Il y a quelques jours, La Grosse radio Reggae annonçait ICI une interview spéciale de Komlan de Dub Inc. Pendant cette rencontre, nous sommes revenus sur beaucoup de sujets auxquels l'artiste a répondu avec sincérité et conviction. Ces propos on été recueillis le samedi 27 février.
LGR : Salut Komlan, tout d'abord je tiens à te remercier pour ta disponibilité. Notre dernière interview était pour la sortie du morceau "A travers les vagues" en mars 2019 ICI mais nous nous sommes recroisés le 13 novembre 2019 au Transbordeur de Lyon sur une date de l'album Millions qui est sorti le 27 septembre 2019.
Votre dernier concert remonte au 15 décembre 2019 au Zénith de Sainté où il y avait Taïro et la veille les Mexicains de Panteón Rococó. Votre album Acoustic est sorti quant à lui le 18 décembre 2020..
Comment ça va ?
Komlan : Ça va Rasdjoh ! La scène nous manque beaucoup, ça fait un an et deux mois que nous ne sommes pas montés sur scène. C'est inédit pour nous car, même pour des préparations de nouveaux albums, on joue toujours à l'étranger. Le fait de pouvoir défendre un nouveau projet hors de l'Hexagone nous permet d'étaler sur très longtemps nos tournées. On s'est rendu compte que ça ne nous est jamais arrivé de rester sur Saint-Etienne plus de trois mois depuis 21 ans. C'est un changement de vie radical.
Malheureusement, nous n'avons pas pu défendre l'album Millions suffisamment sur scène même si on a fait le Zénith de Paris, deux fois le Zénith de Saint-Etienne et celui de Montpellier. L'album est sorti le 27 septembre 2019. On a tourné un peu l'été pour le faire découvrir au public mais, réellement, les concerts étaient sur les mois d'octobre, novembre et décembre. On a fait de belles dates comme à Marseille ou au Summum de Grenoble avec Sinsémilia qui a été une énorme date. Il y a eu de beaux concerts avant de quitter la scène.
LGR : Oui, en effet vous avez fait de belles dates avec des salles complètes comme à Metz, Amsterdam, Caen, Toulouse, Barcelone ou encore à Lille.
A partir du 16 mars 2020 le confinement se met en place, comment ça se passe ensuite pour le groupe ?
Komlan : On est dans une course permanente et on travaille énormément. En étant indépendant, il faut assurer beaucoup de choses comme les dates, les promotions de l'album, le fonctionnement de notre boîte... Il faut dire que ce premier confinement s'est quand même bien passé et on en a profité. On a pu faire le morceau "Faut qu'on s'évade" qui a eu un accueil génial. C'est ensuite, au cours de l'année, que l'on a vu que la situation allait être plus longue, plus compliquée et que notre métier était vraiment en danger.
LGR : Justement, quels sont les avantages et/ou inconvénients d'être indépendant dans une crise comme celle-ci ?
Komlan : Les avantages et les inconvénients sont liés ! L'inconvénient est de ne pas avoir de grosses sociétés derrière toi qui peut aider à amortir les coups et coûts ! Et, en même temps, ne pas en avoir est un avantage car au moins tu sais où tu en es et comment tu peux gérer tes affaires. Si je parle de nous qui avons la chance de ne pas être une petite stucture, notre indépendance a éte pendant cette période une fois de plus une vraie force, c'est évident.
Grâce à nos bons choix financiers que nous n'aurions pas pu faire avec une grosse sociéte, on peut continuer de se projeter sur de nouveaux projets discographiques.Tous les membres de Dub Inc sont soudés et c'est un gros avantage. On n'a pas besoin d'une grosse productivité pour traverser cette période, on peut rester à notre rythme et voir comment on fait les choses.
Je refuse de me plaindre car, quand je vois beaucoup d'indépendants dans la galère, c'est dur... Si c'était déjà compliqué avant la crise pour certaines petites structures et petits groupes, ça va être difficile de la traverser. En voyant tout ça, on ne regrette pas du tout une fois de plus notre indépendance et, à travers cette crise, on voit que c'est un choix positif.
Tu sais, Rasdjoh, je ne minimise pas du tout le fait que c'est très dur aussi pour nous mais on n'a pas le droit de se plaindre nous Dub Inc, quand on voit certains.
Doc Inc 3 - L'indépendance.
LGR : Comment vous êtes-vous occupés depuis le premier confinement?
