Fever 333 est LE groupe punk hardcore du moment. Présent dans beaucoup de festivals français, vous avez sûrement dû voir son chanteur, Jason Aalon Butler, escalader les régies ou fracasser ses amplis sur scène. Nous avons pu nous entretenir avec ce dernier à l’occasion du passage du groupe au Hellfest 2023.
C’est la deuxième fois que Fever 333 se produit au Hellfest. La dernière était il y a quatre ans. Après une prestation remarquée sur la Main Stage 2 cette fois, Jason nous livre ses impressions : « C'était encore mieux que la première, et la première était incroyable. Mes attentes étaient donc très élevées, et le sentiment, l'accueil, l'énergie que nous avons pu échanger et partager ont été géniales. Cela a dépassé ces attentes. Je suis content ! »
Mais, cette année, le groupe a un tout nouveau line-up. À la guitare, c’est désormais Brandon Davis, un vieil ami de la scène que Jason connaît depuis des années, à travers différents projets musicaux. À la batterie, c’est l'un des artistes préférés de Jason : « Thomas Pridgen est l'un de mes batteurs préférés de tous les temps. C'est une légende, il a tout fait, de Mars Volta à Trash Talk. En fait, je ne savais pas s'il jouerait dans mon groupe, parce qu'il est tout simplement une légende. Et quand j'ai réussi à le coincer, j'étais tellement excité. » Quant à April Kae, la nouvelle bassiste, elle « s’aligne éthiquement et idéologiquement sur le projet ».
En ce qui concerne le futur de Fever 333, un nouvel album est en préparation. Même si Jason est en quelque sorte le directeur exécutif et qu'il compose lui-même les morceaux, il souhaiterait impliquer davantage ses nouveaux collègues dans le processus d’écriture de l’album : « Je collabore avec énormément de personnes, que ce soit Travis Barker ou John Feldman. Je suis juste le dénominateur commun. Cela dit, Thomas et moi parlions de la batterie et d'autres choses sur l'album, donc oui, j'aimerais qu'ils fassent partie de cet album une fois que nous aurons atteint ce stade. »
Fever 333 a récemment sorti un nouveau single, « $wing », qui semble plus « joyeux » que le reste des morceaux du groupe. Lorsqu’on demande à Jason Aalon Butler si c’est une direction qu’il aimerait prendre pour son prochain album, voici ce qu’il répond : « En fait, quand je chante le « La la la la la la la », c’est un peu une métaphore de ce qu’on fait quand on a un problème : on fait comme s’il n’était pas là. Il y a des problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis des millénaires comme le colonialisme, l’impérialisme ou le capitalisme. Et à un moment donné, on a l'impression que c'est plus facile de faire comme si de rien n’était. Je pense que c'était un bon moyen de montrer l'insouciance que nous avons face à ces problèmes auxquels nous devons faire face. »
Le single « $wing » est aussi inspiré de l’exploitation des personnes de couleur dans l’industrie du sport. Pourquoi parler d’un tel sujet ? Jason explique : « Aux États-Unis, cela fait des années que le pays exploite les personnes de couleur, que ce soit les Asiatiques ou les Noirs. C’est un fait. On peut me dire que c’est un point de vue libéral, mais ce sont juste des statistiques historiques. Nous sommes un jeune pays donc je comprends que nous ayons emprunté ces idées à d’autres parties du monde. Mais je vois les effets sur les gens, je vois les effets dégénératifs. Je peux le dire pour l’Amérique, pour la France, pour le Royaume-Uni et pour l’Australie. Et je crois sincèrement que cette idée de suprématie blanche est à l'origine de la plupart de nos problèmes à travers le monde. C'est ce que je ressens. Et je pense qu'il y a de très bons arguments pour soutenir cela. »
Artiste engagé, Jason Aalon Butler soutient la jeune génération et les groupes comme Zulu et Loathe, aussi présents au Hellfest. Il a d’ailleurs lancé son propre label pour soutenir et mettre en valeur les personnes de couleur. « Ma femme, Gin Wigmore, est une incroyable artiste auteure-compositrice. Dans mon groupe, April Kae est une bassiste géniale et membre de la communauté LGBT. Kim Petras aussi, c'est une vraie star transgenre ! C’est tout simplement de l’art, et l’art nous permet ces moments de transcendance où nous pouvons enlever cette barrière, et simplement dire que ce truc est une réalité. »
Jason tient aussi beaucoup à son indépendance en tant qu’artiste. C’est un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, car quand on lui demande ce qu’il pense des labels, c’est avec une longue réponse qu’il s’exprime : « Ces putains de maisons de disques ne veulent que nous utiliser. Ils veulent juste nous prendre comme des chiffres sur un tableau. Et je comprends, je bosse avec des gens chez Century Media qui sont incroyables et je suis tellement reconnaissant. » Mais cela ne l’empêche pas de critiquer ce système : « C'est l'intérêt de l’entreprise avant tout. Ils ne veulent que de l’argent. Ils veulent exploiter nos corps, notre art, notre culture, notre travail. C’est comme ça que ça fonctionne et ils vont continuer à le faire ».
Pour finir sur une note plus positive, Jason se confie autour d'une anecdote récente : « il y a une jeune photographe noire, Sarah, qui nous prenait en photo au Download Festival il y a quelques jours. Il y avait des personnes noires sur scène, et nous étions un peu comme quelques grains de poivre dans une salière, et nous la voyons, et April est simplement submergée par ce sentiment de ne jamais vraiment se voir représentée dans cet espace, puis cette jeune photographe est juste là en train de faire son boulot, elle est submergée par l’émotion. Je m’approche et nous avons ce moment où nous nous tenons simplement la main en nous regardant dans les yeux et nous nous disons : « je te vois, je te remercie et je t’apprécie ». C'était beau de se sentir en sécurité. Si vous allumez votre téléphone en ce moment, il y a une guerre, il y a un putain de déficit financier, il y a une putain de tempête, il y a des atrocités dans tous les domaines de la vie et vous avez un moment pour vous sentir en sécurité avec quelqu'un que vous venez de rencontrer parce que vous savez que vous avez vécu les mêmes traumatismes. De manière étrangement ironique, les personnes de couleur en particulier, notre capacité à se comprendre à travers nos traumatismes, de savoir que nous ne sommes pas seuls et je pense que c'est ce que la plupart des êtres humains veulent, n'est-ce pas ? Nous voulons juste sentir que nous ne sommes pas les seuls à ressentir cela. Donc, c'était un moment incroyable ».
Fever 333 sera en concert le 21 février 2024, au Trianon de Paris, afin d’assurer la première partie d’Enter Shikari.
Propos recueillis par Florentine Pautet, le 17 juin 2023 au Hellfest.
Crédits photo : Soriya Tach et Florentine Pautet