Pointu Festival 2023, jour 1 : Brian Jonestown Massacre, Frankie and the Witchfingers, Mamalarky…

Nouvelle édition du Pointu Festival, événement majeur de l’underground varois, prenant place chaque année sur l’île du Gaou, localisée approximativement entre le jardin d’Eden et l’Atlantide. Tant que le monde n’a pas cramé, on s’accroche donc à nos deux impondérables : le cadre est paradisiaque, et la prog, apte à faire déplacer un paquet de monde.

Sorry

L’an 2023 s’inaugure avec Sorry, le groupe dont quelqu’un t’avait déjà parlé mais tu ne sais plus qui ni pourquoi. Une proposition tout en douceur pour démarrer, avec des titres lancinants voire nonchalants, entrecoupés toutefois de quelques saillies offensives, tantôt perçantes, tantôt écrasantes. C’est ce qu’on appelle « d’la bonne pop ».

C’est de cette façon que les spectateurs parleront ensuite de ce groupe à ceux qui l’ont raté parce qu’ils étaient bloqués dans la file d’attente de l’entrée : « Sorry, ouais, c’est d’la bonne pop ». Une composition simple, sensible et droit au but, le genre de truc pas dingue qu’on aime bien.

Avee Mana

Cette année, les organisateurs ont eu la bonne idée d’écouter les spectateurs qui, l’an dernier, demandaient un accès gratuit à la petite scène bâtie sous les pins derrière la mainstage, mais également de plus nombreux groupes locaux et, pourquoi pas, piochés à Marseille – c’est pas bien loin, ça reste le terroir. Pour étrenner ces nouvelles bonnes intentions, c’est donc aux phocéens d’Avee Mana qu’il échoit d’inaugurer la scène de la Pinède.

Fort de son nouvel EP paru cette année, plein à ras-bord de morceaux garage sauce Oh Sees coupé à d’la bonne pop, le groupe présente un set tendu et maîtrisé. Quelques subtilités harmoniques émaillent des titres que l’on croyait foncer tout droit, comme autant d’aires de repos le long d’une autoroute plutôt vallonnée, où l’on achèterait du nougat histoire de se re-sucrer le sang avant de repartir à toute berzingue sur le macadam, et l’on tient déjà la pire métaphore de notre live-report.

Les premiers rangs sont garnis de visages que l’on a plutôt l’habitude de voir entre deux pintes de pastis sur la Plaine, preuve que la scène marseillaise, en plus d’être de qualité, sait être corporate quand il s’agit de soutenir ses rejetons. Qui méritent parfaitement cette dévotion indéfectible, au vu de leur perf' qualitative du jour.

Frankie and the Witchfingers

Retour à la grande scène, où de gros riffs lourds résonnent derrière une voix haut perchée. Frankie and the Witchfingers y fait un certain vacarme. On est, là encore, dans une indiscutable filiation Oh Sees. Dans la fosse, il se murmure parfois que le mimétisme va un peu trop loin, en particulier côté cour où la gestuelle, la guitare SG portée très haut et les petits cris suraigus évoquant facilement John Dwyer.

Pour les différencier du gang californien, en tout cas, on note une forte propension à tabasser une rythmique chaloupée, pour faire remuer les hanches et saigner les oreilles en un coup. Nick Aguilar à la batterie fait du dépassement de fonction, harangue la foule, puis la fait sauter à la dynamite.

Bien que le mix global ne rende pas vraiment justice aux guitares, la six-cordes est bien mise en avant dans le show des Witchfingers, comme un souvenir du temps où elle était encore considérée comme un instrument cool, auquel on superposerait une vision moderne du coup de pied au cul. De gros solos gavés de wah-wah viennent épaissir la sauce, ils sont chiants et bien à la fois.

Mais effectivement, la qualité du son laisse à désirer. Ce sera un problème récurrent sur cette grande scène extérieure, l'exercice de sonorisation étant rendu plus complexe encore par le vent battant la presqu'île. La furie à laquelle on s'attend avec un tel groupe peine à se mettre en place.

Mamalarky

Nouvel avantage de la scène de la Pinède, celui d’y faire jouer des artistes internationaux un poil plus confidentiels, un poil moins conventionnels. C’est le cas de Mamalarky, un groupe qui aurait pu être de d’la bonne pop si ses musiciens ne développaient une appétence particulière pour les torsions de structure perfides, et les fractures.

La mélodie vocale, sans pour autant être tout à fait anti-instinctive, n’est absolument jamais celle que l’on attend, les sons de guitare sont complètement fracassés et les arrangements sont positivement sabordés par un claviériste mi-geek mi-sorcier. Une ode au surprenant tout à fait séduisante.

Si généralement, le son de la scène de la Pinède nous semble meilleur que celui de la grande scène – la proximité fait son job – il nous est pour l’heure encore assez difficile de nous immerger pleinement dans les concerts, tant le rendu global paraît manquer de clarté et de profondeur.

Kurt Vile and the Violators

Le moment de la soirée que l’on redoutait finit par arriver : il est l’heure du grand retour de Kurt Vile sur la scène du Pointu Festival. Parfaitement insensibles à la musique de ce personnage néanmoins fort sympathique, nous nous trouvons en grande difficulté au moment d’écrire à son propos. Sur mon petit carnet, j’ai écrit « je ne vois pas pourquoi ce serait bien ». Disons que l’on peut se sentir un peu comme un palet de curling qui glisserait à l’infini sur une glace immaculée : sans aspérité pour altérer notre course, ou modifier notre trajectoire, nous nous enfonçons dans la pénombre jusqu’à ce qu’enfin ne soit sonnée la fin des JO d’hiver.

