Après deux albums, des EPs en pagaille, des concepts vidéos en veux-tu en voilà , un opus de dub sorti l'année dernière (la grosse chronique ici) et que sais-je encore, Manudigital vient d'ajouter une nouvelle corde à son arc de reggae addict en publiant un Manudigital Meets Rastar All Stars le 23 juillet. Et surtout, il a pu enrichir son incroyable palmarès de collaborations vocales qui s'étend désormais de Sizzla à Anthony B en passant par Half Pint ou King Kong.
Pour le coup, on ne retiendra que les associations avec les Jamaïcains, car ce Rastar All Stars, à une exception près, est exclusivement composé de tracks avec des artistes yardies. Et pour cause ! Rastar Records, vous l'aurez deviné, est un label établi à Kingston et il a pu s'enorgueillir d'avoir enregistré une belle palette d'a capellas, extraits vocaux qui n'avaient jusqu'alors pas trouvé preneurs pour garnir tel ou tel riddim. Et c'est là que Manudigital intervient.
En effet, la maison de disques a laissé le beatmaker piocher dans cette caverne d'Ali Rasta afin de s'approprier quelques-uns de ses enregistrements et les rendre vivants et non pas enfouis au fond d'une remise. Manudigital a ainsi mobilisé tout son savoir-faire de compositeur, ainsi que d'autres musiciens, tels que Pokito ou l'ancien batteur de Biga*Ranx, Alexis Bruggeman, pour habiller les voix, entre autres, de Linval Thompson ou Akae Beka, auparavant connu sous le nom de Midnite, groupe des Iles Vierges produit par un certain label nommé Rastar Records.
Il se trouve cependant qu'Akae Beka n'était pas spécialement réputé pour ses instrus digitales ou electro. Mais alors que diable Manudigital est allé faire dans cette galère ? Et bien, Manudigital non plus n'a pas concocté uniquement que du gros rub-a-dub pêchu ou du dancehall ; ce serait en effet méconnaître la démarche du personnage que de le réduire au seul rôle de producteur de digital, puisque sa discographie recense à peu près tous les styles de reggae.
Et c'est d'ailleurs par un one drop à l'orchestration façon Wailers que s'ouvre l'album qui nous intéresse aujourd'hui avec "Praise Jah Jah" chanté par Linval Thompson. Le même riddim sera réutilisé via le track avec le regretté Vaugh Benjamin dans "Make It In Time" avec des arrangements cependant beaucoup plus deep roots et une posture plus dub afin de mieux correspondre à l'esprit d'Akae Beka.
On va retrouver ensuite un procédé similaire via deux autres tunes, le "Cut Dem Off" de Yami Bolo et le "Live My Life" de Luciano, initialement parus il y a plusieurs années sur un one riddim de Rastar Records, logiquement intitulé Rastar Riddim, hommage au fameux "World A Music" d'Ini Kamoze. Instru identique donc mais arrangements une fois de plus différents, puisque si l'on écoute un rub-a-dub dans la plus pure tradition de Manudigital avec Yami Bolo, le "Live My Life" ne résonne pas du tout de la même manière avec son utilisation massive des synthétiseurs qui confère une vibe très 80's au track, comme si Bill Laswell avait rencontré Zapp & Roger.
Et rebelote pour Yami Bolo avec "Life Is So Sweat" et Turbulence dans "Real", comme si le beatmaker avait conçu une compilation de mini one riddims avec face A et face B (peut-être est-ce d'ailleurs à l'ordre du jour avec éditions de 7inch ?) ; en outre, comme faisant écho au "Live My Life", l'intro des deux tunes est très synthwave, voire stepper/new wave à la Stand High Patrol, avant que le rythme ne mute en un rub-a-dub, à l'instar du "Heathen Haffi Run" avec Luciano (qui nous rappellerait presque le "Strolling" d'Alborosie et Protoje que Manudigital avait déjà composé pour Flash Hit Records il y a quelques années). Ainsi, pour ceux qui voudraient écouter du stepper pur et dur, ils se reporteront sur l'excellent "Yaad Through" avec Mykal Rose, truffé d'effets à la Dunbar et d'éléments dub dans une ambiance so british.
Mais revenons maintenant à une esthétique plus jamaïcaine et des riddims typiquement digitaux inna Manudigital style. C'est le cas notamment de "Cradel Of Civilization" avec Half Pint, un big bad tune taillé sur mesure pour la voix de l'interprète de "Mr Landlord" qui, lui aussi, aura toujours su s'adapter en fonction des producteurs avec lesquels il travaillait, puisque son répertoire court du stepper au rub-a-dub en passant par le digital ou le dancehall. Autre grande figure jamaïcaine, et non des moindres, qui aura brillamment traversé les époques du roots au digital, le défunt Gregory Isaacs qui se voit offrir un dancehall 80's dans "The Soul Of Ethiopia". Quant à Junior Reid, on peut l'entendre sur un dancehall aux influences plus modernes et plus rough dans "Music Is Love".
Et pour conclure en beauté, comme quoi le casting de ce Rastar All Stars est plus qu'alléchant, on s'attardera sur le morceau en collaboration avec un Anthony B totalement transporté via ses "Wings To Fly". En effet, le riddim rub-a-dub loud & heavy de Manudigital et la voix de l'auteur de "King In My Castle" correspondent à merveille dans ce tune limpide qui rendrait presque hommage au "Tempo" : Manudigital nous a d'ailleurs glissé dans l'oreillette qu'il avait samplé le "Complaint" de Garnett Silk pour enrichir ce "Wings To Fly" ; par conséquent, dès lors qu'on est élégamment inspiré, les ailes que l'on a revêtues permettent de franchir n'importe quel obstacle et d'être "unstoppable", ainsi que le clame ici Anthony B.
TRACKLIST
1. Linval Thompson – Praise Jah Jah
2. Yami Bolo – Cut Dem Off (Reloaded)
3. Anthony B – Wings To Fly
4. Luciano – Heathen Affi Run
5. Gregory Isaacs – The Soul of Ethiopia
6. Turbulence – Real
7. Akae Beka – Make It In Time
8. Mykal Rose – Yaad Through
9. Luciano – Live My Life (Reloaded)
10. Half Pint – Cradel Of Civilization
11. Junior Reid – Music Is Love
12. Yami Bolo – Jah Life So Sweat
Artiste : Manudigital
Album : Manudigital Meets Rastar All Stars - Volume 1
Label : Rastar Records
Date de sortie : 23/07/2021