Dimanche 14 mai 2023… J+1 pour les fans français du Boss… Dès le réveil, les messages interrogateurs des parents, des amis, des collègues : « Alors, c’était comment ? », « Il a été bon ? », « Tu as chopé des places pour lundi ? », « Il assure toujours à 73 printemps ? ». Faut reconnaitre qu’ils sont légitimes, ça fait plusieurs semaines que le compte à rebours a commencé et qu’ils doivent déployer des trésors d’ingéniosité pour amorcer une conversation sans rapport avec le Boss… Alors, je leur dois bien les quelques éclaircissements qui vont suivre.
Revenons donc quelques heures en arrière. C’est à la U Arena de La Défense que ça se passe. Le Boss, Bruce Springsteen, a décidé d’y poser ses valises pendant deux soirées et la première s’est déroulée ce samedi 13 mai 2023. Sept ans se sont écoulés depuis le dernier passage du patron dans la Capitale et il avait enflammé deux fois de suite Bercy pour la tournée anniversaire des 40 ans de l’album The River. Depuis, silence radio avec le E-Street Band, son groupe de rock légendaire. Le Boss a sillonné Broadway en solo pour présenter en acoustique sa biographie Born To Run. Il a occupé son confinement avec un certain Barack Obama et aussi publié trois albums tous très différents Western Stars en solo, le magnifique Letter To You avec le E-Street Band et le tout dernier album de reprises soul Only The Strong Survive… Il y a donc matière à faire feux de tout bois pour cette nouvelle tournée. Passons donc au crible, cette prestation parisienne.
Pour ceux qui n’ont jamais assisté à un concert du Boss (si, si, il en reste encore quelques-uns…), il faut poser un cadre. Un show du Boss, c’est depuis les années 80, entre 3h30 et 4h de pur concentré de rock ‘n’ roll. On est déjà sur quelque chose hors du commun. Et attention, niveau énergie, il n’y a pas mieux ! Puis, il y a du monde sur scène, ça joue terriblement bien ! Des pointures, on vous dit… Alors, installé dans notre confortable siège (il peut à 150 €…), on réfléchit en fixant les drapeaux américains et français négligemment fixés sur les deux côtés de la scène de part et d’autre des écrans géants…
Puis la scène s’illumine ! 19h02, les musiciens arrivent et saluent… Quel cabot, ce vieux pirate de Little Steven ! Le premier lieutenant du patron est fidèle au poste ! Et puis « Bonsoir Pariiis ! » ! Il est là ! Et « Gliiiing ! » Le premier accord de « No Surrender » vient de sortir de la vieille Telecaster patinée par les ans de Bruce ! A peine 30 secondes de show et le train du E-Street Band est déjà sur les rails, prêt à nous entrainer dans le voyage d’une vie.
Et c’est ce qui va se passer… Fort de son expérience de théâtre à Broadway, le Boss vient nous raconter son histoire. Il puise dans tous le répertoire. Et puis, pour les nombreux vieux briscards présents, quel bonheur d’entendre des titres jamais interprétés « live » auparavant ! Notamment ce « Ghost » du récent Letter To You qui n’a rien à envier aux grands classiques du groupe. Le Boss est le seul à produire encore aujourd’hui des titres en passe de devenir légendaires tout autant que les morceaux de bravoure datant de plusieurs décennies. Qui peut en dire autant ? Les Stones ? Quoi de brillant depuis « Start Me Up » en 1981 ? U2 ? « Vertigo » date de presque 20 ans… Cherchez pas, il n’y a que le Boss… C’est le dernier survivant… Et ce message, il nous le fait passer de manière littérale en interprétant en solo « Last Man Standing » où il nous livre l’histoire très personnelle du décès de son ami George Theiss qui l’a recruté dans son premier groupe The Castiles. Groupe dont il est le dernier survivant. Bruce veut faire passer un message et n’hésite pas pour cela à sous-titrer le morceau et son speech d’intro sur les écrans géants dans la langue du pays où il joue. Quelle classe !
