Troisième jour de cette édition 2022 du Pointu Festival. Un ultime acte qui débute, pour de nombreux festivaliers, par l’immense déception de voir Cigarettes After Sex contraint d’annuler sa venue à cause des mouvements sociaux immobilisant les aéroports.
Ça râle pas mal sur les réseaux sociaux, ça s’engatse entre festivaliers, d’un côté, on demande des remboursements, de l’autre, on appuie qu’au vu du prix dérisoire de l’événement et du reste de la programmation, y’a vraiment pas de quoi grogner. Et puis il y a ceux qui, comme nous, ne peuvent blairer ni Cigarettes After Sex, ni les bagarres de réseaux sociaux, et qui traversent la presqu’île du Gaou d’un pas léger, pour regagner la grande scène en arborant un air guilleret, à la limite du niais.
MadMadMad
C’est avec grand plaisir que l’on se presse pour voir de nouveau MadMadMad, curieux de voir ce que le trio, très apprécié la veille, sur une petite scène et de nuit, donnera sur une grande scène en plein jour. La première note va donner le ton : alors que tout le monde est plus ou moins au milieu d’une phrase et au début d’une pinte, les trois musiciens, montés sur scène avec une discrétion de ninja, démarrent ensemble sur un beat donnant l’impression d’être déjà en plein milieu d’un set ultra-dansant. Un départ sec, précipité, à la limite du dictatorial, qui ne laisse d’autre choix aux pauvres consommateurs de la Bière de la Rade que de renverser le contenu de leurs eco-cups en remuant irrésistiblement les bras.
Bien qu’encore une fois, notre photographe « préfère le son du chill-out » et qu’en effet, la proximité permise la veille par cette petite scène avait électrisé l’atmosphère, ça reste un départ franchement canon pour cette troisième journée, et même « la meilleure ouverture » comme on l’entend plusieurs fois dans la foule. Le trio a chauffé le Gaou à blanc, et à 19h30, on se sent déjà comme à 3h du matin.
MadMadMad est donc tout autant crédible sur une scène garage où le jeu est d’être crade et remuant, que sur une grande scène au son plus lisse, sur laquelle ils assoient leur groove avec maîtrise et spontanéité. La dynamique du concert est transformée sans en perdre grand-chose, les lignes de basse sont toujours du type de celles qui rendent fou, et la batterie propulse toujours les structures avec une patate enthousiasmante. Pas de pause ni de pose, ça déborde d’énergie et de sincérité, on est pleinement convaincus.
TV Priest
S’il arrive souvent qu’un groupe que l’on n’appréciait pas en studio nous surprenne et se révèle finalement bien plus convaincant sur scène, l’ambiance dans le public et le son live aidant, l’inverse est heureusement un peu plus rare. Il est assez difficile de parler de ce set de TV Priest, tant le groupe semble ne pas vouloir proposer grand-chose. Les titres s’enchaînent sans même que l’on s’en aperçoive, noyés dans une atmosphère noisy mollassonne et monolithique, d’une platitude à faire passer la Belgique pour une station de ski.
Le plus frappant reste que les musiciens semblent capituler à 100 % devant le manque d’entrain du public, laissant plus ou moins leur frontman se démerder, sans qu’il n’ait vraiment l’air d’être présent non plus. Un désinvestissement manifeste, qui donnerait presque envie de prononcer l’heure du décès du post-punk à grosse guitares. La qualité des textes, mise en avant dans la communication du festival, ne sauve pas le moment, et la file d’attente se densifie au stand sandwichs, dont les garde-manger se vident dangereusement.
The Varlifornians
Retour au chill-out, avec un collectif local, The Varlifornians, formé autour du groupe Hal Manhar et de "Varlifornia Dreamin’", un documentaire dressant des ponts entre le Var et la Californie. On joue sur l’aspect solaire, du surf rock classique et des chemises à fleurs. L’ambiance est détendue, la composition aussi, sans être désagréable ni faire preuve d’un éclat particulier.
Les musiciens jouent « à la maison » et affichent une certaine décontraction. La posture sur scène est décontractée mais l’ambiance « private joke », si elle maintient l’attention des amis du groupe, crée une atmosphère assez excluante, et on ne se sent jamais vraiment concerné, comme si on ne s’adressait pas tout à fait à nous.
Stella Donnely
En terme de personnalité solaire, Stella Donnely, gagnant la grande scène un peu avant 22h, compte bien mettre tout le monde d’accord. La positivité extrême dont elle fera preuve entre chaque morceau finira même par avoir raison de notre patience – c’est trop pour nous. Si les manières sur-enjouées séduisent incontestablement le parterre, les tics de langage et expressions du visage exagérées nous rappellent les talk-shows à l’américaine, ultra-codifiés et mis en scène de sorte à tuer toute sincérité.
