Iron and Wine avait bluffé son monde en sortant The Shepherd’s dog en 2007, une véritable perle aux mélodies un peu étranges, le genre qui ne se révèlent pas dès les premières écoutes, qui ont ce côté un peu agaçant qui vous fait y revenir encore et encore afin de percer leurs secrets. La marque des grands albums et des grands artistes : il s’agissait déjà du 4e album, et Samuel Beam, l’homme qui se cache derrière le patronyme, avait largement eu le temps de poser son style, très influencé par le folk, tout en piochant volontiers à droite et à gauche. The Sheperd’s Dog était particulier dans la discographie de l’homme mais pouvait également être vu comme un aboutissement plein de promesses : en s’éloignant du folk et de l'univers dont il avait à peu près fait le tour, Iron and Wine avait sorti un album singulier, inclassable, immédiatement reconnaissable et, au final, assez innovant. Restait à voir si Samuel allait parvenir à rééditer ce coup de maître.
Problème : le successeur du chef d’œuvre en question retourne vers des mélodies bien plus conventionnelles. Pas mauvaises, mais bien loin de cet univers fascinant développé sur son illustre prédécesseur et finalement assez inapproprié, comme si Iron and Wine cherchait à repousser ses limites en se fourvoyant un peu dans un univers qui n'est pas le sien. Du coup, on est un peu circonspect au moment de découvrir Ghost on Ghost, sorti au début du mois. Mais on l’est encore davantage à l’écoute, vu que Samuel donne à première vue l'impression de confirmer qu'il est en pleine crise de Bisounoursite aigüe tant les mélodies sont pop et sucrées, et finalement pas si éloignées que ça du précédent. The Shepherd’s Dog est-il condamné à rester un joyau sans successeur dans la discographie d’un songwriter, aussi talentueux soit-il par ailleurs ?
Soyons honnêtes, l’album n’a rien de honteux et, une fois apprivoisé, se révèle même supérieur au précédent. Samuel revient par moments à ses premiers amours très acoustiques (« Joy »), et parvient même à nous émouvoir ici et là (« Grass Widows », « Low light Buddy of mine », un des très bons moments de l’album). Pour le reste, les amateurs d’ambiances guillerettes seront aux anges, l’album en est truffé, et la qualité de l’écriture est bien là. L'homme a désormais beaucoup d’expérience en matière d’arrangements et n’a pas subitement décidé de faire de la daube. Simplement, aussi bien chapeautée soit-elle, cette pop (car il convient d’appeler un chat un chat) est assez curieuse venant d’Iron and Wine et ne manquera sans doute pas de diviser les aficionados.
Cela étant, on peut se réjouir de la diversité retrouvée après un Kiss each other clean qui se fourvoyait à systématiquement rester dans les mélodies über catchy. Ghost on Ghost présente de multiples facettes, auxquelles les emprunts au Jazz/Soul (on trouve de nombreux arrangements cuivres et violons, sans parler des choeurs féminins) confèrent une nouvelle dimension. Samuel revient en quelque sorte à ce qu’il sait faire de mieux et profite de l’expérience acquise sur ses précédents travaux. Si les compos restent plutôt simples et efficaces, plusieurs titres s'avèrent sinon surprenants, en tous cas mieux adaptés à l'univers d'Iron and Wine ("Singers and the endless song", "Lover's revolution") De ce point de vue-là, l’album est tout à fait satisfaisant et agréable à l'écoute. Et pourtant, on ne peut s’empêcher d’éprouver un petit pincement, en se disant que cette fois c'est sûr, les mélodies incroyablement variées et impénétrables de the Shepherd’s Dog ne sont plus qu’un souvenir qui s’éloigne irrémédiablement.