Quand on avait découvert Abracadabra (la grosse chronique ici) de Kanka en 2015 et qu'il était sous-titré Chapter 1, on s'attendait forcément à ce qu'il engendre une suite. Pas cons les mecs, hein ! Bref, cinq ans et deux albums plus tard, le Normand nous a donc livré le deuxième chapitre de cette série intitulée Abracadabra le 5 octobre dernier chez ODGProd, le label tourangeau qui accueille les productions du dubmaker depuis...Abracadabra (Chapter 1).
Ainsi, comme pour fêter ces cinq belles années de collaboration, Kanka a invité sur son album l'un des fondateurs de la structure, en la personne d'Art-X, qui vient ici se poser avec son melodica. Et c'est là que réside l'une des différences fondamentales entre ce chapitre et le précédent, dans lequel ne figurait justement aucun featuring, chose peu commune pour Kanka, à l'exception notable de son premier album, Every Night's Dub, paru en 2003. Cependant, là aussi il s'agit d'une démarche inhabituelle pour le beatmaker, puisqu'il s'est entouré, non pas de MCs pour cet opus, mais d'autres musiciens. Exit donc les Brother Culture, Sr Wilson ou autres Biga*Ranx, place désormais à Art-X ainsi qu'à Ras Divarius.
Par conséquent, à l'instar de son prédécesseur, cet Abracadabra demeure, en tout et pour tout, strictement musical, strickly dubwise comme estampillé sur la pochette. Rares sont en effet aujourd'hui les albums de dub sans chanteurs et c'est donc en solo que notre Gandalf du mix s'est enfermé dans sa demeure secrète pour y préparer ses potions à base de reverb et de grosses basses.
Cependant, aura-t-il réussi à nous envoûter avec ses formules de sorcier du skank ? De ce point de vue, nous auront été plus que mitigés, la magie n'opérant pas complètement sur cet Abracadabra. Non pas que l'album soit une entière déception, l'ensemble est, comme à l'accoutumée chez le Normand, très bien produit, mais il manque quelques big bad tunes qui permettraient de porter le projet, comme l'on pouvait en retrouver sur les opus mythiques du dubmaker, de Don't Stop Dub à Watch Your Step en passant par Sub.Mersion ou Alert. Pour résumer, Kanka a fait du Kanka, en restant dans une posture classique sans véritablement prendre de risques, bien que quelques morceaux valent tout de même le détour. Ne soyons pas radicaux.
On était justement conquis dès l'ouverture de cet Abracadabra avec un "Waking Up" loud & heavy qui opère la synthèse entre le Dub Meltdown de Bill Laswell & Style Scott et le Scientist Rids The World Of The Evil Curse Of The Vampires de l'ingé son jamaïcain. La lourdeur et l'efficacité de la ligne de basse et la mélodie sortie tout droit d'un film d'horreur ou d'Halloween (ça tombe bien, c'est pile poil la saison) auguraient un album intéressant. On est pourtant très vite déstabilisés par un "Little By Little", certes composé avec beaucoup de classe, mais qui tombe rapidement dans la facilité, au même titre que le stepper "Now" qui nous rappellerait presque l'excellent "Time Flies", mais dans lequel il manque cette puissance du groove et de la mélodie qui ont fait la réputation de Kanka. Il faut d'ailleurs attendre l'ultime track de l'album, "Intuitions", pour écouter un stepper digne de ce nom et de l'artiste ; avec ses gimmicks très UK à la Zion Train et Vibronics et sa basse autant hypnotique qu'abyssale, force est de constater que Kanka sait nous séduire quand il se réapproprie ses fondamentaux avec brio.
A contrario, cette vibe efficace et accrocheuse fait défaut sur "Our Father Art" qui peine à nous convaincre par ses carences en terme d'originalité, au même titre que "Schuby Dub" dont les notes de piano n'arrivent pas à nous faire oublier la monotonie du track, malgré d'évidentes influences UK qui auraient pu nous satisfaire. Ras Divarius permet justement de sortir de cette routine avec cette superbe ballade qu'est "Elfy", le violoniste nous démontrant une fois de plus son talent après le désormais célèbre "Gypsy Dub" de Weeding Dub sur son Still Looking For (la grosse chronique ici) en 2015. On se demande d'ailleurs pourquoi Ras Divarius n'est pas plus associé que cela sur les productions dub hexagonales, tant la maîtrise de son instrument et de la mélodie apportent des plus-values réelles aux morceaux sur lesquels il est invité. Par sa délicatesse, "Elfy" est ainsi typiquement le genre de morceau qu'on se plaît à entendre en session sound system pour souffler un peu entre deux steppers survitaminés ; une vague de légèreté dans un océan de fougue et d'agitation.
Cependant, cet élan et cette spontanéité qui qualifient normalement Kanka n'ont quasiment, et malheureusement, pas droit de cité sur cet Abracadabra. C'est en cela que nous disions que la magie n'opérait pas véritablement ici, comme si le dubmaker n'avait pas laissé libre cours à son imagination pourtant débordante habituellement. C'est le constat que nous faisons sur le stepper "Invisible Dub" qui, bien qu'il puisse impeccablement fonctionner en live (n'ayons pas de doutes à ce propos), n'arrive pas à nous emporter. De la même manière, on est déçu par un "Moon Is Shining" qu'on ne peut apprivoiser du fait de sa langueur. Et une fois de plus, c'est avec l'un de ses featurings, en la personne d'Art-X (même si là aussi, il ne s'agit pas d'un des meilleurs morceaux du joueur de melodica), que Kanka réussit à nous faire revenir dans une vibe vive et frétillante à l'intérieur d'un album qui se révèle globalement en deça de nos attentes.
Qu'à cela ne tienne, on ne tiendra pas rigueur à l'auteur de "Skunky" d'avoir manqué d'ambition avec cet Abracadabra ; ce serait injuste de se montrer ingrat envers un producteur qui a été l'un des fers de lance de cette french dub touch qu'on apprécie tant, et même encore aujourd'hui, plus d'une vingtaine d'années après son éclosion.
TRACKLIST
1. Waking up
2. Little by little
3. Now
4. Moon is shining
5. Invisible dub
6. Create your world feat Art-X
7. Schuby dub
8. Our father art
9. Elfy feat Ras Divarius
10. Intuitions
Artiste : Kanka
Album : Abracadabra (Chapter 2)
Label : ODGProd
Date de sortie : 05/10/2020