On est ronchon, parce qu’on se sent donc victime de cette programmation bâtie en decrescendo, que l’on peine à comprendre. Si l’on organise une soirée bâtie en V, avec en son centre la représentation la plus calme du jour, c’est forcément l’apathie qui culmine. C’est pire encore si l’on n’apprécie pas tout : après s’être ennuyé devant les deux groupes précédents, on peut difficilement apprécier ce « moment suspendu » que l’organisation voulait créer. La pop-folk-country bienheureuse de la chanteuse australienne peut être de la plus fine conception, on n’est pas apte à la recevoir. On préférerait du rab de frites, mais il n’y a plus de frites à cause de TV Priest.
Shame
Le groupe le plus attendu du soir depuis que plus personne n’attend Cigarettes After Sex investit la scène aux alentours de 23h30. Avant cela, les Britanniques s’étaient lucidement auto-proclamés têtes d’affiche sur les réseaux sociaux en posant sur les rochers du bord de mer, et au vu de la prestation qui nous sera livrée, on se dit que c’est ce qui pouvait arriver de mieux.
Tout, dans le show que Shame met en place, se fait la définition de ce qu’est un groupe véritablement vivant. Le contraste est tellement saisissant avec la prestation automatisée des Hives la veille qu’on aurait pu développer une multitude d’études comparatives sur les thèmes de l’intégrité artistique, la longévité, la vie et la mort et tout un tas de sujets métaphysiques. Bon, ça n’aurait pas été fair-play.
La setlist est dynamique, pioche dans les deux premiers albums, mais également dans ce qui devrait être le troisième, pas encore sorti et dont la fin de l’enregistrement sera annoncée quelques jours plus tard. Ces nouveaux titres sont franchement enthousiasmants : si l’un des points faibles de Drunk Tank Pink était, à notre sens, l’aspect un peu paresseux des lignes vocales uniformément parlées/scandées, les inédits semblent prendre une autre direction, en revenant à un vrai soin mélodique. Dans l’instrumental, on conserve la noirceur et l’opacité des tirs récents, tout en épurant la composition. Le groupe est donc en mouvement, en travail, n’a pas peur de faire évoluer son son, et prouve ainsi sa bonne santé artistique.
Là encore, de nombreux problèmes techniques viennent perturber le set, tous dirigés vers le guitariste côté jardin, Sean Coyle-Smith, visité par un technicien littéralement entre chaque morceau. Il garde le sourire en toute circonstance, on se prend à une pensée du niveau de bienveillance de ma grand-mère genre « ils sont sympathiques, quand même, ces punks, là ».
En guise de final, Shame ne fait pas le choix de la surenchère, opte pour le contemplatif-mais-bruyant "Snow Day", un titre qui nous laissera une grande impression de maîtrise, de rigueur obscure, de pessimisme lumineux. Une conclusion optimale pour ce Pointu Festival, que nous avons du mal à quitter, à l’image de ces festivaliers ivres (de bonheur) organisant spontanément un moment de danse en ligne, au son des derniers disques du DJ d’au revoir. Pendant ce temps, notre photographe cherche ses lunettes par terre. Il ne le verra plus jamais.
Bilan
Même si l’excellence du set de Shame justifie tous les déplacements, et qu’honnêtement, on est bien contents de ne pas avoir eu à se coltiner les mous Cigarettes After Sex en fermeture, c’est une édition mitigée qui se termine.
Le facteur principal assombrissant le tableau est évident, c’est celui du passage d’un festival entièrement gratuit à un festival payant. Si le prix des billets restait très raisonnable en comparaison aux autres festivals, une cinquantaine d’euros pour les trois jours, cela fait tout de même la différence pour beaucoup – de nombreux festivaliers qui avaient assisté à toutes les éditions précédentes ne s’y sont tout simplement pas rendus. Et puis, on ne peut contester que l’esprit de l’événement s’en trouve considérablement changé ; logiquement, le fait de payer hausse le niveau d’exigence des spectateurs.
Pour une première édition payante, il vaut donc mieux que tout soit parfait, pour continuer de séduire le public. Dans ce contexte-là, le fait de subir une vague d’annulations aussi importante est une bonne grosse tuile. Évidemment, le festival n’a aucun pouvoir là-dessus, et a même très bien géré la situation en proposant deux artistes de remplacement qui, pour nous, ont haussé le niveau de la programmation ; irréprochable. Quant aux deux défections survenues le jour-même, donc non remplacées, on aurait éventuellement aimé que l’un des groupes programmés au chill-out passe sur la grande scène, ou voir un groupe local prendre sa chance, mais bon, remplacer un groupe international par The Tartempionz, ça ne calme pas les foules. D’autant que tout cela se couple avec d’autres galères à gérer, notamment le matos de plusieurs artistes coincé à la douane...