La communion avec le public est parfaite. Niveau personnel, Bruce s’est encadré des plus grosses pointures. Pas moins de 18 personnes sur scène, la chorale d’E-Street pour les voix et le E-Street Horns pour les vents (avec le fidèle Eddie Manion aux commandes). Little Steven joue son rôle de faire valoir du Boss à merveille, il assure des rythmiques impeccables, Mighty Max Weinberg martèle ses futs comme un forcené pour assurer ses rythmes diaboliques, tout en puissance. Même si le poids des ans joue inexorablement, les déplacements sur scène se font plus lents, finis les plongeons dans la foule et point de cochon pendu sur le pied de micro, le Boss en impose et manie à la baguette tout son petit monde ! « Come on Jake ! » hurle-t- il à de nombreuses reprises pour annoncer les soli de saxophone de Jake Clemons, le neveu du Big Man du même nom, membre historique du E-Street Band disparu en 2011. Et sur cette tournée Jake a pris une ampleur exceptionnelle ! Il est partout, souffle comme un possédé ! Mention spéciale à la reprise des Commodores « Nightshift » qui « groove » magnifiquement ! Jake est l’un des grands artisans du succès de cette tournée ! Car bien évidemment, c’en est un ! C’est un régal ! Une leçon de rock ‘n’ roll, un concentré de feeling, un art de vivre, un moment hors du temps où le Boss nous livre ses dernières recommandations…
Comme le Boss le dit lui-même : « à 73 ans, on est plus souvent confronté à des adieux et des regards vers le passé qu’à 20 balais où les bonjours et l’avenir priment ». Alors oui, cette tournée a un parfum différent. Elle est moins physique. On est environ sur 2h45 de show plutôt que 3h30. Oui, Bruce court moins dans tous les sens. La setlist est prévisible, très peu de changements, beaucoup moins d’improvisations de la part de musiciens. Mais la contrepartie, c’est que les titres sont hyper travaillés et la présence de Jake Clemons et électrisante. Van Zandt peaufine ses rythmiques et le Boss, débarrassé des obligations liées à un jeu de scène débordant, se taille la part du lion en ce qui concerne les parties de guitares. Il prend la majeure partie des solos ne laissant que quelques miettes à un Nils Lofgren un peu en retrait, excepté quelques beaux moments à la « slide guitar » et un sauvage « Because de Night ». Telle est la volonté du Boss pour cette série de concert et elle force le respect. Chacun aura son avis, les fans purs et durs qui suivent le Boss sur une quinzaine de dates différentes y verront peut-être une forme de frustration. Mais le Boss est lucide, il fait passer un message différent.
Après deux heures de concert, c’est le moment d’un faux départ… Pour mieux revenir pour un monstrueux rappel entamé par un épique « Born In The USA » ! Les classiques s’enchainent ! A fond ! « Born To Run » ! « Glory Days » ! “Dancing In The Dark” ! Puis c’est le moment de nous présenter le groupe juste avant « Tenth Avenue Freeze Out ». On aura droit à la désormais immuable tirade sortie des paroles du morceau « American Land » : « Ladies and gentlemen, you've just seen the heart-stopping, pants-dropping, hard-rocking, earth-shocking, booty-shaking,
love-making, Viagra-taking, history-making, legendary E Street Band! » Transe immédiate ! 40 000 spectateurs communient avec les 18 activistes présents sur scène ! Magique ! La messe est dite ! Tout le monde partira comblé ! Mission accomplie ! Et vous savez quoi ? Le Boss en a encore en réserve…
Les fins de show du Boss sont souvent emprises d’une tension et d’une émotion frôlant le merveilleux. Si la tournée solo de 2005 Devils and Dust nous laissait avec une reprise du « Dream Baby Dream » de Suicide à filer des frissons au plus grand des insensibles, presque 20 ans plus tard, c’est avec un nouveau titre de 2021 que Bruce va réussir cette performance. Après avoir salué un public conquis avec le E-Street Band, le voilà à nouveau seul en scène pour un dernier titre, encore une fois sous-titré afin de pouvoir partager avec le plus grand nombre. Ce « I’ll See You In My Dreams » a une saveur particulière, c’est le morceau hommage que le Boss a joué en 2021 sur Ground Zero pour les commémorations du vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001. Question émotion, vous imaginez... Et quand un bonhomme de 73 balais, vous envoie ça après 2h30 de concert à fond, on est en droit de s’interroger. Est-ce un adieu ? Non, on ne veut même pas l’envisager… Un au revoir tout au plus…. Mais le doute plane…
Résultat des courses, le patron surprend avec cette tournée. Le passage à Broadway a certainement induit l’envie d’un peu plus de théâtralité dans ce show bien plus travaillé et millimétré que les précédents. Certains diront que ce que l’on gagne en technique on le perd en spontanéité. C’est vrai. Mais quoi qu’il arrive, la qualité reste la même, on a juste assisté à un show différent. Et n’est-ce pas là la force d’un artiste d’être capable de se renouveler ? A 73 ans, Bruce est le seul capable de faire ça. The Last Man Standing, c’est lui ! Pour combien de temps ? « God Only Knows » comme disaient les Beach Boys… Et même si quelques signes pourraient nous faire penser à une tournée d’adieu, nous, on espère bien que ce ne sera pas la dernière fois. « This could the last time, I don’t know…» disaient les Rolling Stones en 1963… Ils tournaient encore l’été dernier. Alors tous les espoirs sont permis pour le Boss !