Guitare en Scène, here we go again, qu'ils disaient. Pourtant, la motivation et l'envie sont relatives en ce vendredi 21 juillet. Si la programmation soul/blues de la veille était alléchante et s'est révélée bardée de moments remarquables, le programme de cette seconde journée semble plus ou moins fait de bric et de broc. Pas vraiment le choix quand on doit composer avec des annulations en série, de celles qui retirent toute sa substance à une journée. La dernière étant les galères de KO KO MO, remplacés au pied levé par Dätcha Mandala. C'est parti pour une journée sous le signe de l'improvisation.
Cette fois-ci, aucune galère n'est à relever du côté de l'accueil : les scanners de billets fonctionnent comme prévu et les festivaliers arrivent petit à petit sur le site de Guitare en Scène, le peu qui se présente aujourd'hui en tout cas. On est en effet très loin d'une configuration pleine. Les divers stands de nourriture ne verront pratiquement jamais de file d'attente, et même aux bars il sera extrêmement aisé de se déplacer. Quant aux fosses, elles semblent bien peu remplies en comparaison de la veille. Mais pour l'heure, direction la Scène Village pour accueillir les Valentinois d'Yvet Garden, qui ouvrent la journée.
Yvet Garden - Scène Village
Lunettes de soleil vissées sur la tête, Rudy (chant) pointe l'astre stellaire du doigt et attaque le chant de "When The Angels Fall", premier de plusieurs nouveaux titres joués. Le groupe donne ce qu'il a pour tenter d'embarquer le public, mais celui-ci est tellement éparse à cette heure du festival que les sollicitations restent majoritairement sans réponse.
Le début de set se révèle un peu compliqué pour Yvet Garden, avec plusieurs problèmes techniques entre les premiers titres, qui ne semblent résolus que plus tard dans le set. Cependant, on peut déjà remarquer le jeu de guitare de Florent, plus varié et intéressant que ce que la présentation pop-punk de l'artiste nous laissait imaginer. On retrouve des influences différentes d'un morceau à l'autre, parmi lesquelles on peut retrouver des touches de rock 90's anglais, un peu loin des racines Blink-182.
Le style se révèle finalement pas si pop-punk qu'on ne l'imaginait. Si la base est clairement à chercher dans cette mouvance américaine qui nous a servi tous ces groupes qu'on aime moquer mais dont on reste secrètement de grands fans (n'est-ce pas Thierry), on retrouve plusieurs influences rock dans le jeu de guitare et certaines compositions, lorgnant régulièrement vers le metalcore avec même quelques breakdowns ("Symmetry") et du scream de Cyril (basse, sur "Second Chance"). Le chant principal reste lui en revanche très ancré dans le style du pop-punk, on navigue dans des lignes vocales qui restent toujours très mélodiques, faites pour être scandées par un public nombreux qui se déchaîne.
C'est peut-être ce qui manquait réellement au groupe du tremplin de ce vendredi 21 juillet : un public suffisamment réceptif. On l'a déjà mentionné plus tôt, c'est en partie la faute au soleil accablant, même si la situation est moins extrême que l'année dernière. Mais le public en place devant la scène Village reste massivement immobile, ne répondant aux sollicitations de Rudy qu'en fin de set, lorsque le combo lance "Second Chance" puis "Way Out", dirigé par des riffs de guitare bien nerveux. On peut supposer qu'avec plus de public et des conditions météo un poil plus clémentes, le concert aurait pu être tout autre.
Jelusick - Scène Couverte
Premier groupe à jouer sur la Scène Couverte, Jelusick investit les planches, et attaque avec "Reign Of Vultures". Le single, que l'on avait découvert et bien apprécié en préparant le podcast consacré à cette journée, nous semble bien efficace, rentre dedans. Taillé pour le live, en somme. Le refrain tout en chœurs, façon metal infusé aux références des années 80 est addictif, quoiqu'il nous semblait plus percutant encore avec toute la production de l'enregistrement studio. On regrette un aspect mur de son un peu trop lourd, presque un peu brouillon, et si c'est plutôt régulier sur les journées hard-rock/metal du festival - on se souvient d'avoir émis à peu près le même style de reproches lors de la venue de Dream Theater ou Michael Schenker -, c'est dommage lorsque l'on découvre les artistes, ou du moins, l'essentiel de leur répertoire.
Côté répertoire justement, la troupe nous réserve un mix de compositions originales et de reprises. Logique, Jelusick étant un groupe très jeune - à l'instar de ses membres, tous sous la trentaine ou tout juste passée - encore en phase de préparation de son premier album. C'est ainsi qu'après deux compositions originales, Dino Jelusić (leader du groupe, chant/claviers en fonction des titres, et occasionnellement keytar) lance un "You should know this one" avant d'entamer "The Look" de Roxette. Il y en aura d'autres, en particulier des titres provenant d'Animal Drive, l'ancien groupe de Dino Jelusić dans lequel officiait déjà Ivan Keller, guitariste de la nouvelle formation.
Cette reprise est aussi la première occasion de voir le groupe dans un registre un peu moins calibré que pour les prestations en ouverture de set. En effet, si Dino est très communicatif avec le public dès le début, lance beaucoup de regards et de sourires, ses comparses Ivan, Luka Brodaric (basse) et Mario Lepoglavec (batterie) se font plus discrets, se contentant de headbangs réguliers, de poses "tous instruments levés" et autre jeux de scène typiques du metal. On peut rester de marbre à ce style de musique et/ou de set, mais on a devant nous une formation qui fait tout à fait le job, et qui fonctionnerait sûrement dans le cadre d'un festival de metal, auprès d'un public plus compatible. Un groupe potentiellement prometteur, on attend la confirmation avec l'album à venir.
