Après une seconde journée qui nous a laissé sur les rotules, oreilles et cœurs satisfaits devant une programmation éclectique et qualitative, c'est l'appréhension qui règne aux abords du troisième tour de piste de Guitare en Scène. Scorpions en tête d'affiche, un vecteur d'appréhension de choix tant on les voit comme la blague de trop, le groupe dont on se réjouissait de voir la fin annoncée lorsque les belles années sont derrière eux et qu'ils continuent de s'accrocher à leur regain de gloire, là où les concerts dépérissent. Pour que le set des Allemands paraisse énergique et - rigolons - novateur, Guitare en Scène a la bonne idée de programmer un autre dinosaure un poil éreinté, George Thorogood, accompagné de ses infatigables Destroyers.
George Thorogood - Scène CHAPITEAU - 20h
Thorogood, on ne le connaît que très peu outre-atlantique. L'occasion d'en découvrir plus en live, surtout quand il nous est indiqué en introduction que le compositeur a bien plus à proposer que son cultissime "Bad To The Bone" (qui, soyons honnête, nous laisse déjà d'ivoire). La réalité est toute autre, mais correspond au moins à l'image que nous nous faisions du vétéran américain : un rock certes énergique, mais surtout générique. Énergique dans l'aspect rentre-dedans des compositions, prévues pour donner envie de se battre au détour d'un bourbon de trop dans un bar poussiéreux - mais si, cette bande-son en fond dont tu te branles parce qu'elle n'a aucun intérêt musical mais qui te fait quand même taper du pied - car ce n'est pas par son électricité que la bande se démarque. Thorogood tente les poses, apporte avec lui un doigté original, proche du bluegrass - un atout pour Guitare en Scène qui propose une nouvelle approche de la six cordes -, son éternel air ébahi et ses levers de guitare. La présence est là mais la fatigue a pris le pas. À 72 ans, on ne lui en veut pas, et on ne lui dira pas de raccrocher, tant on est en admiration devant des formations tout aussi âgées et lessivées. Mais celui qui se démarque par la rage de ses prestations, s'il donne ce qu'il peut et ne propose rien de honteux, nous offre une concentration plus accrue sur ses compositions.
De "Rock Party" à "Born To Be Bad", on ne peut dire que le répertoire des Destroyers percute les mémoires. L'impression d'entendre une soupe équivalente, dont on n'apprécie que la diction parfois approchante du spoken word du chanteur, qui s'amuse à la moduler, il n'y a que peu de moments d'éclats, qui génèrent parfois un plaisir poli, souvent un ennui appuyé. Les nombreuses reprises, des Sonics à "Tequila" de The Champs, ne réchauffent pas spécialement l'ambiance. On sent que le public apprécie le concert, mais on est loin, par exemple, de l'ambiance électrique et vive qu'apportait Kingfish la veille, devant quatre fois moins de populace. Du Papy rock made in USA dans toute sa splendeur, que l'on imagine parfaitement remplir les soirées country en première partie de Garth Brooks, et journées Nascar devant ceux qui, tant qu'on parle de leur pays, se foutent de savoir si c'est de la bonne musique. L'addition du saxophone de Buddy Leach apporte une certaine sympathie - quand on entend le bougre noyé sous le mix -, l'impression de voir une formation qui pourrait s'approcher du E Street Band de Springsteen, l'art de la composition en moins. Sans hurler à l'arnaque totale, George Thorogood n'a de légende que le nom, a au moins le mérite d'avoir une bonne bouille et une envie de continuer respectable, et s'avère, comme prédit, une parfaite introduction pour que Scorpions nous paraisse bien plus énergique.
