"Depuis l'année dernière, nous sommes passés par toutes les phases". Ces mots de Florent Sanseigne, directeur du No Logo Festival, résument assez bien le contexte lié à tous les événements relatifs à la situation épidémique que traverse le pays (et le monde entier) depuis maintenant un an et demi. Entre annonces contradictoires des autorités, mise en place de protocoles sanitaires, réactions violentes de certains festivaliers quant à l'instauration du pass, etc, force est de constater que cette édition 2021 (rebaptisée 8bis après l'annulation de celle de l'an dernier) aura été, vous vous en doutez, un vrai parcours du combattant pour les organisateurs.
Cependant, malgré toutes les embûches et les contraintes qui se sont dressées sur leur route, les équipes du No Logo ont réussi à maintenir leur seul et unique cap : maintenir coûte que coûte la tenue du festival. Et cette détermination s'est avérée payante, puisque les forges de Fraisans ont bel et bien vibré au rythme du skank, des grosses basses et des good vibes ce week-end, et cela sans que l'on remarque de différences notables avec les éditions passées.
En effet, hormis une jauge réduite de moitié (21 000 festivaliers étaient présents pendant le week-end au lieu des 42 000 habituels) et une programmation beaucoup moins internationale en général et jamaïcaine en particulier, c'est un No Logo traditionnel qui a pu voir le jour en cette année si singulière. De toute façon, il était hors de question de proposer "un festival au rabais" pour les organisateurs, à savoir l'absence de buvettes et stands de restauration ou encore des placements assis avec distanciation physique ; l'idée étant ainsi de s'adapter tout en conservant un rassemblement le plus authentique et le plus naturel qui soit.
Par conséquent, et en dépit de la situation actuelle, le No Logo a démontré qu'il était possible de réunir des milliers de personnes sur un même site et dans une ambiance bon enfant sans entraîner de répercussions aussi désastreuses qu'apocalyptiques sur les plans humains et sanitaires. Tout s'est bien passé durant ce week-end (à part des incidents sur le camping dûs au violent orage de dimanche après-midi) et cela doit être impérativement souligné.
Retour sur 3 jours de fête en texte et en images.
Crédit photos : Laurent Quibier
C'est sous une chaleur étouffante que Devi Reed s'est chargé de souhaiter la bienvenue aux festivaliers en qualité de premier artiste à fouler la scène Yann Carou après deux ans de silence à Fraisans. Le Toulousain était venu présenter son Ragga Libre (du nom de son premier album solo), un cocktail de raggamuffin, d'ambiances cubaines et latino, de hip-hop, de dub et d'electro. Le set ayant quelque peu évolué, on remarquera la présence à ses côtés, hormis d'un batteur et d'un machiniste, de son ancien compère bassiste des Banyans. Ainsi, même si l'éclectisme musical est toujours de rigueur chez Devi Reed, le son a nettement glissé vers des tonalités plus roots (qu'elles soient reggae ou dub), laissant moins de place aux envolées electro dub hip-hop à la Chinese Man ou Taiwan MC qu'on avait pu déceler auparavant. Par contre, ce qui n'a pas changé c'est la même énergie communicative du chanteur, le tune "Move & Smile" résumant à lui tout seul ce bonheur de se retrouver à nouveau devant des massives motivés. Les festivités étaient définitivement lancées.
Après avoir retourné le dub corner du No Logo il y a trois ans en compagnie d'un casting de luxe composé de Sir Jean et des Dub Invaders (la déclinaison sound system des High Tone), c'est cette fois sur la grande scène que Lidiop allait devoir conquérir le public jurassien, d'autant plus qu'il remplaçait au pied levé Takana Zion. Tâche a priori ardue, mais impossible n'est pas lidiopien, puisque le public a répondu nombreux à l'appel malgré l'heure encore avancée et un soleil qui n'avait pas envie de faire taire ses rayons brûlants. Entre quelques gimmicks façon Major Lazer et un hommage à Francis Cabrel, Lidiop a donc délivré ses conscious lyrics empreintes de sagesse, de paix et d'amour, notamment sur "Jah Love", à travers lequel il nous invite tous à nous rassembler, mots qui résonnent encore plus fort dans le contexte actuel. Le chanteur ne manquera pas également d'interpréter un certain "Rockadown" connu de tous où il a pu faire montre de son incroyable talent vocal, entre chant et flow plus toasté, avant de faire ses adieux aux festivaliers avec "Road Of Jah", stepper aussi massif que limpide.
On ne va pas vous cacher que ça nous a fait plaisir de revoir Raspigaous. Non pas tant à cause des différents confinements, mais plutôt que le groupe avait été plus ou moins en stand-by ces dix dernières années. Il s'agissait donc en quelque sorte des grandes retrouvailles entre la bande de Marseille menée par Léo Achenza et le public du No Logo. Désormais accompagné par le HandCart Band et ses excellents musiciens, que l'on se souvienne du très groovy Rise des Young Lords (la grosse chronique ici), le chanteur portait en lui cette joie réciproque de partager quelques moments musicaux avec les festivaliers. Ceux-ci ne s'y sont d'ailleurs pas trompé en reprenant en chœur les morceaux emblématiques de la grande époque du crew au début des années 2000 : "Vitrolles", "Marre de Travailler" ou encore "Contrôle d'identité" ont ainsi résonné avec brio sur le site des forges de Fraisans. Mais c'était aussi l'occasion de s'approprier quelques tracks plus récents issus des derniers projets, tels que le tout récent Nouvel'R (la grosse chronique ici), avec par exemple "Legalize". Nouvelle ère peut-être, mais la vigueur est toujours intacte.
