Le premier EP d’un groupe vaut bien souvent pour manifeste d’existence, édictant les lois physiques qui régiront le micro-univers tout juste créé. Celui de Fragile, visiblement, présente un climat rude et capricieux, mais pas inapte à accueillir la vie.
Aujourd’hui sort donc ...About Coming Home, premier EP du quintet Fragile (disponible sur Bandcamp). Si le sale temps qui régnait à Angers la seule fois où j’y ai mis les pieds imprègne très clairement l’œuvre, on n’est pour autant jamais à l’abri d’une éclatante éclaircie. C’est précisément ce qui nous touche en premier dans l’écoute de ...About Coming Home : la qualité de la nuance proposée, sans pour autant mettre en danger la cohérence d’une esthétique déjà bien affirmée.
Les huit titres composent un EP qui nous semble parfaitement équilibré. Dans un registre ou le tout-toujours-à-fond est souvent une règle immuable, Fragile nous offre une belle variété de tempo, et une palette d’atmosphères bien colorées, que ce soit d’un titre à l’autre ou au sein-même d’un morceau. Ce sens de la mesure s’affirme dès le début, en faisant se succéder un titre rentre-dedans ultra-efficace ("Messy Hair") et un autre reposant l’auditeur de force pour tisser une ambiance plus épaisse, plus complexe ("Selfless"). De quoi poser d’emblée la marge de manœuvre que s’autorise le groupe…
Jusqu’à "Overview" en tout cas, titre de milieu d’EP, qui représente lui une véritable fracture : sa prod vaporeuse tranche avec le tranchant du reste, c’est osé, malin, appréciable. Ca nous amène d’ailleurs à nous dire que le groupe ne semble pas présenter de penchant pour le rétro ; c’est référencé, certes, mais à juste dose, jamais question de revival. Un groupe bien dans son temps, moderne, une marche vers l’avant, youkaïdi, youkaïda, et suivra qui pourra.
Crédits photo : Rémy Sourice
A l’écoute de ...About Coming Home, il nous plaît aussi de sentir une véritable identité collective : cet EP est un vrai beau travail de groupe, où tout le monde avance dans le même sens. Les guitares, dramatiques et pluvieuses, nous donnent envie de souffrir au soleil ; ce faisant, elles compensent le minimalisme mélodique de la voix, qui est alors complètement libre de s’époumoner pour se mettre au service d’une interprétation bouleversante. La basse guide l’évolution harmonique composée avec toujours grand soin, s’en détache au bon moment pour apporter un contrepoint amer, et sort de l’ombre quand il faut, à l’occasion de tel ou tel break, juste histoire de montrer quel beau son elle a.
Et à la batterie, on charbonne sans cesse, en composant avec beaucoup de créativité des partitions qui ont la force de paraître simples et évidentes sans l’être aucunement. C'est à dire, crapahuter pendant 2 heures dans les ronces et les hautes herbes, pour trouver le chemin le plus agréable, plus commode encore que la grand route qu'on abandonnait en s'enfonçant dans la végétation. La réussite de la nuance qui traverse "Winter at the Museum", par exemple, doit beaucoup à ce travail en filigrane, abattu avec sensibilité.
Tous ces efforts, donc pour permettre à l’auditeur de s’immerger totalement dans une histoire riche en émotions, et en émotionnalité, si l’on peut dire : car c’est le but de la manœuvre, exacerber les sentiments tout en secouant les corps, une sorte de spleen sur zone sismique, une dépression qui aurait déraillé de son cercle vicieux et qui alors avancerait tout droit ; c’est le désespoir enthousiaste de Fragile.
Ainsi cette première sortie très convaincante fait montre d’une identité de groupe déjà bien mature – en attendant éventuellement que Fragile ne la torde joyeusement dans les productions futures. Et nous serons là pour voir ça !
...About Coming Home, sorti le 9 juin chez Twenty Something.