Mais irrémédiablement, une annulation génère du mécontentement auprès d’une partie du public. C’est une fatalité, créée par les conditions particulières du Pointu, qui sont donc le passage au payant, mais également des conditions que l’on considère positives, comme l’éclectisme de la programmation, qui au final se retourne contre le festival : lorsqu’une tête d’affiche telle que Cigarettes After Sex annule, évidemment, leur public, qui n’est pas nécessairement attiré par les grands hurlements de Shame, ne s’y retrouve plus. Et ça demande des remboursements, qui bien sûr ne viendront pas – l’équipe communication renvoie vers les conditions d’achat implicitement signées lors de la commande d’un ticket lorsqu’on le leur demande.
Tout peut donc se comprendre : d’une part les râleurs déçus de ne pas voir le groupe qui leur a fait acheter leur place, d’autre part le festival qui ne peut pas y faire grand-chose puisqu’il n’a, à priori, pas d’influence sur la grève des personnels de l’aviation.
Geese, jour 2
Et puis, il y a le reste, les programmations décevantes, voire agaçantes, qui sont de longs moments à passer quand on a accès qu’à une scène… Une alternative à l’attente-assis-par-terre-que-le-groupe-finisse était tout de même proposée ; c’est précisément sur ce point qu’à notre sens, l’organisation fait sa plus grosse erreur.
Pour 15 euros de plus, les festivaliers pouvaient accéder à un espace privilégié, le seul véritablement ombragé du site, sur lequel il était annoncé que l’ont trouverait une autre scène plus intimiste, des performances artistiques, des stands d’alimentation supplémentaires (on n’y est pas resté bien longtemps mais il ne nous semble pas avoir vu ces derniers). Si l’espace, en lui-même, est accueillant, et que la seconde scène plus intimiste est une excellente initiative, voire très importante, on ne comprend pas comment en permettre l’accès uniquement en payant plus cher peut être considéré comme une bonne idée. C’est la deuxième fois que le Pointu met ce système en place ; on trouvait ça gênant dès la première tentative, alors que le reste du festival était encore gratuit, là, c’est carrément irritant.
De plus en plus de festivals s’y essaient ces derniers temps. Nous pensons qu’il est important que cette mode dérangeante cesse. Un festival rock, qui plus est indé, n’a nullement à perpétuer une pratique purement économique héritée des boites de nuit merdiques à carré VIP, ça n’a pas de place dans cette culture. Les inégalités sont présentes partout ailleurs, elles doivent impérativement rester à la porte du festival, et ne permettre de s’asseoir à l’ombre qu’à la partie de la population pouvant débourser plus d’argent que l’autre, c’est une forme de ségrégation sociale. Un festival s’attachant, par son slogan autant que par sa programmation soignée, à promouvoir la culture de « l’indépendant », ne doit pas recourir à ces sournoiseries pécuniaires. Que cela puisse exister dans un événement tel que le Delta, qui se tenait simultanément à Marseille, ne nous choque pas ; on y suit les règles du grand circuit et de sa hiérarchisation scrupuleuse des êtres humains. Les humains présents acceptent de jouer ou du moins, de contempler le jeu de l’obsession de l’ascension, où le but ultime est d’atteindre le rooftop. Mais le public rejoignant un festival tel que le Pointu ne devrait pas s’attendre à embrasser les préceptes nauséabonds que les événements festifs de supermarchés appliquent. On devrait communier. La seule raison valable de ne pas trouver ses amis devant une scène lorsque l’on a tous payé nos places, c’est celle du goût, et non du surcoût.
Cette déconnexion est d’autant plus frustrante que le reste de l’organisation nous paraît véritablement humain : les membres du staff sont agréables et accessibles, ceux de la sécurité sont bienveillants et semblent heureux de travailler dans cette atmosphère, les bénévoles sont superbement traités (une bénévole du dispositif Safer nous disait avoir reçu le meilleur accueil bénévole qu’elle ait eu sur un festival)… Tout est bien, autour d’une programmation qui, en dépit de quelques incompréhensions, reste de haute qualité. Pour les prochaines années, nous formulons donc le vœu pieux que, plutôt que les groupes ou même le festival lui-même, ce soit le prix du coin chill-out qui soit annulé.
Crédits photos : Thomas Sanna, Davy Sanna (Stella Donnely)
Sandcastle, jour 1