Avec Skarra Mucci, on a à peu près pris les mêmes et on a recommencé, pour la bonne et simple raison que certains membres du HandCart (le guitariste et le clavier) jouent également au sein du Dub Akom, le backing band de Skarra Mucci. Sauf qu'avec le toaster, bien que ce soit toujours aussi survitaminé (son concert de 2018 avec le même Dub Akom restera pour nous l'un des meilleurs de toute l'histoire du No Logo), les rythmes se font beaucoup plus dancehall, rub-a-dub et hip-hop. Si l'on savait déjà qu'il se référait au "Tearz" du Wu-Tang Clan (qui lui-même samplait le "After Laughter" de Wendy Rene) sur "My Sound" qu'il jouera bien évidemment ce soir-là, les spectateurs récalcitrants qui étaient assis ou à la buvette se sont précipités comme des dingues devant la scène lorsqu'a retenti l'instru du "Lose Yourself" d'Eminem. Une fois de plus, Skarra Mucci a donc mis le feu au No Logo en compagnie de ses musiciens, et ce n'est pas son interprétation frénétique de "Dreader Than Dread" (qui aura droit à un pull up, normal !) qui nous prouvera le contraire.
Après son concert en 2017 (le gros report ici), YaniSs Odua faisait lui aussi son grand retour sur la scène Yann Carou. Backé, comme à l'accoutumée, par son fidèle et efficace Artikal Band, le Martiniquais n'a pourtant pas spécialement offert de nouveauté par rapport à ses précédentes prestations ; son prochain album devant sortir dans les mois qui viennent, le toaster n'a probablement pas voulu en dévoiler les contours et les arcanes. Bref, même si l'on n'a pas eu grand-chose de neuf à se mettre sous la dent, on aura passé un "Moment Idéal" en compagnie de YaniSs Odua et de ses big bad tunes. Les hits tels que "La Caraïbe" ou encore "Chalawa" ont bien sûr été repris par cœur par le public dans la nuit de Fraisans, alors qu'on a entendu quelques tracks issus de Nouvelle Donne (la grosse chronique ici), comme l'hommage au reggae music dans "Reggae Land", ou de Moment Idéal (la grosse chronique ici), tel que le stepper "Rabat-Joie". Et même si l'on a pu sentir une petite baisse de régime par moments, inutile de préciser que YaniSs Odua a toujours "La Rage" sur scène.
Et c'est finalement à Panda Dub qu'est revenu l'honneur de clôturer cette première journée sur la grande scène. T-shirt High Tone de rigueur, le Lyonnais n'a pas manqué de citer ses aînés de la cité des gones en tant que "première inspiration" pour lui avant d'entamer un énooorme remix/mash up du crew où on a pu entendre "Echo-Logik", "Bad Weather" ou "Train To Transylvania". En matière de remix, l'auteur de Shapes & Shadows n'a d'ailleurs pas lésiné sur le concept, puisqu'il a revisité son pote Roots Raid avec "Africah" et "Come Do The Thing" ou, plus surprenant encore, le célèbre "Walking On The Moon"de Police dans une excellente version trap qui a manifestement su séduire le public. De toute façon, selon les dires mêmes de l'intéressé, ce live était un "crash test" à travers lequel il a pu expérimenter pas mal de choses et ce n'est pas peu d'affirmer que cela a plutôt été une réussite. Et comme pour mieux fêter les retrouvailles avec des massives emplis de motivation et de sourires, c'est tout naturellement qu'il a exécuté le fameux "Smile Is The Key".
Allons maintenant faire un petit tour du côté du dub corner, toujours sonorisé, à l'instar des années précédentes, par les enceintes Clear Sound. Seule différence avec les éditions passées, le "ring" central qui voyait s'affronter les activistes du Dub Master Clash a laissé place à une scène classique. Ce qui n'a par contre pas changé d'un iota, c'est le déluge de grosses basses et de rythmes stepper qui s'est abattu sur le Dub Factory durant ces trois jours, ce qui a même provoqué quelques remarques négatives de la part de certains festivaliers qui ont considéré que les infrabasses interféraient énormément avec le son de la grande scène.
Esaïa & Nikko, ainsi qu'I Fi avec son flow façon Jah Thomas et Junior Roy se sont succédés pendant les premières heures de ce vendredi auprès de Dub Loverz et où on a notamment pu entendre le "Dreadlocks Things" de Brother Culture.
Puis, Roots Raid a pris la place de ses compères en début de soirée en compagnie de son fidèle acolyte de session, à savoir Shanti D, venu se poser sur les versions. Le producteur en a profité pour jouer quelques anciens tracks, comme "Babylon Fall" avec Billy Berry ou des morceaux plus récents à paraître sur le prochain album, en l'occurence "Africah".
Et pour conclure cette première soirée pleine de vibrations, les Dub Shepherds menés par Jolly Joseph ont enflammé le dancefloor avec leur dub live épaulé par un Jahno survolté à la batterie. On n'a pas boudé notre plaisir à voir cette formation autant inspirée du live dub à la française que du roots et du rockers jamaïcain des 70's et on a tout particulièrement kiffé les vibes de clavier à la Jackie Mittoo jouées par Jolly Joseph avant que celui-ci n'entonne un "Execution In The Streets" au groove imparable.