Depuis que nous avions découvert Thumpaverse, le premier album de Thumpasaurus, une valise toute prête traînait dans un coin de la chambre, au cas où l’on devrait partir précipitamment pour les voir jouer dans un coin obscur et reculé. Finalement, ce jour est arrivé, et le coin obscur fut désigné : Paris. La première tournée européenne de Thumpasaurus passerait par deux fois dans la capitale. C’est sur la deuxième date, organisée au fameux et populaire Supersonic que nous jetions notre dévolu.
LIQR
En ouverture de cette soirée internationale, c’est un groupe local qui a pour mission la première incision des tympans de l’assemblée. Le trio LIQR est animé, dès l’entrée en scène, d’une excellente énergie, et semble obsédé par la volonté de la transmettre au public. On harangue les foules entre chaque titre, chaque note semble être offerte toute entière à l’auditoire.
La composition est d’ailleurs assez généreuse, droit au but sans être simpliste, efficace. Si l’on voulait être un peu grognon, on dirait que l’on voit parfois un peu les ficelles de certains gimmicks qui nous semblent éculés. Mais les gros riffs tranchants et groovy à la fois, les explosions de tempo et la lourdeur de certaines atmosphères constituent tout de même une palette riche : le moment est agréable.
Welly
Dissimuler leur britannicité aurait été impossible. Tout, chez ce combo from Southampton respire l’Angleterre : le phrasé nonchalant mais expressif cependant, la vibe pop de synthèse à danser sur le cadavre du revival post-punk, l’aisance à gober la scène tout rond et sans effort apparent… On pourrait se croire au Windmill, de l’autre côté des vidéos de Lou Smith, mais c’est bien au Supersonic que Welly fait hurler la foule.
Il n’y a pas de batterie mais une boite à rythmes, un micro pour deux choristes et un type qui scande des trucs non-stop au milieu, de joyeux sauts sur place et des sourires à la pelle : la bonne humeur insupportable des jeunes gens présents sur scène les ferait passer pour des animateurs du Club Med s’il n’y avait ce talent brut et spontané que l’on décèle immédiatement. A la place, on croit plutôt voir un gang de loubards gentils fêter une victoire sur des loubards méchants.
Les titres sont ultra-efficaces, refrains fédérateurs et couplets catchy, comme calibrés pour le succès mais en bien plus frais. Autre détail, mais pas des moindres, Welly donne sacrément envie de picoler, ce qui est en général un excellent signe (quand ça n'est pas pour s'assourdir en urgence). On restera donc, si la cirrhose nous épargne, attentifs au développement de ce très jeune groupe qui n’a pour l’instant qu’un single à son actif.
Thumpasaurus
Pratiquement aucun turnover dans la fosse, cette fois, personne ne veut prendre le risque de faire une pause et ainsi perdre sa place au soleil, près de la scène, ou pire, se retrouver du côté de la face cachée du Grand Pilier, au centre de la place.
Après avoir pu observer le groupe gribouiller sur des t-shirts blancs dans les loges (à l’occasion d’une interview à venir prochainement) pour édifier leur merch, on ressent un plaisir spécial à voir le groupe monter sur scène dans son ensemble de combis aux parures manufacturées au feutre noir.
La première tournée européenne de Thumpasaurus ne passait que deux fois par la France, deux fois à Paris. Est-ce qu’il était bien raisonnable, pour le compère Yann Landry et moi-même, de cumuler à nous deux plus de 2800 kilomètres de voies ferrées pour se trouver sur le chemin d’un obscur groupe texan ?
En vérité, La Grosse Radio vous le dit : fous sont ceux qui n’y furent pas. Après une courte intro destinée à chauffer les lampes des amplis et les miquettes d’un public déjà bien en nage, le groupe envoie d’emblée "Struttin’", l’un des titres phares de son répertoire dont le public a fait se rouler par terre 3 millions de personnes depuis sa sortie sur YouTube. Un démarrage bien malin, la fosse est instantanément acquise à la cause de Thumpasaurus, et comme le tempo n’est pas le plus élevé du set, loin s’en faut, la surenchère sera aisée.
De ce départ en trombe au final explosif sur le combo "I’m Pissed" / "Space Barn", le show correspond exactement à ce que l’on attend en écoutant Thumpaverse : un condensé de groove furibard et pousse-à-la-danse, agrémenté de prouesses techniques qui sont autant de claques sonores, sans jamais perdre une dimension ludique primordiale.
Chaque instant de virtuosité – ils sont nombreux – nous permet de mieux comprendre l'analyse du batteur Henry Was qui nous confiait, dans l’après-midi qu'ils avaient passé des années à travailler intensément leur technique, pour finalement chanter « too funky for the salami ».
La formation jazz de la plupart des membres du groupe se ressent lorsque tel ou tel musicien sort du lot, et il s’agit alors de lui laisser toute la place pour forcer le focus du public sur la prouesse en cours. Pour autant, on ne tombe jamais dans un registre démonstratif : ces moments de haute voltige sont au service, sans concession possible, du FUN. Le décalage que l’on perçoit dans les textes ou dans l’interprétation de Lucas Tamaren au chant, trouve un écho évident dans la débauche de technicité déployée par l’ensemble des musiciens ; on « joue au virtuose », et on a bossé toute une vie pour que l’illusion soit parfaite.
Aucun élitisme donc, dans cette démarche : tout est tourné vers le public, pour développer cette complicité permettant à la scène et à la fosse de danser d’un seul et même mouvement. Un sixième membre a même été embauché pour diffuser au mur, en direct, des images permettant une immersion plus intense encore, et même de suivre les paroles façon karaoké bien pratique pour le public français pauvrement anglophone que nous sommes. Montages fracassés, memes, la démarche est inclusive, populaire, plébéienne même - la communion est effective.
Crédits photo : Eliot Selwood