Komlan : On a tous profité de cette pause pour rester avec nos familles et ça fait du bien !
Quand on est en tournée et que l'on rentre sur Sainté, il faut gérer la structure, travailler sur les nouveaux projets, la promotion etc... on n'a pas trop le temps donc ce ralentissement a vraiment fait du bien à tous.
Il faut savoir que malgré tout on fait quand même de la musique ! On compose énormément et on prépare beaucoup de choses pour la suite, que ce soit en single ou en album. Cette période est spéciale et compliquée ! On peut avoir une inspiration parfois sombre et il y a en même temps tellement de choses à dire.
LGR : Oui c'est clair, et du coup on noircit peut-être encore plus vite les pages !
Komlan : Oui c'est ça, c'est marrant ce que tu dis, on peut faire un jeu de mots car les pensées sont assez noircies, c'est assez sombre et nous-mêmes parfois on peut être pessimiste. Notre rôle est de trouver une lueur d'espoir et d'exprimer nos reflexions sur le sujet.
LGR : Le titre "Faut qu'on s'évade" est sorti pendant le confinement le 8 avril, tu nous en parles ?
Komlan : Oui, ça a été un projet très spontané. Pendant ce premier confinement, on ne pouvait pas se voir du tout et tout le monde était chez soi. Tous les membres du groupe sont équipés à la maison d'instruments, de micros, on a tous un studio donc ça a été très rapide. En peu de temps, on avait déjà notre idée et le titre est sorti. Dans ce morceau, il y a quelque chose qui marche bien, il est lumineux, très dansant.
"Faut qu'on s'évade"
LGR : Ok ! Comme tu l'as dit, même si il y avait le confinement vous faisiez quand même de la musique. Vous étiez aussi sur le Cali Roots Riddim de Collie Buddz, tu peux nous en dire un mot ?
Komlan : A la base, le Cali Roots est un grand festival reggae qui se trouve en Californie. Dans les dates que nous aurions dû faire en avril 2020 et que nous avons perdues, on avait réussi à organiser une tournée avec le groupe Stick Figure qui était venu faire notre première partie pour quelques dates en France et en Espagne.
Cette rencontre a été superbe et il y a eu comme un échange. Ils sont venus rencontrer notre public et nous devions, nous aussi, rencontrer le leur sur quelques dates en Californie. Dès que le confinement a débuté, tout s'est annulé. Collie Buddz a proposé à tous les artistes qui auraient dû jouer au festival et à quelques autres de se poser sur le riddim. Bouchkour et moi l'avons fait avec grand plaisir d'autant plus que le riddim est bien réussi.
LGR : Dommage l'annulation de votre tournée en Californie !
Komlan : Oui, on avait huit dates en tout ! On partait de Seattle en bus-tour pour terminer au Cali Roots ! On étaient chauds !
LGR : Oui j'imagine bien.
"Resist and Fight" - Cali Roots Riddim
LGR : Tu nous parles un peu des acoustiques ?
Komlan : Quand on a vu que les concerts n'allaient pas repartir mais surtout que les vidéos acoustiques plaisaient, c'était obligé ! On s'est vraiment rendu compte que le public adorait les versions de nos voyages à l'étranger. Il est vrai que des vidéos comme "Enfants des Ghettos" en Côte d'Ivoire, "Exil" au Mexique, "Maché Bécif" au Burkina ou encore "Partout dans ce monde" à Goma en RDC sont pour nous de vrais cadeaux que nous faisons à notre public. Beaucoup de personnes souhaitaient avoir ces versions en audio donc l'album Acoustic est né.
On voulait faire une vidéo à Saint-Etienne et le choix de "Rudeboy" a été une évidence !
La colline sur laquelle on a fait le clip s'appelle un terril. Ce lieu se trouve à côté d'un puits de la mine de Sainté et pour nous Stéphanois, symboliquement c'est très fort !
Dans l'album on cite deux fois la mine et, pour tous les habitants, il y a eu un echo énorme et sur toutes les générations confondues.
"Rude boy" (version acoustique)
Ensuite on a fait à Paris le titre "Tout ce qu'ils veulent ". Pendant le mouvement des Gilets jaunes, le groupe recevait énormement de vidéos de manifestations où notre titre passait à fond ! Retourner à Paris pour faire cettte vidéo était pour nous cohérent.
