Pointu Festival, jour 1 : Beak>, Unschooling, Jungle, Sandcastle

Après deux ans de la traditionnelle et très populaire « pause Covid », le Pointu Festival revenait prendre ses quartiers sur la paradisiaque presqu’île du Gaou, à Six-Fours-les-Plages. Le temps d’un week-end, le Var ne serait donc plus un repaire de loubards retraités de mauvaise humeur, et l’on rendrait la plage à ceux qui la méritent vraiment : les raclures rock désœuvrées du département numéro 83, mais également de ceux alentours.

Il y a une sorte de malédiction qui plane sur le Pointu : depuis les toutes premières éditions, des groupes majeurs annulent leur venue au tout dernier moment, créant un grand vide sur l’affiche et dans le cœur sensible des festivaliers. Ainsi les années précédentes, des noms excitants tels que Dinosaur Jr, Fu Manchu ou The Melvins nous avaient été annoncés, puis nous avaient été retirés exprès pour nous faire du mal.

Avant même notre arrivée du le site, nous savions que ce crû 2022 ne ferait pas exception ; nous ignorions qu’il ferait date dans la grande histoire de l’Annulation. Deux artistes s’étaient retirés suffisamment tôt : les défections de Boy Pablo et Kevin Morby ont pu être anticipées, et pour être honnêtes, on était un peu contents... Beak> et Geese appelés en renfort, et c’est un peu comme si Zizou remplaçait ton tonton au dernier moment sur la feuille de match du dimanche, on préfère. Les deux suivantes, Bartees Strange et Cigarettes After Sex étaient annoncés les jours-même de leur passage... Donc bien difficile d’y pallier.

unschooling

Unschooling

Il y a donc, dans le spectre olfactif, une nuance de loose qui s’insinue entre les différentes odeurs d'iode et de pinède lorsque nous passons l’entrée. Le premier concert de l’édition n’y fera pas exception… Si nous étions aussi étonnés qu’heureux de voir Unschooling figurer sur l’affiche, après la sortie de leur excellent EP Random Acts Of Total Control, leur set sera gâché par des problèmes techniques fort fâcheux.

On ne comprend pas bien pourquoi le staff ne hisse le système son qu’après le début du concert, mais les techniciens demandant au public de se pousser du bord de la scène volent un peu la vedette aux musiciens. Comme on venait de lire un article traitant de l’annulation du premier jour des Eurockéennes, la veille, sur fond d’orage apocalyptique, de personnes blessées et d’écroulement du toit de la main stage, on se dit que faire ça en public avec les bonnes grosses bourrasques de mistral faisant ballotter les enceintes n’est pas la meilleure idée.

Désirant recapter l’attention rapidement, le groupe surenchérit dans le gange en pétant une corde dès le deuxième morceau. Ce à quoi la technique réplique en coupant, semble-t-il le son de la façade en plein morceau. On aura donc droit à un peu plus d’un titre avec seul le son de plateau, avant que tout ne revienne, mais à un volume oscillant, jusqu’à la fin, entre l’acceptable et l’excessivement faiblard.

Un début de festival bien galère donc, heureusement sauvé par la qualité de la composition de Unschooling, qui prend d’ailleurs un aspect étonnamment solaire en live, à la faveur de ce coucher de soleil qui nous crame la rétine derrière le groupe. Les phrases de guitare qui nourrissaient l’atmosphère d’étrangeté de l’exercice studio semblent là bien plus gentilles, à la limite de l’inoffensif. La frappe lourde, à la batterie, et notamment cette grosse caisse bien gavée de bas, nous rappelle à tout hasard qu’on est pas chez les bisounours.

Beak>

Les supersub de Kevin Morby installent dès les premières notes une atmosphère sensiblement différente ; la plage c’est fini, on est dans le nuage. On se dit parfois que Beak> ne peut être que la création secrète d’un laboratoire pharmaceutique bienveillant voué à libérer l’humanité de son angoisse, tant les apparitions de ce groupe imposent un apaisement généralisé. Leurs titres ne sont pourtant pas nécessairement guillerets, on pourrait même dire que certains poussent l’auditeur à se cloîtrer dans une sorte d’état contemplatif morbide – c’est le cas notamment des morceaux issus de l’album >>>, qui se font une belle place dans la setlist du jour. Mais on a l’impression qu’une solution est toujours proposée au final ; les Bristoliens proposent la tension et la résolution.

