"Now What ?! était un disque facile à faire"
A l'occasion de la sortie du nouvel album de Deep Purple (la chronique arrive bientôt), Ian Paice a accordé quelques minutes à La Grosse Radio pour évoquer le processus créatif et l'enregistrement du disque. Rencontre avec un batteur de légende qui a participé à l'écriture d'un pan entier de l'histoire du rock.
Bonjour Ian Paice. Deep Purple a sorti son dernier album en date, Now What ?!, cette semaine. Pourquoi avoir attendu huit ans avant de sortir un nouvel album ?
C’est très simple : nous n'avons pas arrêté de tourner pendant ces dix dernières années. Une tournée prend sept mois d’une année, et en plus nous avions tous à nous occuper de nos familles ainsi que différents projets, et il n’y a que douze mois dans une année ! Avec un tel planning, il est difficile de créer de la nouvelle musique. Avant cela, il faut du temps pour s’éloigner de ce rythme et oublier tout cela. En 2011, nous avions décidé que 2012 serait une année plus tranquille. Nous avions juste une petite tournée au Canada au début de cette année et une tournée européenne à la fin de l’année. Au milieu de tout ça, le rythme était plus relâché. Il n’était pas question de ne rien faire, mais il nous fallait du temps avec nos familles respectives. Cependant, huit mois sans musique, c’est long. Nous nous sommes dit qu’il fallait produire quelque chose et nous avons pensé à faire un album. Cet écart de huit ans entre Now What ?! et le précédent (Rapture Of The Deep – 2005) nous a permis de prendre le temps de trouver des idées fraiches. Quand tu as huit mois devant toi, tu ne ressens pas la pression. Une fois la machine mise en marche, Bob Ezrin, un excellent producteur, nous a contacté et nous a dit qu’il serait ravi de nous aider dans le processus. Nous nous sommes sentis flattés.
Comment avez-vous créé cet album ?
Nous avons donné un concert à Toronto et Bob, qui était sur place, est venu nous voir. Le lendemain, nous avons discuté de la matière que nous avions. Nous nous sommes mis d’accord pour dire qu’il ne nous fallait pas un album 100% studio, froid et stérile. Il nous fallait un album live, enregistré en studio, avec de la nouvelle musique. Vu que nous avions tous les mêmes ambitions musicales, la suite a été très facile, notamment pour établir le planning. Nous avons donc fini notre tournée au Canada, pris deux mois pour laisser les idées se développer, puis nous nous sommes réunis dans une grande salle d’enregistrement dans une petite ville au beau milieu de l’Allemagne et nous nous sommes enfermés deux semaines durant et nous avons laissé ces idées se développer, jammé, créé, détruit, recréé… au bout de ces douze jours, nous avions 14 bonnes idées. Nous avons envoyé les démos à Bob et à Ian Gillan et ils ont aimé ce qu’ils ont écouté.
Comment s’est déroulé l’enregistrement ?
Nous sommes allés à Nashville, où Bob vit, où il connait le bon studio pour enregistrer et les bonnes personnes à employer. Nous avons pris une semaine pour la pré-production, en extrayant les 11 meilleures idées que nous avions. Arrivés au studio, nous avions donc 11 morceaux que nous connaissions assez bien pour les enregistrer. Ce ne sont pas encore des chansons à ce stade, ce n’est pas la méthode de travail que Deep Purple emploie. Les paroles sont la dernière chose qu’on ajoute. Parfois c’est difficile pour Ian, mais c’est comme ça qu’on fonctionne. Nous étions très contents des morceaux que nous avions après la phase de pré-production. Une fois en studio, nous étions agréablement surpris par l’environnement, avec une très grande pièce, de 13 mètres de long pour 15 mètres de large, avec un énorme système d’isolation, qui faisait qu’on pouvait être tous ensemble, mais avec chaque instrument enregistré séparément, ce qui a donné un excellent enregistrement. Quand nous avons commencé à jouer, c’était tellement facile que nous avions fini la première phase d’enregistrement en 10 jours. Avec ce cadre, nous avions l’impression d’être des gens qui jouent pour des gens, et non des gens qui jouent pour des machines. Nous avions donc les onze pistes de l’album