Trupa Trupa met des paillettes sur la mélancolie

Pour ce quatrième album long au titre intriguant (si bémol la ?) le quatuor math rock a mobilisé ses quatre soldats pour décomposer (dans tous les sens du terme) la musique sur le thème foisonnant de l'exploration du côté sombre. Nous partons donc au fil des onze titres pour un peu plus d'une demi-heure au sein de la douleur, version synthés lancinants et incantations parfois angoissantes.

Pourtant, même si leur thème de prédilection reste le même (le mal), leur traitement du sujet toujours similaire (dissonances, chant halluciné, synthés et yeux rivés sur les pédales d'effet), et leur groupe toujours soudé (quatre copains à la vision des choses complètement différente), les indés de Gdansk savent se renouveler. Ils ajoutent dans cet album une touche plus rythmée à leurs mélodies dépressives qui font jusqu'à présent leur marque de fabrique, sans perdre de leur caractère unique. Comme quoi, il est possible de poncer le sujet de la mélancolie sans virer larmoyant du tout.

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Trupa Trupa version thermique. Photo : Rafał Wojczal

En lançant le disque, on est presque surpris par les cris scandés, joyeux, ouvrant un « Moving » bien nommé, qui donne envie de bouger son petit corps confiné. En revanche, dès le deuxième morceau, la basse lourde en et les saturations remettent en place l'ambiance oppressante que les Trupa Trupa savent si bien insuffler. Des ralentissements, des percussions lourdes, des bruits industriels dégoulinant d'effets, comme une symphonie implacable.

Et ça va être ça tout au long de l'album : un titre au tempo allègre, un titre plus lent ; un pas en sautant, un pas en traînant les pieds.

Descente psychédélique

On avait découvert un peu plus tôt dans l'année le single « Twitch », avec son rythme saccadé, qui fait passer de l'euphorie à l'angoisse. Un morceau qui résume bien l'ambiance de B Flat A : anxieux et stressé, mais galvanisant comme une marche belliqueuse ébourrifée de fuzz rouillé.

Juste après, « Lines » ralentit le tempo. On y retrouve les dissonances chères aux Trupa Trupa, la ligne lancinante derrière, la batterie pesante en une seule note. Un genre de psyché dépressif, Pink Floyd en lendemain de bad trip.

C'est alors qu'arrive le faussement surfeur « Uniform », qui a lui aussi bénéficié d'un clip. Là, c'est du psyché à l'ancienne qu'on retrouve, croisé avec un vieil enregistreur à cassette, dont la bande s'est usée à force d'être rembobinée.

On retrouve cet aspect mid tempo carrément poussif sur « Lit », qui ralentit comme sous l'effet d'un tourne-disque en fin de vie. Le quatuor cette fois ne s'embarrasse pas de fioritures poétiques, la signification est directe.

Dualité homogène

Cependant, des sonorités ressortent, soudain presque pop, ou en tout cas un ersatz de « Call Me » de Blondie, sur « Far Away ». Le refrain reste accroché en tête, à la fois guilleret et lancinant.

Avec la guitare sèche de « All and All », le chant plane, devient presque chamanique, et les effets électroniques s'estompent. Mais les saturations reprennent de plus belle sur le morceau suivant, « Uselessness », avec une batterie granuleuse bien épaisse en ouverture. C'est épais, c'est grinçant, c'est brumeux. Le chant lancinant qu'on entend sous les synthés aigus et les distorsions semble lumineux, comme seul point fixe parmi ces ralentissements pesants. Il est celui qui sait, comme sur « Sick », alors que tout autour devient fou sans avoir l'air, et tout s'effrite dans un psychédélisme hululant.

Chaque morceau de l'album est en soi un petit trésor, chacun dans son style, et pourtant l'ensemble reste cohérent, comme les deux faces d'une même pièce. On se sent comme emporté dans une marche obstinée, on va de l'avant, coûte que coûte, avec les égratignures du chemin.

Pour clore en beauté, « B flat A », long morceau de 6 minutes entre rythme martial et son de glas, sécrète l'ambiance parfaite pour clouer un cercueil.

Trupa Trupa se met au vert en noir et blanc. Photo : Rafał Wojczal

Les Trupa Trupa avaient dit que cet album serait plus sombre que les autres, on n'y croyait pas trop en entendant les premières mesures et le tempo de certains morceaux plus fringants que d'habitude.

Mais c'est finalement plus puissant que ça. C'est une ambiance générale de clown triste qui finit par s'instiller dans l'oreille. Passée la première envie de pogoter (modérément), en ressort un effet de joie factice, comme si elle était imposée, et que les mélodies étaient la pilule bleue qui révèle cette mascarade.

La tournée de sortie de B Flat A passera par une date en France : ils seront en concert à Paris au Supersonic le 18 février.

BflatA_pochetteDisque

B Flat A
Sortie le 11 février 2022

Glitter Beat

  1. Moving
  2. Kwietnik
  3. Twitch
  4. Lines
  5. Uniforms
  6. Lit
  7. Far Away
  8. All And All
  9. Uselessness
  10. Sick
  11. B Flat A

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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