Dimanche dernier, les Smashing Pumpkins étaient de passage à Paris pour The World Is A Vampire Tour, la tournée anniversaire de Mellon Collie And The Infinite Sadness. Un concert intense qui a replongé le public dans les années 90 sans sombrer dans la naphtaline.
Tom Morello
La première partie des Smashing Pumpkins est assurée par Tom Morello. Malgré son nombre incalculable de participation à des groupes, il joue cette fois en solo sous son nom, entouré de trois autres musiciens. Les riffs ultra caractéristiques du guitar hero sont bien présents et renvoient irrémédiablement à Rage Against The Machine, de loin sa formation la plus connue, mais le style de l'ensemble s'en différencie nettement. Les chansons évoquent plutôt une sorte de rock'n'roll à l'ancienne, avec des sonorités un peu blues. Le chant est sur certains morceaux assuré avec réussite par le second guitariste, dans un style qui colle parfaitement au genre musical. Morello s’occupe de quelques parties rappées et sur certains morceaux du lead vocal. C’est souvent moins convaincant, à part sur les titres initialement en acoustique. Mais la plupart du temps, il laisse libre cours à sa fantaisie guitaristique, alternant les riffs étranges et les soli alambiqués à grand renforts d'effets divers qui donnent un son absolument inimitable à ses guitares. Si les trois musiciens qui l'accompagnent sont plus classiques, leur travail mérite aussi d’être souligné, avec notamment un son de basse mis en avant sur plusieurs morceaux.
Dix minutes après le début de sa performance, la fosse semble déjà pleine, et les gradins en bonne voie. Le public répond présent aux sollicitations de l’Américain, et réagit presque comme s'il était la tête d'affiche de la soirée. Il faut dire qu'en plus de jouer quelques-unes de ses propres compositions (trois morceaux tirés de The Atlas Underground et de Comandante), il joue surtout des morceaux de plusieurs de ses autres projets, dont Audioslave (« Like a Stone », avec en prime un hommage à son défunt chanteur Chris Cornell) et évidemment RATM, avec notamment un medley instrumental de plusieurs titres ("Sleep now in the Fire", « Guerilla Radio », « Know Your Enemy »…) qui provoque le délire dans la foule et un début de pogo.
Il reprend le lead vocal sur la très belle ballade "The Ghost Tom Joad" de Springsteen, qu’il a déjà reprise plusieurs fois (et pour cause, il a aussi joué pour Le Boss), au milieu de laquelle il exécute un solo en partie avec les dents – on aurait presque été déçus de ne pas avoir ce genre de cliché de guitar hero de sa part.
Il est alors quasiment temps de conclure. "Peut-être que vous voulez une chanson de plus ? lance-t-il au public. Bonne nouvelle, nous connaissons une autre chanson. C'est une vieille chanson de folk française, donc si vous connaissez les paroles, allez-y, les micros sont tournés vers vous" . Et le groupe d'entamer en version instrumentale... "Killing in the Name of" . Le classique de Rage Against The Machine déclenche de nouveau la folie en fosse comme en gradins. S'ensuit l'ultime reprise (de John Lennon cette fois) et ultime morceau, "Power to the People" (on n'en attendait pas moins de lui) qu'il fait traîner et sur laquelle il fait sauter le public en rythme. Une telle prestation était digne d'une tête d'affiche et de la réputation du guitariste, qui a nouveau électrisé les foules au Heavy Week-end avant de faire de même au Hellfest ce week-end.
Smashing Pumpkins
La tension monte encore d'un cran quand la lumière s'éteint après l'entracte. Les six musiciens montent sur scène au son d'une bande enregistrée et vont se placer pour attaquer « The Everlasting Gaze ». D'emblée, le son est massif - et semble étrangement moins bien réglé que pour Tom Morello. Dans la discographie foisonnante des Américains, les sonorités les plus diverses se côtoient, du grunge à des choses beaucoup plus calmes et à d’autres très alambiquées. Ce soir, l'accent est vraiment mis sur un son beaucoup plus métallique, aussi bien dans le choix des morceaux que dans la façon de les interpréter. Certains sont assez retravaillés par rapport aux originaux, tout comme la reprise « Zoo Station » de U2, jouée dès le troisième titre, qui a ici quelque chose d’halluciné. Le set se retrouve ainsi à prendre une coloration très indus, assez metal, dont il ne se départira que rarement.