et une piste bonus. Parfois, quand tu vas en studio, c’est très difficile et ça prend beaucoup de temps pour arriver à un résultat. En général, ça veut dire que quelque chose ne va pas. Cela peut être les idées, qui ne sont pas aussi bonnes que tu pensais, et tu passes beaucoup de temps à essayer de trouver quelque chose dans la musique qui n’est pas là. Donc tu n’es pas content de ce que tu entends et tu continues de jouer encore et encore, jusqu’à avoir un résultat qui semble parfait, mais qui n’a pas d’âme, qui n’a pas de mouvement, de feeling et d’imagination. En général, ces albums ne sont pas ceux qu’on écoute le plus et ont le moins de succès. Machine Head était un album très facile à faire, les idées étaient bonnes, comme le son et l’interprétation et nous en étions contents. Ces albums faciles à faire sont ceux qui ont le plus de succès au final, les fans les aiment mieux. Dans ce studio à Nashville, tout était en place, le son était bon, les idées étaient bonnes. Tous les overdubs et les solos ont pris dix autres jours à enregistrer. Nous étions très contents de ce que nous avions, Bob était très content de ce qu’il a enregistré, Ian et Roger Glover se sont retirés deux semaines pour mettre en place les lignes de chant et les paroles, ils sont revenus à Nashville et enregistré les parties vocales. De fait, cette fameuse période de relâchement qui a duré huit mois nous a permis de faire cet album en trois mois. Mais cela aurait été impossible de faire tout ça si on nous avait donné trois mois, parce que nous aurions senti la pression !
Est-ce que l'arrivée de Bob Ezrin a changé votre manière de travailler ?
Pas dans la manière d’enregistrer. Le talent de Bob se manifeste sous deux formes différentes : il comprend où vont les sons, donc il sait bien les capter, cela vient des nombreuses années d’expérience et c’est aussi un très bon musicien. Il a une grande connaissance de la musique, ce qui fait que si tu perds ton attention sur une piste, il vient te voir, il te dit exactement où tu t’es trompé et te le dit de manière musicale. Ce n’est pas bon d’avoir un producteur qui te dit que ça ne marche pas, mais qui n’est pas capable de te dire pourquoi. Cela ne t’aide en rien. Bob arrive et te dit : "pour ce passage, tu le jouais comme ça, mais maintenant tu le joues autrement et cela ne marche pas". Une explication précise te fait gagner beaucoup de temps, et cela permet d’avoir un bon enregistrement en deux-trois prises. Sans ça, tu peux passer deux heures sur la mauvaise route, et tu dois faire un demi-tour pour trouver où tu t’es trompé de bifurcation. Bob, par sa réputation et son expérience, est aussi assez fort pour te dire "ça ne va pas" et tu respectes et prends en compte son opinion, ce qui rend le travail bien plus efficace. Si jamais nous avons encore l’occasion de travailler avec lui à l’avenir, ce sera avec plaisir que nous recommencerons.
Vous aviez déclaré ne pas avoir suivi de règles dans la confection de cet album. Quelles sont celles que vous ne vouliez pas suivre ?
Nous avons fait un pas en arrière dans notre manière d’aborder la création d’un album. Nous nous sommes rendus compte que, quoi que nous fassions, les radios ne passeraient que nos anciennes chansons. Donc pourquoi s’en occuper et essayer de trouver un single qui ne sera, de toute façon, pas diffusé ? Nous sommes donc revenus à notre ancienne manière de faire. Si une chanson a besoin de sept minutes, qu’on lui donne sept minutes. Nous nous somme attardés aux besoins des morceaux en eux-mêmes. Avant nous ne considérions pas les chansons comme autre chose que des pistes d’album, et c’était bien plus exaltant, on mettait un solo de trois minutes s’il y en avait besoin, par exemple. Parfois, tu te perds dans ta manière de procéder au fil des années, et tu oublies comment tu travaillais à la base. Avant, c’était beaucoup plus simple : on trouvait une idée et on l’étirait autant qu’on pouvait. En revenant à cette méthode de travail, les chansons qui ressortaient sonnaient beaucoup plus naturelles.
Now What ?! est un album assez varié. Quelles ont été vos influences ?