L’attitude des musiciens sur scène doit y être pour quelque chose. Le fait qu’ils soient placés en un léger arc de cercle, le fait que le musicien central soit assis pépouze, tout cela dédramatise le propos, et en même temps captive le spectateur. Ils discutent ensemble sur scène comme dans leur salon, envoient des blagues gentilles (le genre de blagues où on ne rit pas à gorge déployée, c’est plutôt dans le nez que ça se situe, ça fait à peu près « nfff nf nf » comme son).

beak

Et puis, le son. Malgré l’inévitable perte de qualité lors d’un live en extérieur, malgré le blocage du matériel du groupe à la douane, fait devenu habituel depuis le Brexit (et qui va d’ailleurs concerner plusieurs groupes ce week-end), la proposition sonore de Beak> est indéniablement originale, personnelle, l’idiosyncrasie même. La précision est diabolique, la cloche de la ride semble être directement reliée à notre tempe. Des sons de synthé à te détuner la frange, comme une voix humaine qui implore ta pitié sans conviction, mais en mieux. On note en sus de petites poussées électroniques dont on ne se rappelait pas, avec le kick sur touts les temps juste pour plaire, et ça nous plaît. On est en immersion totale, aussi le set nous semble bien trop court ; maintenant qu’ils ont été teasé en festival, il est temps de les faire venir en concert tout seuls, en intérieur, et pas trop loin si possible.

Sandcastle

Le groupe local du jour est programmé sur la petite scène du chill-out, à l’écart de la foule, sous les pins. C’est à partir de ce concert que notre photographe, avec une régularité étonnante, nous répétera toutes les heures qu’il préfère vraiment le son du chill-out que celui de la grande scène. Au moins on le sait.

C’est vrai que cette scène a du bon, favorisant une proximité avec les artistes, un contact plus organique avec de vrais sons d’amplis, de batterie, de vraies projections de sueur de musicien, bref, l’humain. On reparlera, lors du bilan final, du concept total de l’espace chill-out dans sa globalité, qui nous a tout de même interrogés, mais pour l’heure, c’est donc sauce à la transpi avec Sandcastle.

sandcastle

Le quintet toulonnais développe un son massif et sombre de première qualité. La maîtrise impeccable des ambiances sonores permet un renouvellement jamais lassant de la doublette magique tension / explosion, rendue possible par un beau travail d’entremêlement de guitares, soignées et pesantes à la fois. Le frontman captive, la section rythmique tabasse, le bourrin côtoie le sensible et devant, on exulte.

Jungle

La tête d’affiche de la soirée débarque en nombre sur la grande scène, directement sortie des années 2010. L’ambiance est chaleureuse, ça danse partout sur le sable, ça groove dans les enceintes, mais on a beau faire, ça ne nous touche pas. Peut-être qu’on a trop souvent entendu de voix haut perchées sur rythmique électro-funky dans les pubs pour des opérateurs mobile ou quoi que ce soit, mais on n’entre jamais véritablement en connexion avec cette bande pourtant joyeuse comme tout. Tout est propre, douteusement propre, on ne sait plus où sont les samples et où est le live.

jungle

Trop calibré pour nous séduire, le show est inapte à laisser émerger une once de spontanéité, celle qui dynamite le quatrième mur. Tout de même, on ne peut nier que ça fonctionne auprès d’une majorité de spectateurs présents, et le public qui s’était déplacé spécialement pour voir Jungle semble convaincu.

jungle pointu

The Avalanches

Le duo The Avalanches, en revanche, ne remportera pas la même adhésion, et semble décevoir de nombreux festivaliers. De notre côté, leur set n’entre pas spécialement dans notre ligne éditoriale, et on ne se sent pas d’une grande légitimité à l’analyser. En plus, ils ont des conditions photo vraiment relou. Nous nous esquivons.

Si l’on est donc mitigé quant à une partie de la programmation, c’est tout de même un premier jour satisfaisant qui se termine. On a eu ce qu’il nous fallait de claques, et il faut dire que le cadre du festival est agréable comme rarement. La faute au paysage, d’une part, une presqu’île méditerranéenne cernée par les pins, ça ne se refuse pas, mais également au staff de l’événement, constamment bienveillant, accessible et agréable. Quand on nous raconte l’heure de file d’attente à laquelle il fallait se confronter pour boire une bière aux Solidays quelques jours plus tôt, on se dit qu’on est quand même bien dans notre festival à taille humaine, où le maximum qu’on ait eu à patienter pour accéder à la picole doit à peine atteindre la minute.

Crédits photos : Thomas Sanna



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