Tout ceci sans aucune panique cela dit, puisqu’il faut bien reconnaître que Kurt Vile a malgré tout une voix rassurante. Si l’on a la capacité de supporter ce type de chanteurs-à-chewing-gum, ça n’est même pas désagréable. De là à dire que c’est d’la bonne folk ? Rien n’est véritablement dérangeant, simplement, aucun vice ne vient ternir un tableau aux couleurs trop chamarrées pour être crédibles.

Lankum

Alors qu’il règne une certaine tension dans le festival – pas uniquement à cause de Kurt Vile le pauvre, mais surtout à cause de l’attente interminable aux caisses à jetons et aux bars – le quatuor montant sur la petite scène va littéralement éteindre les flammes ardentes de la grogne populaire, comme le petit pompier de l’estomac dans la pub pour Gaviscon. Cela équivaut à sauver le monde : tout en électro-acoustique et en sonorités celtiques, Lankum guérit les blessures et apaise les esprits.

Il s’agissait là d’un sacré pari de programmation, que de placer à cette heure un groupe trad ainsi dépouillé, mais c’est un coup gagnant à 100 %. Une atmosphère mystique se déploie, le public joue parfaitement le jeu en se laissant aller à un recueillement quasiment religieux, et l’on sent que par-delà les étoiles, nos ancêtres irlandais nous observent, nous aiment et nous protègent – alors qu’on ignorait leur existence dix minutes avant. De l’avis de nombreux festivaliers (en tout cas de ceux qui étaient le plus véner avant d’y assister), le set de Lankum s’impose comme l’un des tout meilleurs moments de ce premier soir.

Brian Jonestown Massacre

Le chemin spirituel de tout un chacun trouve naturellement sa suite en la grand-messe psychédélique donnée par Brian Jonestown Massacre en clôture du jour 1. Pour qui a déjà pu assister à un concert de la secte d’Anton Newcombre, il est difficile d’être surpris : on nous donne exactement ce à quoi on s’attend, c’est à dire une transe épaisse et copieuse où quatre guitares te balancent les mêmes accords au même moment pour être bien sûr qu’ils atteignent les tréfonds de ta chair, pendant qu’un gourou timide fredonne des incantations pleines de réverb.

Le voyage est donc éminemment intérieur : une fois que l’on a relevé la blancheur immaculée du costume d’Anton, visuellement, il ne reste de toute façon plus grand-chose. Tous les regards se portent donc naturellement sur Joel Gion, le tambouriniste le plus charismatique de l’histoire de la musique moderne. Quel style. Nous tenons par ailleurs de source sûre que le gars a gardé son tambourin avec lui, dans les loges, tout le reste de la soirée. C’est ça, la véritable dévotion d’un musicien.

Conclusion jour 1

Un premier jour tout en douceur se termine donc, laissant le soin aux lendemains d’électriser véritablement les foules. Si à défaut d'être transcendante, la proposition musicale reste intéressante, la grosse star de la soirée reste tout de même la file d’attente. De nombreux festivaliers ont été bloqués longtemps à l’entrée avant de pouvoir pénétrer sur le site, pour constater ensuite que des files encore plus longues les attendaient au moment d’acheter les jetons qui leur permettraient de se procurer bière et nourriture. Jetons qui tomberaient d’ailleurs en pénurie au cours de la soirée. Forcément, ça grogne pas mal.

Une situation fut particulièrement agaçante, et symbolise un peu la tendance du jour : durant le concert de Mamalarky, la caisse à jetons de la scène de la Pinède était prise d’assaut par une horde d’assoiffés. Comme cette file d’attente s’étendait à l’infini, la jauge limitée de cet espace atteignait son maximum, alors que la fosse devant la scène n’était même pas à moitié pleine. Au-delà de la barrière de filtrage, des festivaliers attendaient leur tour pour aller voir les concerts, qu’ils ne verraient pas puisque les comptoirs saturaient la jauge.

C’est un fait, quelque chose a foiré. La responsabilité à attribuer à l'organisation, le prestataire, une réduction d'effectifs, peu importe. Ce loupé ne découle finalement que d'un élément ultra-positif : le Pointu affirme sa volonté de faire évoluer sa proposition, et va franchement dans le sens du festivalier, du passionné de musique. La demande unanime de l'an dernier : "ouvrez cette deuxième scène à tous !" a été entendue, et suivie d'effet.

Ouvrir une deuxième scène augmente nécessairement la jauge de l’événement, et augmenter celle-ci crée son lot de problématiques à gérer. Lorsque l'on aime la scène rock indépendante, on aime la prise de risque : on préfère largement voir une orga se vautrer en tentant quelque chose que l'observer s'encrouter dans une immobilité frileuse. Tant que le Pointu est mouvant, il est vivant !

Et puis, ce premier jour, même s'il a suscité de la frustration dans le public, n'a rien d'un naufrage. A défaut d’une anticipation suffisante, le staff fait preuve de réactivité et sauve les deux jours suivants de ces « problèmes de consommateurs » secondaires en festival. Lorsque l’on nous dit qu’il fallait parfois attendre 1h30 pour pouvoir boire une bière, on se demande quelle bière vaut vraiment 1h30 d’attente. Le set de Mamalarky, en revanche, valait bien la peine de remettre à plus tard l’alimentation de son ébriété.

 

Crédits photos : Thomas Sanna, reproduction interdite sans autorisation du photographe



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