Une fois nos idées arrangées, nous nous sommes rendus compte qu’elles étaient toutes différentes. Elles cohabitent en harmonie, mais elles sont toutes d'une humeur différente, feeling et intensité. Quand tu es un enfant, tu as toujours des influences, et tu joues des choses qui te rappellent ce qui t’es arrivé, avec un sentiment similaire ou autre. Tu n’as pas une idée préconçue de ce que tu vas jouer, autrement que la manière dont tu dois le jouer. Donc parfois, je pense qu’il faut un rythme très simple à la Alan Jackson, une autre fois je pense à John Bonham, une autre un truc à la manière de… Ian Paice ! Je pense que les autres musiciens travaillent de la même manière, ils veulent insuffler une émotion dans leur interprétation, chacun le fait différemment parce que cela rappelle de différents souvenirs, ou un point de vue différent. Avec d’excellents musiciens comme Don Airey ou Steve Morse, nous avons un large éventail de possibilités, je suis fier de travailler avec eux. Les influences viennent de partout, et c’est ça qui fait la force de ce disque : chaque chanson n’est pas seulement différente, elle est unique.
Pensez-vous jouer beaucoup de chansons de Now What ?! sur scène ?
Nous mettrons tout ce qu’on peut dans la mesure où ça ne réduit pas l’enthousiasme du public. Il y a les classiques, qu’on aime jouer et qu’il faut jouer, sinon les spectateurs sont déçus à la fin, ce qu’on ne souhaite pas. Il faut donc trouver lors des répétitions quelles chansons déménageront du studio à la scène. Ce ne sera pas le cas de toutes, certaines vivent heureuses dans l’album et d’autres seront contentes d’aller sur scène. On va essayer d’en extraire trois ou quatre, peut-être cinq, pour les jouer en concert. Il faut comprendre que, quand on ajoute une chanson, on doit en retirer une. Il faut donc trouver l’équilibre. Ce n’est pas impossible, mais c’est difficile. On trouvera un moyen et on entourera ces bébé-chansons avec leurs grands frères et grandes sœurs, de manière à ce qu’elles ne se sentent pas seules. On va donc alterner les nouvelles chansons et les classiques, comme ça les gens les accepteront. Si nous ne pouvons pas mettre beaucoup de nouvelles chansons, nous les changerons chaque soir, comme ça on saura lesquelles fonctionnent le mieux sur scène, le public nous le fera savoir de toute manière. De plus, si le disque Now What ?! est amené à rester tel qu’il est, les chansons sont encore assez immatures et sont amenées à changer et à évoluer au fur et à mesure que nous les jouerons et que nous les connaîtrons mieux. C’est intéressant de voir comment tu peux développer une chanson. Plus tu joues, plus tu apprends. De fait, la musique que nous jouerons cet été sera différente de la musique que nous jouerons l’année prochaine.
Un mot à dire sur Jon Lord, qui nous a quittés l’année dernière ?
Avant de partir enregistrer Now What ?!, je suis parti voir Jon et j’ai eu le sentiment que je ne le reverrai plus. J’ai senti qu’il ne voulait plus être ici. Il ne souffrait pas, il n’était évidemment pas au meilleur de sa forme, mais il savait que cette satanée maladie ne s’en irait pas. Quand j’ai appris son décès, nous étions à Nashville. Je l’ai annoncé aux autres membres et dans l’heure qui a suivi, tout le monde était très calme, et occupé à penser à lui, c’est ce qui arrive quand la réalité te frappe, le fait de savoir que ton ami est parti. Ensuite, nous nous sommes mis à parler de Jon, de blagues qu’il a faites, de la merveilleuse musique qu’il a créée… En faisant cela, nous avons ramené son esprit avec nous et la journée s’est bien passée, nous pouvions reprendre l’enregistrement. Le fait qu’il soit encore avec nous dans notre esprit fait qu’il vit encore. Le fait qu’il ne soit plus ici physiquement est un fait et cela nous arrivera à tous, un jour ou l’autre. Il se trouve que cela a frappé Jon, trop tôt, à cause de cette maladie, qui nous a volé une excellente personne. Il vit en nous et son influence nous a aidé, pas seulement sur les anciens albums de Deep Purple, mais aussi sur le nouveau. C’était donc un jour difficile, mais nous avons réussi à le passer en ramenant Jon.
Interview réalisée conjointement avec Nidhal Marzouk.