C’est leur troisième passage à Paloma, après deux sets franchement mémorables lors du This Is Not A Love Song : Osees revient sans son H en terre nîmoise. Depuis le 10 juin 2017, le personnel, habituellement mouvant, n’a que peu changé (si ce n’est l’arrivée de Tomas Dolas aux claviers en 2018), mais le groupe est, discographiquement, parti explorer des territoires plus expérimentaux qu’auparavant ; nous sommes donc assez curieux de voir ce que cette esthétique nouvelle donnera en live.
The Silly Walks
Paloma faisant bien son taf, un groupe local est invité à ouvrir la soirée : les Montpelliérains de The Silly Walks. Le début du show est un peu difficile, les gimmicks rockab’ passés au tamis des Cramps ou sauce B52’s ne nous séduisent pas vraiment, un peu trop entendus. Mais en milieu de set, le trio parvient à opérer un renversement saisissant et inattendu, et que la technique se soit finalement mise au diapason ou que le groupe ait fini de réchauffer ses membres ankylosés par les températures automnales, tout devient soudain plus lisible : son, lumières, et intentions des musiciens.
Cela coïncide aussi avec une accélération notable des tempos, qui amène le trio à baigner dans un registre plus moderne qui, à notre humble avis, semble mieux lui convenir que l’esthétique rock à bretelles. Les fractures structurelles amènent de la nuance, l’atmosphère est plus lourde, The Silly Walks démontre un potentiel intéressant.
Entendu par notre photographe à la sortie :
« C’était bien, More Women on Stage.
- Non mais c’est pas le nom de groupe.
- Ah bon ? »
Osees
Probablement arrivé à la bourre ou, quoi qu’il en soit, trop tard pour balancer avant le début des concerts, le groupe nous offre le spectacle intéressant d’une installation à la va-vite, dont on retiendra une image forte, celle de Dan Rincon déroulant lui-même son petit tapis de batterie pour l’installer méticuleusement au milieu de la scène. On sent le poignet bien souple, et l’œil aiguisé du géomètre qui sait, instinctivement comment placer son grand rectangle avec force parallélisme.
« Enlève tout dans mon retour, ne laisse que de la voix » : pressé, John Dwyer abrège le soundcheck et lance le premier morceau sans s’encombrer d’une sortie/ré-entrée en scène, la fosse est encore entièrement éclairée, la moitié du public est dans le patio en train de fumer sa bière en commandant des clopes, mais sur scène ça trace. Avec la basse placée à son opposé, de l’autre côté de la paire de batteries, on se dit que le son de plateau de ce brave Johnny doit être bien perrave, mais dans la salle, dès les premières notes, c’est du lourd.
Comme la collection de disques du groupe commence à peser un peu lourd sur l’étagère, il y a forcément un choix compliqué à faire dans la setlist, et il faut trouver l’équilibre entre satisfaction du fan, satisfaction du musicien et respect de l’évolution du groupe. En studio, la direction artistique du groupe a pris un tournant, et sur les deux dernières années, la tendance était plutôt à l’expérimentation, avec des sorties de remixes perchés, d’inédits bricolés et de titres de vingt minutes de long.
Ici, le choix est fait d’évacuer dès le début de la prestation les quelques tubes du groupe qui font remuer les derches, hits furieux de rarement plus de quatre minutes, pour bien matraquer d’emblée les tympans : "I Come From the Mountain", "The Static God", "Tidal Wave", "Nite Expo"... Titre à partir duquel, par ailleurs, sont lancées des projections derrière les musiciens, ce qui pour l’instant est limite décevant, puisqu’on se voyait bien profiter de ce côté garage-roots-balésteaks pendant tout le concert. D’autant que les images inspirées par les écrans de veille de Windows 98 sont cheap et mal calibrées, ça déborde sur les enceintes, ce qui crée des zones d’ombre sur l’écran lui-même. Et puis on s'en fout, on ne regarde que les batteurs, développant une fausse synchronie hypnotique.
Ces projections auront toutefois plus d’utilité dans la seconde partie du set, car, si l’on privilégie la période post-Brigid Dawson (à quelques exceptions près, "The Dream" notamment), et pré-pétage de plombs (avant la mort du h entre O et Sees, pour dater à la louche) c’est pour mieux s’autoriser la dérive qui suit. Fort de ce démarrage tout à fait énergique et chauffant la salle à blanc, on s’autorise donc quelques longueurs oniriques permettant à Dwyer de s’en aller phaser sur ses claviers, digressions rêveuses interrompues de temps à autre par des titres violents tels que "Scramble Suit II", réveil en sursaut de type hardcore.
Le concert repose donc sur cette bipolarité, légèrement déséquilibrée en ce que la partie trips acides nous semble un poil sous-développée. Et c’est un début de réponse à cette question qui aura résonné pendant tout le trajet aller, tout le concert lui-même : pourquoi est-ce que je suis aujourd’hui moins enthousiaste à l’idée d’un concert de Osees ?
Ce manque d’entrain, il semble qu’il se ressent aussi dans la salle, moins pleine, moins électrique en comparaison aux passages précédents (dans un contexte différent, certes, celui d’un festival, ce qui a son importance), et peut-être même sur la scène. Le groupe est loin d’être « moins bon » que deux, ou trois ans auparavant ; l’ajout d’un clavier derrière la paire de batteurs apporte même une épaisseur intéressante au son global. On ne peut s’empêcher de penser que ce décalage entre la setlist du groupe et les récentes sorties est à l’origine de ce manque d’enthousiasme.
Questions
Est-ce que Osees intéresserait encore les foules s’il se radicalisait au point de ne jouer que la matière expérimentale d’un album comme Panther Rotate ? Mais le fan qui vient se prendre une bonne claque garage parce qu’il a entendu "Tidal Wave" dans Breaking Bad existe-t-il encore ? Logique mathématique, on est de plus en plus à avoir déjà vu Osees en concert, et quand on tourne autour des 4, 5 fois ou plus, on ne sent pas de véritable proposition novatrice – alors même que les exercices studio la font, cette proposition ; en s’aliénant toutefois la frange la plus « grand public » de son auditoire, puisque délire expérimental il y a. Est-ce grave ? La multiplication de projets parallèles pour Dwyer, autour de l’improvisation, de la texture sonore, etc., pourrait laisser penser que Thee Oh Sees est devenu un fardeau artistique, que l’on tente de rafraîchir artificiellement en faisant tomber là une lettre, là un mot entier...
Il ne s’agit plus du même groupe. Il ne s’agit plus du même univers (écouter à la suite Master’s Bedroom… et Metamorphosed, juste pour rigoler), alors pourquoi vouloir garder le contact, coûte que coûte, avec son public d’enfance ? On connaît l’histoire : on ne partage plus de valeurs, rien que des souvenirs...
Peut-être qu’assumer un décrochage total d’avec le temps des structures pop est ce qui pourrait réanimer véritablement Osees, et tant pis si ça ne ramène pas 1200 personnes : la prochaine fois ça jouera dans le club. Et assister à 1h30 de « bzzz viuviu digdigdi glak glak… BZZVIUW » dans une salle moitié moins grande sur fond de « tougoudougouda goutougoudougouda » by Tic et Tac aux percus, ça, ce serait enthousiasmant.