Scorpions - Scène CHAPITEAU - 22h
Arrivés à ce stade, on peut dire que nous n'attendions déjà plus rien de la soirée, anticipant le spectacle aseptisé de la formation allemande et de ses membres fatigués, et un concert de Gotus qui nous fait beaucoup regretter l'annulation de Bernie Marsden. Pourtant, malgré le souvenir douloureux de 2017 et les retours pas vraiment emballés du Hellfest, on doit bien reconnaître que la prestation est moins mauvaise qu'attendue. Scorpions est une machine rodée, c'est indéniable, même si on pleure dorénavant l'absence totale de morceaux issus de la seule période où le groupe était créatif (même plus un medley pour honorer "Speedy's Coming", c'est triste). Après avoir expédié le très dispensable "Gas In The Tank", on emprunte la bretelle d'autoroute et c'est parti pour l'enchaînement "Make It Real" / "The Zoo" / "Coast To Coast". Le fond de scène bien kitsch est au rendez-vous, la guitare non branchée de Klaus pendant le dernier titre aussi, on est en terrain connu. Petite différence, les baguettes qu'il balance au public ne dépassent pas la barrière du pit photo cette fois, signe du temps qui passe.
À vrai dire, on est tellement en terrain connu que la setlist n'a quasiment pas changé depuis cinq ans. Les titres de Return To Forever ont laissé la place à ceux de Rock Believer, et si on reconnaît aisément la supériorité du dernier album, l'essai n'est pas franchement transformé ce soir. On pense notamment à "Seventh Sun", beaucoup trop poussif pour emballer le public. Seul "Peacemaker" semble bien rendre ce soir. Heureusement que les musiciens sont là pour rattraper ? Vite fait. Si Matthias Jabs est comme à son habitude aléatoirement juste - quand il est statique, chaque pas de côté entraîne une note ratée -, il en est de même ce soir pour Rudolf Schenker, dont certaines des lignes de guitare prennent cher. L'intro à l'acoustique sur "Send Me An Angel" est jouée avec la finesse d'un Rick Parfitt alors que l'on y attendrait une attaque beaucoup plus douce, et dès que Rudolf doit assurer un solo mélodique lent, c'est un beau ratage. "Still Loving You" semble presque interprété par un mauvais groupe de cover. En revanche, Rudolf est toujours au rendez-vous dès qu'il s'agit de faire le show sur scène. Au côté de Paweł Mąciwoda, et Mikkey Dee même si ce dernier est bloqué derrière ses fûts, ils sont en grande partie responsables de l'énergie du set. Associés à la plutôt bonne forme vocale de Klaus ce soir, au moins pendant une partie du set, on s'en sort pas si mal. En somme, Scorpions a fourni un show pas exceptionnel mais meilleur que beaucoup de ceux des tournées récentes. Un peu à l'image du dernier album, pas inoubliable mais sans doute pour autant le meilleur depuis longtemps.
Gotus - Scène VILLAGE - 23h35
Répertoire présentant un best-of "légèrement" retravaillé des formations dans lesquelles les membres sont allés faire les sidekicks (on retrouve entre autres du Unisonic, Cobra, House of Lords...), Gotus (sérieux, ce nom !) s'évertue dans un metal mélodique comme on en voit des tas. Efficace dans l'exécution, notamment vocale, où Ronnie Romero, que l'on a déjà vu sauver Ritchie Blackmore de la catastrophe scénique, est tout en puissance dans son archétype d'hurleur de hard rock. Si les membres du quintette s'amusent et veulent apporter l'ambiance festive inhérente à cette scène, les morceaux proposés manquent d'inspiration pour emporter - un gimmick thématique de la soirée ? -. Les amateurs de heavy rock peuvent y trouver leur compte, mais face à des compositions aussi passe-partout, pompant allègrement sur d'autres standards plus glorieux, et une fois l'énergie de la bande et leur sympathie acquise, on réalise le vide autour. Entendre l'introduction de "Knocking At Your Back Door" (Deep Purple) et un hommage à la bande originale de Blade Runner par Vangelis nous rappelle qu'effectivement nous avons les mêmes références, mais que ça ne fait pas tout. Conclusion décevante d'une soirée en grosse demi-teinte, on se rattrapera demain!
Crédits reports : Félix Darricau et Thierry de Pinsun
Crédits photos : Caroline Moureaux et Luc Naville