"Tout ce qu'ils veulent" (version acoustique)
LGR : Il y a eu aussi les Doc Inc !
Komlan : Oui, ce sont de petites vidéos qui nous ressemblent et ce qui nous interesse, est de parler de choses vraies. Il y a eu des interviews de personnes au sein du groupe ou nos techniciens.
Par exemple, le gorille de la pochette de Millions est un symbole de résistance !
A l'endroit où nous avons fait le clip "Partout dans ce monde" à Goma, sur le lac Kivu, se trouve un parc régional où vivent des gorilles. Vu les intérets financiers avec le cobalt et tout l'or du lac, des multinationales mettent la pression pour s'approprier le parc et il y a des morts chaque semaine.
Il y a le documentaire passionnant Virunga sur Netflix qui se déroule où on a été. Il montre que ces gorilles sauvent cette région car elle est malheureusement coupée du monde... et même du Congo. Il montre également que grâce à WWF et d'autres institutions, cette région est protégée. Tant qu'il y aura ce parc, les grosses sociétés n'arriveront pas à faire ce qu'elles veulent dans cette belle région.Ce documentaire est incroyable, il faut vraiment le voir !
Le gorille a été déssiné par un artiste peintre congolais, Justin Kasereka.
Tout l'argent gagné de la sérigraphie réalisée a été envoyé au parc où vivent des gorilles.
Ces grands singes symbolisent plus que jamais la résistance et la difficulté qu'a l'Afrique à faire face à cette mondialisation. Virunga raconte ce que l'on veut exprimer par le choix de ce dessin. Avoir fait ces sérigraphies et l'expliquer dans les Doc Inc est cohérent avec ce que Dub Inc pense, c'est notre pensée !
LGR : Résistance jusqu'au bout alors !
La sérigraphie de la pochette Millions
LGR : Avec tout ça, c'est difficile de prévoir les prochains concerts ?
Komlan : Très difficile. On y a cru un peu pour cette année mais je pense qu'avec les conditions que nous imposent les protections sanitaires malheuresement ça ne sera pas pour cet été. Ce n'est pas nous qui décidons.
LGR : Vous avez des projets à court ou long terme ?
Komlan : Oui. On a notre studio à Sainté depuis deux albums donc on fait bien évidemment toujours de la musique avec le groupe. On espère aussi en profiter pour faire des collaborations car c'est l'ensemble du milieu qui est à l'arrêt. Il y a des artistes avec qui on veut travailler qui sont plus disponibles maintenant donc c'est bien.
On compose et produit énormement donc oui, il y a des choses qui arrivent !
LGR : Voilà une très bonne nouvelle pour tous ceux qui vous attendent ! Un petit mot sur la disparition de Tonton David ?
Komlan : Cela nous a tous touchés car c'est le premier !
LGR : Oui il faut le dire et le redire, c'est vrai !
Komlan : Avant, les seuls personnes qui existaient dans le reggae venaient de la chanson française comme Bernard Lavillier ou Serge Gainsbourg.
Concrètement, le premier à être arrivé avec des locks, le son reggae et raggamuffin, accompagné du style "débrouillard", était Tonton David. Je me souviens du premier Rapattitude au début des années 90, on était tout jeunes. On a tous vraiment aimé à l'époque le titre "Peuples du Monde". Tonton David était une personne avec un discours conscient, pacifiste et avec un bon flow.
LGR : Et ensuite il y a eu U-Roy !
Komlan : Daddy U-Roy fait partie des classiques de notre génération. C'est un artiste que j'ai écouté tout de suite en découvrant le reggae. J'aimais vraiment beaucoup ce style Deejay .
LGR : Un dernier mot pour ceux qui vont lire cette interview ?
Komlan : Ecoutez La Grosse Radio Reggae, moi je l'écoute ! Je l'ai toujours dans ma playslist... et, d'ailleurs, on va même se mettre La Grosse Radio pour se mettre bien !!!
Soutenez les médias qui nous restent car il n'y en a pas beaucoup qui parlent de notre musique donc il faut vraiment les soutenir, c'est important !
LGR : Merci Komlan.
Komlan : Merci Rasdjoh, avec plaisir.
Vous aurez tous bien compris que le groupe qui a reçu le prix du Groupe de reggae Français de L'année 2021 allait encore nous faire jumper prochainement car de très belles choses se préparent...
Quoi qu'ils disent Dub Inc est là !
Big Up !
Rasdjoh.