Le 19 avril dernier, Johnny Mafia revenait en terre nîmoise pour fêter les 10 ans de l’éminemment respectable association Come On People, actrice majeure de la scène indé de la région. En plus de sa participation déterminante à l’aventure TINALS, l’équipe a, au cours de cette décennie, pris un malin plaisir à faire venir de grosses pointures internationales dans une zone autrefois délaissée des programmes de qualité.
Comme nous sommes des gens résolument optimistes, voire visionnaires, plutôt que de s’attarder sur les faits d’arme passés – et pourtant, ils existent en nombre – nous voulons que notre hommage à ces travailleurs acharnés de la culture bruyante soit tourné vers le futur. Ainsi, mettons l’accent sur deux événements qui arrivent, auxquels il faut se rendre absolument pour pouvoir continuer de se prétendre cool : après de multiples reports, Mudhoney viendra finalement secouer Nîmes le 20 septembre. Puis ce sera au tour de Fuzz, le trio mené tambour battant par Ty Segall (parce qu’il est à la batterie), reporté lui aussi, prévu pour mars 2023.
Mais ce soir du 19 avril, c’était la fête avec Johnny Mafia. Nous, on a tellement vu Johnny Mafia qu’il nous semble avoir déjà tout dit ; ça ne nous empêche pas d’y retourner à chaque fois et même, comme ce soir, de se cogner deux heures de route pour voir leurs tronches rigolardes se déformer sous la pression des décibels.
Ce sera notre sujet du jour. Si vous souhaitez lire un article qui parle de musique, c’est trouvable là, là, là, là et là. Ici, on ne parlera que de grimaces. Johnny Mafia est un groupe à grimaces. Outre l’énergie corporelle généreusement disséminées sur les scènes de France et de Navarre, le gros du spectacle visuel se situe sur le visage des quatre musiciens.
Mais une bonne grimace ne se limite pas au museau : elle saisit la totalité des membres ; le masque vaut pour costume intégral. La difficulté dans le cas présent relevant de l’adaptation de telles contraintes aux mouvements d’un musicien en action, nécessité imposée par le contexte de type concert. Bien qu’ils évoluent dans un registre concomitant, ce sont quatre personnages tout à fait distincts qui ont éclos, dans une complémentarité irréprochable. Petit tour d'horizon de notre palette de personnages.
Enzo
Enzo opte pour la figure de la tortue joviale. Le dos courbé, les épaules rentrées en avant, un sourire éternel privilégiant la lèvre inférieure, surmonté de deux sourcils placés haut sur le front, la tortue joviale présente l’avantage d’inspirer à la fois solidité et sérénité, idéal pour un batteur, sur lequel on doit pouvoir s’appuyer en toute confiance. La tortue porte sa maison sur son dos, le batteur porte le groupe sur les épaules, Enzo se révèle donc une base rythmique fondamentale pour les édifications mélodiques et harmoniques des colocataires de sa carapace, et son choix de personnage le signifie très habilement. En outre, le registre comique a sa place ici, reposant notamment sur un topos batteuristique consistant en l’ouverture automatique de la bouche sur chaque coup de caisse claire, ce qui tombe bien puisqu’il est dit que le comique, c’est du mécanique plaqué sur du vivant.
William
Le personnage de William oscille entre deux états pouvant être liés entre eux, selon l’atmosphère musicale qui l’entoure. La mobilité du haut de son corps adjointe à une grande élasticité faciale évoque une marionnette qui vomit, une main entière servant, de l’intérieur, à actionner à elle seule la bouche se tordant dans tous les sens, l’autre s’occupant des mouvements de balancier du buste.
La deuxième phase consiste en un sourire, plus ou moins crispé mais bien large, hérité de vieilles séries pour enfants un peu creepy. On pourrait donc nommer cette figure « le personnage de Bonne Nuit les Petits qui au lieu de se coucher, va rejoindre Gros Nounours pour danser le jerk au Palladium en sniffant le sable du marchand ».
Théo
Pour contrebalancer la joie délirante émanant du visage de William, Théo incarne une sorte du fureur toxique, nécessaire à l’édification d’une ambiance punk. Pour autant, c’est plutôt du côté de la caricature heavy metal que penche son interprétation, avec notamment un jeu de langue très élaboré. Une bonne longueur, une couleur laissant penser qu’une dose judicieuse de dentifrice est utilisée au quotidien – ni trop, ni trop peu. Le jeu de bras est important ici, vient accentuer quelques phases d’un mouvement sec pour lequel de nombreux muscles sont contractés, du niveau de l’épaule jusqu’au doigt vindicatif pointé frénétiquement.
La toxicité vient du fait qu’entre chaque titre, il redevient gentil, fait des blagues un peu mignonnes alors on se détend, on croit que c’est notre copain et puis soudain quatre coups de baguettes, et on s’en prend de nouveau plein la gueule.
Fabio
Que serait un concert de rock sans son énergie sexuelle ? Fabio baigne dans le registre du porno chic, avec sa moue suggestive faisant la part belle aux sourcils en accent circonflexe. Elle est associée à une épaule droite très mobile. On devine une certaine souplesse dans ce buste bien relâché, là encore mis en valeur par un jeu de contraste avec la figure contractée de Théo, à qui il tourne par ailleurs régulièrement le dos pour se positionner de profil par rapport au public. C’est la preuve d’une grande maîtrise, puisqu’il s’agit là du meilleur angle pour observer la fluidité de ses ondulations.
Ci-dessous, une sorte de faux trois quart face vouée à porter l’attention sur le jeu de l’épaule droite.
Dans le domaine du spectacle professionnel, rien n’est laissé au hasard ; nous en concluons donc que cet aspect a été travaillé avec une minutie scrupuleuse, probablement au cours d’une résidence conduite par Jim Carrey lui-même, dont l’expertise en contorsion faciale n’est plus à prouver ; une session organisée par le producteur du deuxième album de Johnny Mafia, Jim Diamond, les deux hommes se connaissant bien puisqu’ils portent le même prénom. Toute la démarche consistait en ce que chacun des quatre musiciens puisse trouver son clown intérieur. Une fois celui-ci apprivoisé, à l’humain qui le porte de se laisser apprivoiser à son tour. C'est une réussite. On dira ce qu’on voudra, les Américains savent y faire lorsqu’il s’agit d'entertainment.
Crédits photos : Yann Landry