The Architect – Une Plage sur la Lune

Pour peu que vous soyez des reggae addicts et que le patronyme de The Architect ne vous dit peut-être rien, vous avez déjà forcément croisé le quidam via ce big bad tune qu'est un certain "Dreader Than Dread". En effet, si tout le monde a principalement retenu les noms de L'Entourloop et de Skarra Mucci, l'autre artisan du morceau se trouvait être celui qui va nous intéresser aujourd'hui, à savoir donc The Architect.

D'autant plus que "Dreader Than Dread" figurait sur son premier EP, Foundations, paru en 2013. Foundations, en voilà un titre adéquat pour un architecte, musical, cela va sans dire, et qui posait ainsi ses fondations avec ce maxi à travers un son majoritairement hip-hop mais avec des ramifications reggae, soul, trip-hop, blues, jazz, etc.. Et d'ailleurs, le producteur nous rappelle, à bien des égards, un autre "constructeur", à savoir Imhotep, l'architecte (estampillé comme tel) d'IAM qui, lui aussi, à travers ses structures, utilise différents matériaux et notamment le dub (on vous conseille d'écouter ou de réécouter l'excellent Kheper Dub).

Ainsi, après ces Foundations, c'est avec un projet artistique plus complet que le beatmaker nous est revenu le 11 juin dernier via Une Plage sur la Lune, paru chez Face B et X-Ray Production. Par conséquent, ce n'est pas en Espagne que The Architect est allé bâtir des châteaux mais plutôt sur le satellite naturel de la Terre qui, pour l'occasion, devient un formidable terrain de jeux pour l'artiste et qui lui a donc permis de trouver l'inspiration pour ce premier album. La pochette est d'ailleurs très explicite à ce sujet.

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Il ne s'agira pas cependant de voir en The Architect une sorte de Neil Armstrong du sample ou du turntablism, à savoir un pionnier qui s'aventurerait pour la première fois en des terrains inconnus et percer ainsi une nouvelle frontière. La recette du Stéphanois a, de toute façon, déjà été élaborée par d'autres avant lui (Massive Attack, DJ Shadow, les activistes de Ninja Tune ou de Warp, etc...) et popularisée en France via Le Peuple de l'Herbe, C2C, Wax Tailor ou encore Chinese Man. Non, ce qu'il importera de souligner ici c'est une invitation au voyage, à l'évasion, au rêve, bref à tout ce qui vous permet de vous détacher de votre condition terrestre et de la routine quotidienne. Et pour ce faire, quoi de mieux que de lever la tête et d'observer l'immensité de l'univers qui s'ouvre devant vos yeux.

Et de ce point de vue, le pari est plutôt réussi ; Une Plage sur la Lune est en effet un condensé de ballades oniriques promptes à vous bercer en cette période anxiogène et bien que le tout soit structuré autour du hip-hop, il n'y a pas ici de trap bassu ou de dubstep dévastateur. L'on remarque bien quelques titres assez ruff, tels que le dancehall à base de global bass, "Run" en feat. avec la rappeuse Reverie, ou le dancehall latino "Baile De Sol" similaire aux expérimentations tropicales de l'un des transfuges de C2C, Greem, avec Alligatorz, mais même ces tracks portent en eux les germes d'une certaine délicatesse, d'une force tranquille. Et ce serait aller trop vite en besogne que de qualifier la démarche de The Architect de trip-hop, mais il y a un peu de cela en effet sur cet album.

En fait, s'il y avait une comparaison à établir, et pour rester sur un périmètre purement stéphanois, ce serait avec le Chickens In Your Town (la grosse chronique ici) de L'Entourloop qui comprenait des titres très chill ("Puff of Rhymes", "Lobster Shwarama", "Time To Grow") avant que le collectif ne s'oriente sur du stepper avec Panda Dub ou du gros rub-a-dub avec son deuxième opus et en prenant un sound system en guise d'illustration. De la même manière, le Sunset Cassette (la grosse chronique ici) de Biga*Ranx paru dernièrement se rapproche également de cette Plage sur la Lune, non seulement pour la référence aux astres, synonyme de détachement, d'évasion, de vacances, etc, mais aussi pour la candeur qui y est propagée.

Et d'ailleurs, si l'on s'est permis d'évoquer le trip-hop plus haut, c'est que le genre cher à Massive Attack ou Portishead doit énormément à la soul et on ne s'étonnera guère que The Architect en ait prêché la bonne parole sur son album, notamment  sur l'excellent "Boogie Dola" avec Troy Berkley & Killa P dans un hommage à George Clinton arrosé de funk ainsi qu'avec les réminiscences cuivrées des 70's sur "Crétin de Terrien" et que Le Peuple de l'Herbe avait déjà remis au goût du jour (via un certain N'Zeng qui officie désormais au sein de...L'Entourloop) ou encore sur "Rêve" avec un son hérité de James Brown et des claviers de Jackie Mittoo.

A propos de claviers, ceux que l'on entend sur le groovy hip-hop et soul "Peanut" nous porteraient presque à croire que The Architect et ses acolytes DJ Olegg et Kill Emil aient voulu nous livrer leur propre version du célébrissime "Organ Donor" de DJ Shadow (l'influence su Californien se ressent également sur "Sin Jaza"). On retiendra également sur ce track les voix féminines samplées qui apportent encore peu plus de douceur et de délicatesse, procédé maintes fois employé sur cette Plage sur la Lune, comme en attestent "Tigerz", "Nulle Part" ou le track d'ouverture et éponyme, résumant à lui seul tout l'album, dans un hip-hop très smooth façon Clouddead ou Boards Of Canada.

Et il n'en faudra pas moins que cette atmosphère détendue pour nous convaincre pleinement sur "Jacqueline", un morceau débordant d'amour et de suavité et qui vous pousse justement à chiller auprès de votre moitié en contemplant la Lune et les étoiles ; pardon pour le cliché légèrement mièvre, mais on assume, d'autant plus qu'on est persuadé que The Architect a volontairement opté pour cette ambiance quand on s'aperçoit qu'il a composé un "Darling", un hip-hop aux accents soul et introduit par un sample de...grillons ; on imagine donc parfaitement la scène face au clair de lune.

C'est donc un hip-hop fortement bigarré qui nous est proposé ici par le beatmaker. Et s'il est allé puiser dans la soul, le funk ou des mélodies sweet pour enrichir son boom-bap, on le retrouve également avec des sonorités plus exotiques telles qu'on peut les entendre sur l'arabisant "East Raw" en feat. avec Aaron Cohen et Chip Fu ou "Royom" avec Fliptrix et son environnement très méditerranéen. Quant à "Watch Me Dance", il compile toutes ces influences pour aboutir à un track digne de Chinese Man, le collectif marseillais ayant probablement inspiré The Architect. Quoi qu'on en dise, le beatmaking, le sampling et le turntablism se portent très bien actuellement en France et cela c'est plutôt une bonne nouvelle dans ce climat austère et morose.

TRACKLIST

1. Une plage sur la lune
2. Jacqueline
3. Run feat. Reverie
4. Crétin de terrien
5. Tigerz feat. Johaz
6. Darling
7. Peanut feat. DJ Olegg & Kill Emil
8. Baile De Sol
9. East Raw feat. Aaron Cohen & Chip Fu
10. Sin Jaza feat. Paz
11. Boogie Dola feat. Troy Berkley & Killa P
12. Watch Me Dance
13. Rêve
14. Royom feat. Fliptrix
15. Nulle Part & Ours Samplus

Artiste : The Architect
Album : Une Plage sur la Lune
Labels : Face B / X-Ray Production
Date de sortie : 11/06/2020

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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