Comme l'indique le titre de la tournée (The World Is A Vampire Tour, en référence au morceau "Bullet and Butterfly Wings"), l'album culte Mellon Collie And The Infinite Sadness sorti en 1995 est largement mis à l'honneur avec six titres, tous plus emblématiques les uns que les autres. Le public, déjà largement acquis à la cause des Smashing Pumpkins, gagne en excitation à chaque chanson - tous les gradins se lèvent dès qu'un titre de cet album est joué. Cela commence avec « Thru the Eyes of Ruby », cinquième titré joué, enchainé presqu’immédiatement avec la ballade « Tonight, Tonight ». Toutes ces chansons ont forcément une résonance particulière, et sont retravaillées juste ce qu'il faut pour gagner encore en gnaque.
Le dernier album, le beaucoup trop long Atum : A Rock Opera In Three Acts, est aussi bien représenté avec cinq titres. Alors que ce triple album nous avait honnêtement un peu perdue, là ce sont vraiment les morceaux les plus efficaces qui sont choisis, et traités de façon agressive. Pour le reste, le groupe balaye l’intégralité de la première moitié de sa discographie, du premier disque, Gish, paru en 1991, à MACHINA/The Machines of God, paru en 2000, avec quatre titres pour Siamese Dreams, prédécesseur de Mellon Collie. Pour la suite, c’est plus aléatoire, avec la moitié des albums présents. Il y a là une certaine logique : la période la plus marquante des citrouilles écrasées reste les dix premières années – même si d’excellents titres se retrouvent évidemment ensuite.
Dans un premier temps, le groupe enchaîne les chansons sans temps mort et sans un mot, laissant parler la puissance de ses instruments. Cela laisse le loisir d'admirer les jeux de lumières très beaux, qui donnent une coloration particulière à chaque titre. Mais aussi de voir que les musiciens n'interagissent quasiment pas entre eux sur tout le début du concert. Chacun semble concentré sur ce qu'il joue - très bien d'ailleurs - un peu comme si chacun était dans son propre concert.
La guitariste Kiki Wong interagit un peu avec le public, le faisant taper dans les mains. Le batteur Jimmy Chamberlain se fait remarquer plusieurs fois sur sa dextérité. La choriste et occasionnelle guitariste acoustique, l’Australienne Katie Cole, reléguée en fond de scène, a dans un premier temps du mal à se faire entendre. On est donc perplexe sur l'intérêt de sa participation, alors qu'elle est très présente sur la majorité des morceaux. Mais le problème de son finit par se régler, ce qui permet de réaliser que sa voix est un ajout intéressant, qui se mêle très bien à celle de Billy Corgan. Toutes deux donnent une impression d’étrangeté, presque de dissonance, parfois à la limite de la folie. Le chanteur et guitariste semble d’ailleurs un peu dans son monde, exécutant des pas bizarres ou faisant mine de voler durant les ponts.
Le guitariste historique James Iha finit par prendre la parole après « Through the Eyes of Ruby », remerciant brièvement le public en français avant de repasser rapidement en anglais. Billy Corgan lui ne s'adresse au public que plusieurs morceaux plus tard. Le frontman, toujours aussi austère avec son crâne chauve et sa longue tunique noire, semble tout de même un peu plus avenant qu'on n'aurait imaginé. Il va même jusqu’à plaisanter avec James Iha, notamment au sujet de l’intérêt ou non d’aller voir les Jeux Olympiques.
C’est entre eux deux que se font la majeure partie des interactions, même si le leader s’avance un peu vers les autres musiciens également. Mais le groupe, aujourd’hui composé d’un trio historique (Corgan, Iha, Chamberlain) et de trois ajouts pour le live (Cole, Wong, et Jack Bates à la basse), n’est pas vraiment du genre à verser dans les effusions collectives sur scène. Les trois musiciens live ont d’ailleurs probablement plus d’échanges avec les techniciens qui leur apportent une nouvelle guitare presque entre chaque morceau qu’avec les autres membres du groupe.
Tout cela n’empêche pas la qualité et l’intensité d’être au rendez-vous, devant un public plus que réceptif. Quelques ballades ou mid tempo moins inspirés font perdre un peu le rythme vers la fin du set. Mais les quatre derniers morceaux finissent la prestation de façon explosive, avec le dynamique « Rhinoceros », tiré du premier album Gish, immédiatement enchaîné grâce à une transition à la batterie avec « Gossamer ». Ce long titre, commencé tout doucement, se distord progressivement et finit dans un maelström de guitares, avec une sensibilité assez prog. « Cherub Rock », tiré du classique Siamese Dream, s’avère très agité, avant une explosion de ferveur sur « Zero », retour au culte Mellon Collie. Les musiciens saluent et laissent Billy Corgan seul sur scène, montrant que le leader reste l’incarnation de la formation. Les Smashing Pumpkins auront en tous cas fait forte impression, gardant intactes leurs racines des années 90 tout en les adaptant à dans l’air du temps.