Roger Waters – The Dark Side of the Moon Redux

The Dark Side of the Moon, un nom d'album accompagné de tous les superlatifs : troisème album le plus vendu, même les Beatles ou Céline Dion n'ont pas fait mieux. Plus de 900 semaines (soit 17 ans) dans le classement Billboard 200 ! On connait tous les tubes comme "Money" ou "Time" et bien sûr la célèbre pochette d'album qui orne même des t-shirts vendus à Kiabi. C'est dire si cette oeuvre musicale est indémodable (même pour la mode à petits prix) et que comme la Joconde, elle est un classique incontournable. Mais voilà, pour un album qui traite de la folie, il fallait être fou pour le réinterpréter. Et c'est ce que Roger Waters s'apprête à faire avec The Dark Side of the Moon Redux qui sortira le 6 octobre sur le label SGB. Alors quel intérêt trouver à cet opus ? Pari tenu et pertinent ?

Roger Waters, Pink Floyd, Dark Side of the Moon

L'impression globale qui se dégage est la même que si l'auditeur allait rendre visite à son grand-père à la maison de retraite pour qu'il lui raconte sa vie. On connaît l'histoire mais on sait d'avance que la réalité sera vue à travers les yeux de Roger Waters, que les événements seront transformés, manqueront de détails et que la narration sera usée. "Délavée" conviendrait mieux tant l'oeuvre d'origine a été passée à la machine musicalement et vocalement. Roger ne chante quasiment plus et scande ou susurre la plupart des paroles originelles ou qu'il a rajouté. Car la majorité des morceaux commencent par un discours du chanteur-bassiste qui fait part de ses réflexions : "the memories of an old man" comme il aime à le dire dès le début de l'album avec "Speak to Me". L'album d'origine, au concept fort est transformé en une collection de "hits" entrecoupés d'interludes vidés de leur substance. Exit le travail atmosphérique de Rick Wright aux claviers, exit la batterie de Nick Mason remplacée par des percusions en arrière plan et surtout exit la puissance qui s'en dégageait.

Roger Waters l'a crié haut et fort : ce Dark Side of the Moon est le sien. Les détracteurs de l'artiste hurleront à l'égocentrisme mais il faut se rendre à l'évidence, l'oeuvre d'origine est vue sous le prisme (sans aucun jeu de mots avec la pochette) du bassiste. Quitte à se mettre très (trop ? ) en avant. Dès "Speak to Me" et ses battements cardiaques iconiques, Roger prend toute la place en nous racontant son point de vue et en reléguant la musique en arrière plan. C'est clairement flagrant dans les interludes musicaux qui ne servent plus à grand chose : "Any Colour You Like" est amputée du magnifique solo de Rick Wright sur son synthé analogique pour être remplacé par un theremin discret, une basse et la voix de Roger Waters. Même constat pour "On the Run", célèbre pour son motif répété au synthétiseur VSC3. On retrouve le même synthé, la même ligne musicale mais toujours en arrière plan avec Roger qui surplombe le tout.

Autre morceau vidé de sa substance : "The Great Gig in the Sky" : le morceau d'origine lorgnait vers le gospel avec une prestation lunaire de Clare Torry. La piste se transforme en un morceau ralenti où le chant est fredonné et passé dans un effet de type talk box et mis en arrière plan. Encore une occasion pour Roger de nous parler directement comme un grand-père qui ferait une énième digression. L'ensemble sonne mou, que ce soit dans la rythmique, les accords plaqués au piano ou la vieille guitare bluesy de "Speak to Me". Roger Waters voulait redonner un sens à l'oeuvre originelle, il en ressort une impression d'un homme usé par le temps.

"Money", dont le tempo est ralenti, n'a plus ce groove si caractéristique et se voit rajouter des paroles lors du break. Alors certes le matériau d'origine est bon, on retrouve la rythmique en 7/4 mais tout ceci manque de panage. Un exemple flagrant est la façon dont Roger Waters prononce le mot "money" en insistant sur la dernière syllabe. Seules les cordes en arrière plan, avec leur côté oriental, donnent un certain cachet au morceau. Et pour aller plus loin, on pourrait dire que les violons sont le gros côté positif de l'album. Ils permettent de dynamiser un peu "Brain Damage" qui perd également son côté épique.

Quelques morceaux conservent quand même une certaine saveur. "Time" n'est pas mauvais en soit malgré la disparition des samples assourdissants des horloges. "Us and Them" insiste bien sur le côté balancier de la basse et demeure le titre le plus plaisant. Mais encore une fois, la musique semble vidée : les choeurs sont réduits à un petit rôle, le theremine ou le lap steel remplacent clairement la guitare. Du Pink Floyd d'origine ne reste plus que Roger Waters.

Pour apprécier l'album il faut clairement faire abstraction de l'oeuvre originelle. Et c'est un travail très complexe. En mettant de côté The Dark Side of the Moon, que reste-il de la version redux ? L'exercice de style en lui-même et la remise en question ? Un gros travail de réorchestration qu'il faut quand même saluer ? Une production de qualité ? Car Roger aurait largement pu céder à la facilité, surtout dans un contexte qui voit une édition 50ème anniversaire faire surface et qu'il sera facile de comparer avec cet album. Cette version sera un énième débat entre les détracteurs et les fans de l'artiste. D'ailleurs, aucunement rancunier, Nick Mason a déjà apporté son soutien à cette réinterprétation.

Même si l'exercice était périlleux et mérite d'être salué, il en ressort un album vidé de sa substance et terriblement mou. Est-ce comme cela que Roger Waters voit le monde actuellement ? S'il est désabusé de tout et voit les choses avec un certain minimalisme, alors cette nouvelle version aura réussi son pari.

En tout cas, les thèmes intemporels de The Dark Side of the Moon auraient pu largement avoir un autre traitement, plus moderne. Jamais "le temps", "l'argent", "la folie", "la peur" n'auront été au centre des discussions dans le monde actuel et bien des artistes ont su se servir du contexte actuel pour se transcender et pousser les limites de leur art. Cette version redux manque le coche et aura comme seul intérêt de nous montrer à quel point la joconde du rock progressif n'avait pas besoin d'un lifting.

Comme il est quand même nécessaire que chacun se fasse une idée, on vous encourage à découvrir cette version qui sortira le 6 octobre sur le label SGB.

A noter que nous n'avons pas eu accès à la composition originale de Roger Waters qui sera disponible sur la face 4 de l'édition vinyle.

Tracklist

01. Speak to Me

02. Breathe

03. On the Run

04. Time

05. The Great Gig in the Sky

06.  Money

07. Us and Them

08. Any Colour You Like

09. Brain Damage

10. Eclipse

Roger Waters, Pink Floyd, Dark Side of the Moon

NOTE DE L'AUTEUR : 6 / 10



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