Beverly Jo Scott a entamé en janvier une tournée pour son nouveau spectacle Swamp cabaret, et est montée sur scène à Anglet le premier février au chapiteau des écuries de Baroja. Comme prévu dans une précédente chronique, je m'y suis rendue avec impatience pour découvrir ce qu'elle présentait comme un duo accompagné d'illustrations vidéos.
BJS a choisi depuis quelques temps de présenter des spectacles d'abord, et d'enregistrer des lives pour sortir des albums dans un deuxième temps (cela a été le cas pour ses deux compilations et pour son spectacle sur Janis Joplin). De ce côté, pas de disques hyperproduits bluffants suivis de lives décevants ; c'est plutôt l'art de réconcilier l'écoute au salon et en salle de concert ! Les lives du Cabaret des Marécages sont donc voués à l'enregistrement en vue de la production d'un album, et le concert d'Anglet était une découverte pour le public. Ma chronique sera un tout petit condensé de ce moment, pour donner envie de découvrir l'artiste et son show, sans vouloir dévoiler toutes les surprises à ceux qui auront le plaisir d'y aller !
Fumigènes, tissus satinés, lumière chaleureuse, un voile en guise d'écran de projection, et BJS monte sur scène en slim cuir et converse ; vous avez dit 53 ans au compteur ? Tout ça c'est dans la tête ! Expliquant avec beaucoup d'humour qu'elle n'a pas les moyens de continuer à payer ses musiciens et qu'elle a seulement pris un bassiste pour l'aider à transporter son matériel, Beverly nous propose effectivement un spectacle intimiste avec son comparse Thierry Rombaux.
Qui dit duo ne dit pas forcément minimaliste, puisque BJS s'amusera tout le long du show avec un harmoniseur, une chaussure à tambourin, et que son ingé son s'en donne à coeur joie entre les effets et les pistes sonores d'accompagnement. On saluera d'ailleurs le travail du son, un régal pour les oreilles.
J'adore quand un artiste commence son show en expliquant qu'il nous emmène en voyage ; il me semble que c'est bien là la fonction première de son travail. Le Cabaret des Marécages est un peu le petit théâtre de la vie de BJS. Tout commence à Bay Minette, près de Mobile en Alabama, où est née BJS. Elle nous parle de ses rencontres, des hasards qui ont marqué sa vie, et des gens qu'elle n'oubliera pas. Elle nous chante ainsi un duo virtuel avec un harmoniciste de sa jeunesse, une virée dans la ville de Mobile après une fugue, ou encore une légende sur l'homme qui chantait mieux qu'Elvis Presley et qui disparut un jour dans les marécages... "C’est typique de chez nous, dans le sud, où on raconte et on chante. ", comme elle le dit dans une interview.
Cette virée au milieux des bayous est pleine de saveur, et d'ailleurs elle m'a semblé trop courte ; j'aurais aimé rester encore un peu dans ce territoire surréaliste où rôde le vaudou, entre les hérons et les caïmans, et rencontrer d'autres personnages pittoresques de cet univers clair-obscur.
Mais d'autres contrées nous attendent ! BJS nous parlera de ses amours, de ses déceptions, toujours avec beaucoup d'humour et le recul d'une femme qui ne s'est pas laissée abattre par la vie. La réussite de Beverly tient autant à son talent qu'à sa persévérance, elle qui a connu bien des caps difficiles dont elle a osé parler : une adolescence autodestructrice, le rejet de ses pairs à cause de sa bisexualité, l'exil, la rue, et de longues années de séparation avec sa fille. Loin d'en avoir tiré un regard haineux sur le monde et une musique pleine de rancoeur, elle a su au contraire garder le souvenir des gens qui l'ont aidée, et se préserver du cynisme et de l'apitoiement ; chaque chanson est le témoin d'une histoire, d'une souffrance, d'un amour, exploités pour en tirer de belles harmonies musicales. Le public voit apparaître et disparaitre ces paysages, ces visages, certains évènements particuliers, immortalisés en chanson, et l'on ne peut que s'émouvoir de partager ces moments avec celle qui les a vécus et en parle si sincèrement.
Même en duo, on retrouve tout ce que les amateurs de Beverly peuvent espérer : sa voix caractéristique, bien sûr, des arrangements musicaux très réussis, et beaucoup de chaleur humaine. Thierry Rombaux semble vraiment le musicien idéal pour compléter ce duo en finesse ; son jeu et son visage éloquents auront su charmer le public sans difficulté.
Les nouvelles chansons présentées par BJS sont très bien accueillies par le public, qui retrouve sa patte blues rock avec un plaisir évident. Le duo fera également quelques reprises : "Tolling "est salué de façon enthousiaste en cours de set ; en guise de rappel, BJS nous interprète un déchirant "Comme un petit coquelicot" qui laisse la salle pantelante, suivi d'un "Sitting on the dock of the bay" avec le public, parfait pour terminer le concert ragaillardi, et au final charmé par ce beau dépaysement.
Je ne suis pas toujours très fan de la vidéo en concert. Elle sert parfois à masquer une grande pauvreté d'expression musicale, détourne facilement l'attention d'un moment scénique intéressant, et se montre parfois si envahissante que les groupes peuvent se sentir obligés de l'exploiter pour paraître à la mode et attirer du public sans en avoir réellement besoin.
L'exploitation de la vidéo dans le spectacle de BJS est plutôt réussie, oscillant entre graphisme abstrait, images rétros, et clips psychédéliques hauts en couleur. L'ensemble est agréable et ne vampirise pas trop le spectacle, même s'il est heureux que Beverly Jo Scott et Thierry Rombaux aient une bonne présence scénique pour que le regard ait envie de revenir vers eux. On restera positivement marqués par certaines belles images, tant elles plongent leurs racines loin dans la vie de BJS, voire dans notre propre vécu.
Le concert se termine trop vite, et le public ravi se lève pour saluer ce duo de cabaret comme il le mérite. Beverly semble encore s'étonner de la reconnaissance de ses qualités artistiques... Je lui laisse le mot de la fin, tiré de cette même interview, pour nous rappeler une réalité tout à fait concrète : "Il y a dix ans, c’était complètement différent. Je vendais des disques plus aisément. Et il y a de moins en moins de lieux où faire des concerts. Ce n’est vraiment pas évident. Alors que les gens veulent de la musique : ils ont besoin de ça. On a besoin de ces événements, de ces occasions d’être ensemble et de ressentir des choses en même temps, de cette évasion, de ces sonorités qui provoquent des émotions, le bonheur, la colère, la sensualité. (...) Le manque de musique peut tuer. Je ne peux pas imaginer vivre sans musique."
En guise d'aperçu pour terminer, une vidéo de BJS chantant en solo un titre du Swamp Cabaret, trouvée au hasard de cyberpérégrinations et datant d'avant la tournée officielle !
Les photos du concert ont été prises par Thierry Loustauneau.