Je me suis découvert un genre de tic mystérieux : quand je vois les termes "rock progressif" accolés avec un nom d'artiste plein de z, j, k et de c avec des accents bizarres, ça me donne envie d'écouter. Ridicule, n'est-il pas ? Je me rappelle très bien le jour où les symptômes sont apparus : je venais tout juste de découvrir Riverside.
Les Lithium Dawn, eux, sont américains, malgré le nom du compositeur / chanteur / instrumentiste / ingé son et producteur, Ondrej Tvarozek (ça m'apprendra à faire de la discrimination positive sur l'orthographe des noms). Ils nous ont offert il y a quelques mois leur premier album, Aïon, à la croisée du djent (genre de metal progressif bien connu des fans de Meshuggah), et du rock progressif dans sa grande tradition. Quand je dis offrir, ce n'est pas une métaphore : l'album est intégralement en téléchargement sur bandcamp.
Rien qu'à lire les inspirations du groupe, on en salive : Tool, Deftones, A Perfect Circle (oh yes !), Opeth (géant !) et Porcupine Tree (OMG). Rien qu'avec ça, on se dit que le groupe sait où trouver de bonnes sources d'inspiration.
Mais on peut quand même en rajouter une petite couche en faisant défiler leur profil facebook : Lithium Dawn a eu le grand plaisir de rencontrer George Massenburg (c'est pô juste), ils apprécient Gojira (ha les braves petits !), et le titre de leur premier album est tiré du nom du livre de Carl Jung. C'est drôle, entre The Police et Lithium Dawn, on pourrait imaginer que l'intérêt pour la psychanalyse favorise la créativité musicale... Car Aïon est un album réfléchi, cohérent, et longuement travaillé sur trois années ; home made qui plus est, et on n'a pas affaire à des petits joueurs en matière de mix / mastering.
J'adore les albums flirtant sur un concept, qui utilisent un postulat façon scénario et partent l'explorer ; le postulat d'Aïon, c'est le cataclysme, la fin du monde (encore ????!), les quatre éléments, mais aussi l'amour perdu, la colère, et l'introspection. Tout ça à une échelle dont on ne sait plus si elle est purement intérieure ou galaxiale. Les Lithium Dawn ont osé un graphisme à cheval entre science-fiction et scénario catastrophe ; le livret est sympathique avec sa tracklist façon "mémoire de l'ordinateur de bord". Cela tombe plutôt bien, je suis fan de SF ; on comprendra mon plaisir quand j'ai cliqué sur leur site officiel, je me suis dit que j'allais faire chauffer le Faucon Millenium, et que c'était parti pour un voyage chaotique au coeur des étoiles.
Entre bruit d'eau et de vent et sensation magmatique, l'album démarre sur un "Cataclysm" bien travaillé. On se sent naviguer depuis l'espace en train d'observer une planète en pleine convulsion. Le son est profond et nuancé, l'imagination suit naturellement les suggestions sonores.
"Status" enchaine avec brio et nous prouve la toute puissance du tempo lent quand les instruments ont trouvé l'ingé son qu'il leur faut. Le chant vient pour la première fois se superposer ; la pression monte progressivement sur une mélodie très prenante... "and I know that I'm gonna live forever"... c'est vraiment un beau moment en apesanteur.
Suit un "Perpetual loss" sous le signe du feu, plutôt bien ficelé. La batterie ressort à nouveau par sa finesse, j'apprécie vraiment le mixage des cymbales. L'ensemble ne dépareillerait pas en générique de film façon superproduction américaine, le tout est un peu long, mais on retiendra au passage un beau pont à la sauce double pédale.
On reprend de l'altitude avec "Soar" (encore des sons finement travaillés) et son allure plus nettement progressive façon Porcupine Tree ; belles guitares, beaux synthés, progression convaincante.
"Freefall" est tout aussi bien fait, mais on commence à retrouver des recettes déjà entendues sur les morceaux précédents : les mêmes alternances d'ambiance, les mêmes changements de tonalité, on se demande comment Lithium Dawn va assumer les 9 minutes du morceau sans tourner en rond dans sa cabine de pilotage ; ils s'en sortent à nouveau par un pont plus aéré et un bon délire guitaristique servi par Aaron Marshall, musicien invité sur le morceau. La fin du morceau erre un peu, puis se replonge dans les ambiances spatiales, cette fois-ci nous voguons vers des dimensions plus apaisées.
"Oblivion" est la première chanson qui laisse une large place à la ballade. C'est joli, bien fait, mais pas super original, ça sonne comme beaucoup de ballades rock américaines hyperproduites, et au final, je m'ennuie un peu.
"Destroyer", morceau numéro 7, et plus de 7 minutes... (je regarde la track list et je vois qu'il reste encore 5 morceaux...) Des couplets agréables, et un texte qui sonne bien. L'album semble véritablement avoir été envisagé comme un grand film, une saga complète, une vraie lutte contre les éléments, mais paradoxalement j'aimerais que le scénario prenne plus de vie. Sept minutes en gardant une structure couplet-refrain-couplet-refrain-pont-refrain, pourquoi pas, mais la force rock des morceaux ne cache pas les faiblesses de nuances de l'ensemble. Suit la triade "The price", une épopée qui ne me convainc un peu plus qu'en partie III.
"Rust" revient au calme dans une ambiance aquatique assez plaisante, et une belle complainte du chanteur pénétré des lourdes émotions précédentes ; après avoir avoir bravé les cataclysmes, le feu, la colère, on apprécie cette chanson chargée de tristesse et de fatigue, et les boucles lancinantes qui redonnent envie d'accrocher à l'album. "The trip is too long", oui, je ne te le fais pas dire...
L'album se termine sur un "Stellar paroxysm" dont on peut se demander en quoi il pourra être plus paroxystique que l'ensemble des chansons déjà très portées sur le gros son et les envolées vocales. Mais non, on termine au bord de la mer, allongé pour regarder les étoiles filantes et se reposer de ce voyage éprouvant entre supernovae et catastrophes inteplanétaires.
Bref, ma conclusion est la suivante : deux ou trois morceaux oui, mais les 12 morceaux d'affilée, impossible pour moi ; l'album semble vraiment tourner en rond (en orbite, dans ce contexte !). Ce groupe a pourtant de la ressource. Le leader est visiblement totalement investi de sa mission. L'ensemble est hyper propre, mixé au carré. Le groupe possède un concept qui m'emballe carrément. Il a la capacité à trouver des ambiances de mélancolie ou de souffrance plutôt flatteuses, la volonté de faire naviguer les émotions façon grand huit, mais... la recette est pompée en boucle jusqu'à la moelle. On en perd donc assez vite l'énergie intrinsèque. Vraiment dommage pour un groupe djent/progressif qui, par définition, aurait pu se permettre une flopée de circonvolutions sonores et rythmiques sans risquer de perdre sa route.
Les images sont tirées du profil facebook du groupe.