Crosses + Vowws au Trianon de Paris (28.06.2024)

Chino Moreno a beau être le leader emblématique de Deftones, cela ne l'empêche pas d'explorer d'autres chants musicaux. Notamment avec Crosses, son projet electro rock, qui était de passage à Paris fin juin.

Vowws

La première partie de Crosses est assurée par les Australiens de Vowws. Le trio officie (c’est un studio en duo) lui aussi dans un style electro rock. Le sien, très sombre, prend une coloration gothique et emprunte des influences indus. Il convoque aussi la dark wave, la cold wave, bref, ça fait des vagues, avec parfois un soupçon de pop. Il se définit lui-même comme de la « death pop australo-gothique ». Quoi que cela veuille réellement dire, cela semble assez adapté à cette musique.

La claviériste Rizz et le guitariste Matt James se partagent le chant, elle assurant peut-être un peu plus de lead vocal. Leurs deux voix se répondent souvent avec harmonie et intensité. Elles peuvent se faire parfois douces et mélodieuse, envoûtantes, parfois saturées. Mais elles portent en elles une certaine noirceur. Elles se parent parfois, surtout celle de Rizz, d'une étrangeté qui répond à celle de la musique, entre des graves puissants presque scandés et des aigus qui peuvent ressembler à des ululements. Alors que les instruments instaurent des ambiances tour à tour indus et martiales, horrifiques ou oniriques, futuristes ou hypnotique.

Les trois instruments trouvent leur place et apportent quelque chose à l'ensemble, les rythmiques de la batterie marquent les esprits, les claviers se taillent évidemment la part du lion avec l'instauration d'ambiances, mais la guitare sait aussi apporter quelque chose de plus organique.

L'ensemble n'est pas sans rappeler parfois le travail d'un certain groupe nommé Deftones, sans le côté purement metal. Le public a déjà rempli le premier balcon et la fosse s’emplit doucement. Les gens restent statiques mais semblent apprécier. Le groupe conclut avec un ultime morceau habité avant de se retirer. A le voir sur scène, il est compréhensible que Chino Moreno ait déjà réalisé un duo avec et l’ait invité sur la tournée.

Crosses

Durant l'entracte, quelques personnes se baladent avec leurs tee-shirts à l'effigie de Crosses, tout comme une poignée de fans avec des tee-shirts Deftones. Mais globalement, l'habillement est beaucoup plus civil que les uniformes de certains concerts de rock, et ne parlons pas des concerts de metal.

La chaleur est suffocante quand la salle est plongée dans le noir, provoquant les hurlements impatients du public. Des panneaux lumineux en fonds de scène irradiant d'une faible lueur, derrière trois grandes croix lumineuses qui représentent le nom du groupe.

Shaun Lopez arrive et prend place sur l'estrade où trônent deux claviers et une guitare. Puis Chino Moreno sort à son tour et se met à parcourir la scène d'un bout à l'autre. C'est parti pour « Invisible Hand », issu du dernier album en date Goodnight, God Bless, I Love U, Delete, sorti l’an dernier, second disque long. Une bonne partie de l'auditoire semble connaître par cœur. Ce sera d'ailleurs le cas tout au long du concert : si vous pensiez que Le Trianon ne s'était rempli que de fans de Deftones curieux du projet plus electro de son leader, c'était une grossière erreur, même si quelques signes de cornes apparaissent ici et là dans le public.

Évidemment, les points communs entre les deux projets ne manquent pas. La voix de Moreno lie irrémédiablement les deux. Son magnétisme, sa sensualité écorchée font toujours autant merveille, attrapent l'oreille sans plus la lâcher jusqu'au bout du concert. « Girls Float † Boys Cry » est d’ailleurs parmi d’autres un modèle de sexytude vocale.

Mais l'instrumentation est évidemment très différente de celle de Deftones. Il s'agit là d'un projet electro rock, ou l'electro domine, dans des couleurs très saturées, très lourdes, presque expérimentales, s'aventurent parfois presque sur de la trance. C'est dansant, sans chercher à faire des tubes. Les ambiances rappellent cependant le quintette de metal. Elles sont prenantes, ont souvent quelque chose de planant et d'onirique, mais peuvent aussi devenir explosives.  Les lumières s’accordent magnifiquement à ces ambiances, avec un jeu sur les couleurs des projecteurs, mais aussi des croix lumineuses, le tout rehaussé par des vidéos en fond de scène et des ombres et lumières fascinants.

Chino Moreno ne cesse d'arpenter la scène, au plus près du public. Il semble vivre la musique beaucoup plus corporellement qu’avec ses comparses metalleux. Shaun Lopez alterne entre son estrade et le devant de la scène. Ses claviers servent beaucoup à lancer des sons pré-enregistrés, pour qu'il puisse se concentrer sur sa guitare. Ce que regretteront quelques spectateurs, trouvant le spectacle pas suffisamment organique.

Mais la majeure partie du public est conquise, chante, danse, accompagne la musique. A mi-concert, la musique nous semble devenir un peu redondante : c'est toujours assez prenant, mais cela finit par se ressembler un peu d'un morceau à l'autre. Peut-être cette relative lassitude est-elle due à la chaleur insoutenable qui ne faiblit pas, et un amateur éclairé d'electro aurait probablement un avis différent. Le groupe met en tous cas fortement en avant son dernier opus, qui constitue pas loin de la moitié de la setlist. L’autre album long, éponyme, est également bien représenté, et le tout est complété par quelques titres du EP de 2022 Permanent Radiant.

Le concert marque une évolution certaine vers la fin. « Girls Float † Boys Cry » réveille les sens, avant que « †hholyghs† », très acclamé dès les premières notes, n’opère une montée en puissance progressive pour prendre toute son ampleur sur les refrains.

Dès lors, tout se fait plus entraînant, plus marquant, presque plus agressif. Le public ne s'y trompe pas et redouble d'intensité en fosse comme dans les gradins, en grande partie debout depuis le début. « Bi†ches Brew » est l’occasion de danser de plus belle et « Big Youth » déchaine les passions, avec un son saturé, des scratchs lourds, une partie de couplet presque rappée.

Le groupe part, c'est le noir, le public réclame son retour, les deux hommes reviennent. Et donnent tout ce qu'il leur reste dans « †elepa†hy » puis « Op†ion ». C'est potentiellement le moment le plus intense du concert. Les deux musiciens font le tour des premiers rangs puis se retirent. Tandis que les lumières se rallument, quelques spectateurs dansent dans la fosse sur une bande-son electro. Pour sa toute première prestation parisienne (aux dires de Moreno), le combo a convaincu, malgré quelques réserves mineures. Manifestement, le concert était une plus grande réussite que celui qui aura lieu deux jours plus tard au Hellfest.

Photo : David Poulain. Reproduction interdite sans autorisation du photographe



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