pablo.
"Fabulous" sonne très rockers avec une caisse claire dans la rondeur, un savant dosage de son Mad Professor avec celui de Sly & Robbie (comme sur l’album avec Serge Gainsbourg par exemple) pour une chanson qui rend hommage à la femme en général, de celle qui travaille dure, des mères célibataires qui éduquent seules leurs enfants tout en citant la grande Louise Bennett, la grande poétesse, considérée comme la « mère de la culture jamaïcaine » , elle qui a travers ses écrits aimait rendre les gens ordinaires extraordinaires. Le "fabulous" ("fabuleux" dans le sens "cèlébre") étant appuyée par la voix puissante de Black Steel et celle en filigrane de Nadine Sutherland.
L’album se termine par un "Zion Gates" de toute beauté, différent du thème traité par Culture, Horace Andy, Dr Alimentado et Jah Lloyd, mais tout aussi prenant et passionnant. Avec ces chœurs et la rythmique, c’est un véritable gospel reggae que nous offre Nadine Sutherland, gospel dans ses origines signifie "évangile", on se plait à imaginer un chapitre supplémentaire au Nouveau Testament dont Nadine nous clamerait
"viens me suivre au mur de Zion".
Avec un titre comme cela, on la suit jusqu’au bout du monde ! et la version de Mad Professor nous donne envie de rester dans ce temple au reggae intemporel dans ce morceau qui appelle à l'unité :
"Tout le monde que vous connaissez, riche ou pauvre veut voir ses enfants grandir
Oui, nous avons l'air différent, mais nous nous ressemblons tous
Que nous soyons asiatiques, noirs ou blancs."
Tous les titres ont été écrits par la chanteuse et sont produits, enregistrés et mixés par Mad Professor pour son label Ariwa qui compte maintenant à son catalogue de plus de 350 albums !
Derrière les instruments, on retrouve des musiciens de renom qui oeuvrent la plupart pour Ariwa dont le fer le lance Black Steel aux guitares, à la basse et aux chœurs, Sgt Pepper, Cyrus Richard, Addis Pablo aux claviers, Drumton et Horseman à la batterie, ce dernier a aussi joué pour Little Roy, Max Romeo, Norman Grant (Twinkle Brothers), Jah Shaka, et aux percussions, on retrouve Cush Genesis. Nadine Sutherland faisant aussi les chœurs.
La pochette est en adéquation avec le titre Inna mi blood où l’on sent que coule effectivement dans les veines de la chanteuse, les esprits de Marcus Garvey, Bob Marley et Nanny, la célèbre Reine des Blue Moutains. Inna mi blood est un album qui se veut à la fois traditionnel et moderne, rouge (sang) révolutionnaire !
Nadine Sutherland - Inna me blood
Sorti le 11/09/2020
Ariwa Records
Disponible en LP, CD et sur toutes les plateformes de téléchargement légal
Tracklist :
1. Waggonist
2. It na go so
3. Inna me blood
4. Gallist
5. Fabulous
6. Zion gates
Photos et paroles (et traductions) avec l’aimable autorisation de Nadine Sutherland