Ca fait maintenant un bon moment que le frère singe propage sa bonne parole depuis sa Suède natale. Le groupe n’a pour autant jamais réussi à véritablement percer, la faute notamment à un manque criant de moyens en matière de promotion, mais aussi sans doute au style qu’il pratique et qu’on a souvent désigné par défaut comme étant du progressif. Or, comme chacun sait, à de très rares exceptions près, faire du prog équivaut à un suicide commercial. Pourtant, ce qui est aujourd’hui désigné sous cette étiquette embrasse un spectre très vaste et loin de se limiter à l’approche classique représentée (de fort belle manière d’ailleurs) par les grands noms que sont Transatlantic, Ayreon, Spock’s Beard, The Flower Kings etc. La voix de Stefan Damicolas est il est vrai très proche de celle d’Any Kuntz (Vanden Plas), mais à part ça le groupe a toujours eu un truc bien à lui, sans qu’il ne parvienne à l’exploiter complètement, malgré des albums de fort belle facture. Jusqu’à aujourd’hui ?
Brother Ape n’a jamais rechigné à se tourner vers quelques touches électroniques, à s’éloigner de son cadre musical de base, faisant ainsi preuve très tôt d’une volonté de n’en faire qu’à sa tête et de ne pas rester dans le cadre finalement bien étriqué et répétitif du prog’ pur et dur. Le groupe a en effet un côté potentiellement plus pop qu’il n’a jamais véritablement osé développer. C’est donc avec plaisir que l’on constate que c’est au moins en partie le cas sur Force Majeure (en français dans le texte, absolument). La chanson titre instrumentale qui ouvre le bal tutoie les 6 minutes, tout comme la suivante, « The Mirror ». Elles s’avèrent pourtant légères, très accessibles, comme si le frère singe avait finalement décidé d’assumer cet aspect jusqu’alors sous-jacent dans sa musique, qui la laissait un peu trop coincée entre deux chaises. Plus encore, « Doing just fine » et son petit gimmick sifflé rentrent aisément dans l’oreille de l’auditeur pour ne plus en sortir.
C’est le petit tour de force que l’on attendait : parvenir à être plus léger, plus accessible, plus pop, sans pour autant sacrifier la classe de la musique, son côté « progressif » (au sens étymologique, qui prend le temps de progresser naturellement), de toutes façons inséparable de la voix chaude et charmeuse de son leader. Ce qui est du coup un peu déconcertant, c’est de retrouver des ballades typiquement prog’/hard FM, ce qui ne cadre finalement que peu avec l’évolution précédemment décrite. En même temps, ces influences font partie intégrante de l’identité de Brother Ape, mais la cohabitation avec les titres précédents est un peu curieuse. Surtout que c'est tout le reste de l’album qui est majoritairement composé de ballades et de mid-tempos langoureux.
Quelques extraits de l'album
Très agréables à l’écoute, bien faits, et après tout Brother Ape ne s’est jamais distingué comme étant un groupe heavy. Mais tout de même, une petite décharge d’adrénaline supplémentaire eut été la bienvenue, surtout que des titres comme « The Spanish Prisoner » sont là pour montrer que tout cela n’est pas incompatible. Ce Force Majeure est donc un album très complet, qui ouvre une nouvelle voie intéressante pour le groupe qui connaît un certain renouveau artistique en s’éloignant de ses atours progressifs un peu trop téléphonés… Mais en gardant suffisamment le contact pour que l’on regrette un peu une transformation inachevée. A moins que ce ne soit l’excès de titres softs qui ne finisse par engourdir un peu les oreilles. Toujours est-il que les amateurs de prog/hard FM peuvent se jeter dessus les yeux fermés, et que si l’album n’est pas encore une totale réussite pour les autres, il n’en ouvre pas moins une nouvelle voie à un groupe que l’on suivra désormais avec un intérêt renouvelé.