GES All Star Band - Scène Couverte
Musicalement, c'est une autre affaire, ou du moins, une affaire de goûts. L'introduction sur "Burn", dans une version survitaminée retravaillée pour la sortie du Purple album de 2015, propose un gros mur de son auquel il est difficile d'être insensible, mais qui dans son trop plein de fioritures nous perd rapidement. Comme on a pu le mentionner dans le podcast dédiée à cette journée, ou même sur les lignes que nous avons consacrées à la quasi-même formation l'année dernière, on est toujours content d'entendre "Burn". De là à dire que c'est pour l'entendre sans groove, sans soli inspirés mais bardés de shred où le but est plus de nous écraser le cerveau que de choyer notre mélomanie par une virtuosité certaine, il n'y a qu'un pas. Que l'on ne franchira pas ce soir, rapidement ennuyé par le côté "performance" du groupe, qui tend vers un entertainment bien américain, bien 80's, dans un retour dans le temps qui ne ranime pas tant les nostalgies mais sent plutôt le vieux pantalon en cuir recousu. En somme, ce que Whitesnake est depuis plusieurs années.
Il est amusant de constater qu'à intervalles réguliers, David Coverdale a tronqué ses musiciens vieillissants - à l'exception de Tommy Aldridge, qui reste un monstre absolu derrière les fûts, à s'en péter encore le poignet - pour leurs copies plus jeunes, plus démonstratives, afin de s'entourer d'une énergie qu'il ne peut plus représenter, physiquement ou vocalement. Le lion anglais se refuse à vieillir, et s'enferme dans une surenchère de décibels qui voudraient ressusciter le grand temps des permanentes, période où il avait déjà laissé de côté ses influences premières, moins percutantes mais surtout plus musicales. Au moins, sans le papy gênant qui pousse des cris de félins en début de concerts pour être à la traîne trois titres plus loin (que l'on se comprenne bien, hors de toute ironie, on les aime et les défend régulièrement, nos papys musiciens), la formation que nous voyons ce soir est toute en puissance.
Cuir moulant, cheveux longs, torse apparent et brillant, l'autre époque est là, tout le monde y croit dur comme fer, aussi ridicule que cela puisse paraître, et le public, bien que peu nombreux au vu des conditions du jour, est convaincu. Marco Mendoza, Dino Jelusić et Michele Luppi n'ont aucune peine à réanimer vocalement le répertoire du Serpent Blanc, et les titres phares s'enchaînent, des blues transformés en hard rock cinglant aux ballades kitschouilles mais qui nous font, des fois honteusement, toujours un peu fondre. La conviction des membres et, au final, leur vitalité et leur jeunesse nous évite une parodie à la Steel Panther ou une resucée grassouillette à la Mötley Crüe.
Après un set calibré pour la team "C'était mieux avant", le concert de ce All Star Band réintroduit une lichette de rock'n'roll dans son ADN. Sans se soucier du temps qui lui est alloué (il le dépasse allègrement d'une bonne quarantaine de minutes), Marco Mendoza prend possession de la scène et décide de partir dans un set improvisé. Demandant entre les titres à ses comparses de scène s'ils connaissent telle ou telle chanson, la fête redevient le centre-mot de Guitare en Scène, le public pouvant même scander des noms de morceaux, que le groupe envisage à chaque fois. Côté Village, on voit le trio de Dätcha Mandala prendre place sur scène, puis comprendre que rien n'est certain quand à leur heure de début, qui dépendra du bon vouloir de Marco. Qu'à cela ne tienne, ils auront leur moment de gloire, et après la complexité de mise en place de la journée, ce moment imprévu est d'une certaine saveur. C'est d'ailleurs quand tout se détend, et qu'on décide d'être juste un groupe de copains qui joue de la musique plutôt qu'une formation millimétrée qui interprète un répertoire, que l'on retrouve cette spontanéité que l'on a perdue depuis la veille. On sort heureux du set, l'énergie retrouvée et l'envie d'en découdre, sans se douter que Dätcha Mandala nous mettra quand même à genoux quelques instants plus tard.
Dätcha Mandala - Scène Village
Faut dire qu'il y a de quoi. Le terme "power-trio" s'avère bien faible pour décrire l'énergie des Dätcha Mandala, qui nous assènent un rock inspiré, pourtant empreint de ses nombreuses influences, ce monde alternatif où Lemmy serait resté dans Hawkwind, et où Phil Lynott aurait bouffé Mr Kite. Tant brut que psychédélique, leur cocktail est imparable. Et si jamais on a du mal à l'ingérer - réalité improbable tant leurs morceaux sont accessibles -, il suffit de regarder la scène pour trouver une seconde raison d'entrer dans le délire. Grands écarts, sauts incessants, jeux de miroir entre les membres, et surtout un plaisir de jouer ensemble qui se ressent à chaque regard, il y a des choses à voir devant Dätcha Mandala, de l'image à la musique.
On nous annonçait le GES All Star Band comme étant le grand sauveur de la soirée suite à l'annulation de Journey, mais ce ne fut au final qu'un sympathique interlude avant le vrai concert de la soirée, celui des Dätcha Mandala. Dommage qu'il ait fallu l'incendie d'un bus pour les ramener, d'autant qu'une co-tête d'affiche avec Ko Ko Mo aurait été une soirée parfaite. En tout cas, un pattern se confirme quand une fois encore, c'est le dernier concert sur la scène Village qui est le meilleur. Le message est passé, demain on ne vient que pour Nik West !
Photos : Caroline Moureaux/Luc Naville/Alexandre Coesnon
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Textes : Intro + Yvet Garden + Jelusick : Félix Darricau
GES All Star Band + Dätcha Mandala : Thierry De Pinsun