Cinq ans. Cela faisait cinq ans que Major Lazer n'avait pas sorti d'album et à vrai dire, au fur et à mesure que les mois défilaient, on se demandait si la bande de Diplo allait véritablement remettre le couvert avec une galette qui se revendique comme telle. Les Major Lazer n'ont cependant pas chômé depuis la parution de Peace Is The Mission, l'opus qui les a définitivement propulsés sur le devant de la scène avec les tubes "Lean On" (merci DJ Snake) et "Light It Up" après le succès de Free The Universe porté par "Get Free" et "Watch Out For This". Entre les différents projets alternatifs de Diplo, les innombrables productions de Walshy Fire (notamment pour Koffee) et le remplacement de Jillionaire par Ape Drums, il s'est ainsi passé énormément de choses, mais le crew a enfin trouvé le temps de placer son skeud, Music Is The Weapon, dans les bacs le 23 octobre.
Mais si le collectif s'est montré muet en terme d'albums, il n'a pas non plus fait preuve de relâchement quant à la production ; on recense ainsi un EP très intéressant en 2017, Know No Better (voir ici) ou encore une quantité pléthorique de singles, de "Run Up" avec PartyNextDoor et Nicki Minaj à "Tip Pon It" avec Sean Paul, en passant par "Christmas Tree" avec Protoje (voir ici), sans compter toute une batterie de tracks destinés à annoncer ce Music Is The Weapon depuis pratiquement deux ans maintenant.
Mais d'ailleurs, ces cinq dernières années, force a été de constater que l'esthétique reggae/dancehall saupoudrée de trap et d'EDM initiée par Major Lazer et, dans une moindre mesure, par DJ Snake a conquis l'ensemble de la planète et des productions pop et ce, jusqu'à la variété française qui a justement injecté beaucoup de sons lazeriens dans ses morceaux. En cinq ans, Major Lazer, par l'entremise de Diplo, est ainsi devenu le groupe le plus influent au monde et on ne compte plus le nombre d'artistes (tant dans le mainstream que dans l'underground) qui se réclament, ouvertement ou sans l'avouer, directement ou indirectement, du collectif, et qui ont pompé "Lean On". Les ondes et les lecteurs mp3 ayant été envahis des ambiances et gimmicks élaborés par le crew, qu'il n'a finalement pas été si absent que cela.
C'est cependant ici que le bât blesse en ce qui concerne ce Music Is This Weapon. Si nous avions pu être agréablement surpris par les précédents albums de Major Lazer eu égard à un son radicalement novateur qu'on qualifiera très grossièrement de global bass, mais aussi et surtout au fait de pouvoir faire cohabiter stars de la pop et artistes dancehall jamaïcains, il se trouve que ce Music Is The Weapon ne répond pas exactement aux attentes que l'on se faisait des trois protagonistes du combo. Et ce, pour une seule et unique raison : Major Lazer a tout simplement surfé ici sur la vague qu'il a lui-même sillonnée en premier et ce, dans une posture très pop et dancehall/reggaeton. Les prises de risque et coups de théâtre qui ont pourtant été monnaie courante tout au long de la carrière du groupe brillent quasiment par leur absence sur cet album. On a donc découvert un LP qui se situe dans l'air du temps et qui ne se démarque pas par son originalité, privilège dont pouvait auparavant se parer Major Lazer.
Ainsi, si l'on voyait émerger une certaine cohérence entre ses trois premiers opus, le crew a ici définitivement abandonné, à de rares exceptions près, ce son ambitieux et épique pétri de basses abyssales qui nous avait mis tant de claques auditives au cours de cette dernière décennie. Des titres aussi puissants que déjantés tels que "Roll The Bass", "Blaze Up The Fire" avec Chronixx, "Watch Out For This" ou encore "Pon De Floor" et "Original Don" n'ont pas leur équivalent sur ce Music Is This Weapon. Diplo et ses acolytes ont ainsi cruellement manqué de fantaisie, de créativité et de folie ici. Est-ce la faute à un essoufflement de cette vibe éclectique prônée par le crew ou une volonté de se reposer sur ses lauriers après avoir constamment exploré de nouvelles pistes musicales ? Sûrement un peu des deux.
Et puis il faut bien avouer que cet album a été tellement teasé via, on le redit, un nombre pléthorique de singles déjà parus, que l'effet de surprise ne prend pas. Même le dernier en date, "Oh My Gawd", hommage à peine voilé à Black Uhuru, qui rassemble pourtant K4Mo, Nicki Minaj et Mr Eazi et qui demeure efficace à souhait, ne suffit pas cependant à nous convaincre ; on y retrouve effectivement la même ambiance que sur le fameux "Taki Taki" de DJ Snake et dans lequel étaient compilés tous les invariants des succès FM actuels que le Français avait contribué à populariser. Si bien évidemment, le track fonctionnait à merveille sur le dancefloor, DJ Snake se désolidarisait des kicks brillants et des breaks extravagants qui ont placé "Bird Machine", "Turn Down For What", "Sahara" avec Skrillex ou "Get Low" au panthéon des morceaux emblématiques de la décennie 2010.
Le constat est identique pour ce Music Is The Weapon. Si on avait kiffé "Watch Out For This" ou "Jump" avec Busy Signal, le Jamaïcain se pose ici sur un "Sun Comes Up" décevant en terme d'excentricité ; et le fait de convoquer la star colombienne du reggaeton J Balvin sur "Que Calor" ou French Montana sur "Bam Bam" (tiens, tiens), deux dancehall pour le moins classiques, n'y changera rien pour rattraper un défaut évident d'originalité.
Par conséquent, à propos de vibes dancehall, on se consolera avec Shenseea et BEAM sur "Tiny", le tonitruant baile funk "QueLoQue" avec Paloma Mami ou l'excellent "Jadi Buti" à tendance reggaeton qui arrive à nous emballer de la première à la dernière note avec ses références jamaïcaines, ses gimmicks authentiquement lazeriens dans le refrain et la présence de Nucleya et Rashmeet Kaur.
Et c'est d'ailleurs quand il reprend la recette fructueuse qui lui a permis de s'installer dans les charts que le groupe révèle ses meilleurs atouts. On en veut pour exemple le superbe "Rave De Favela" qui nous rappelle les premiers titres complètement barrés du crew, tout aussi réussis en matière de dancefloor que d'expérimentation, comme quoi le mélange de ces deux aspirations, a priori contradictoire, n'est pas inaccessible. "Can't Take It From Me" avec Skip Marley et "Hell & High Water" avec Alessia Cara, quoique moins spectaculaires, sont là aussi pour nous signifier que Diplo, dès lors qu'il conjugue le reggae avec le trap ou des influences electro, fait pratiquement mouche à chaque fois, les deux titres se situant dans le sillon de "Get Free".
Pour conclure, on s'attardera sur "Trigger" en feat. avec Khalid et "Lay Your Head On Me" qui, bien que non dénués d'intérêt avec des relents de soul, sont à l'image de ce Music Is The Weapon qui souffre de faiblesses artistiques et a du mal à nous faire planer de bout en bout. Diplo, Walshy Fire et Ape Drums, pour ce qui est apparemment annoncé comme le dernier album du crew, n'ont en quelque sorte pas réalisé leur chant du cygne ici. On aurait pourtant aimé que les trois compères fassent preuve d'un peu plus d'imagination, car si la musique est effectivement une arme, les flèches décochées par le groupe n'auront finalement pas atteint leur objectif avec cet album.
TRACKLIST
1. Hell and High Water feat. Alessia Cara
2. Sun Comes Up feat. Busy Signal & Joeboy
3. Bam Bam feat. BEAM & French Montana
4. Tiny feat. BEAM & Shenseea
5. Oh My Gawd feat. K4MO & Nicki Minaj & Mr Eazi
6. Trigger feat. Khalid
7. Lay Your Head on Me feat. Marcus Mumford
8. Can’t Take It from Me feat. Skip Marley
9. Rave de Favela feat. MC Lan & Anitta & BEAM
10. QueLoQue feat. Paloma Mami
11. Jadi Buti feat. Nucleya & Rashmeet Kaur
12. Que Calor feat. El Alfa & J Balvin
Artiste : Major Lazer
Album : Music Is The Weapon
Label : Mad Decent
Date de sortie : 23/10/2020