Guitare En Scène 2023 – jeudi : voix d’anges et cordes brutes

Chapiteau. Village. Petite jauge. Bénévoles au poil. Bière au Génépi. On ne va quand même pas réécrire l'exacte même introduction tous les ans, qui répète à chaque édition pourquoi on décide de s'y pointer, et pourquoi, qu'on aime les groupes présents ou pas, on reviendra l'année suivante, si ? Regarde plutôt le lien là, y'a déjà tout dedans : le lien là. Tentons une autre approche : Guitare en Scène, here we go again. Sans David Coverdale, mais avec (presque) tout Whitesnake. Tu captes rien, c'est normal, faudra lire le report de demain, c'est une blague sur le long terme. On n'a pas commencé à parler des concerts d'aujourd'hui qu'on tease déjà ceux de demain, si Marvel y arrive depuis 15 ans avec des films médiocres, pourquoi pas La Grosse Radio avec de bons papiers ? Trève de crachats gratuits, surtout que ce soir c'est pas punk, c'est soul & blues.

Enfin, "blues". Plutôt "roots" vu qu'il semble nécessaire de s'armer de patience et de compréhension pour appréhender les déboires de ce début de festival. Une édition de Guitare en Scène - soyons honnêtes, de tous les festivals, qui le cachent plus ou moins bien - s'accompagne toujours de son lot de soucis. De là à ce que ces derniers surviennent en amorce du premier jour, il y a ici une audace plus rare. Pendant que nous, planqués que nous sommes, nous baladons dans notre espace presse, et sur le site encore vide de monde, pour observer les nouveautés, stands divers et boissons variées qui sont proposées cette année, on sent la température monter. Pas celle d'une semi-canicule, déjà bien entamée - le mot d'ordre, dévoilé en dernière minute : les gourdes sont autorisées ! -, mais celle de la tension des festivaliers, condamnés à poireauter sous le cagnard une heure de plus. La raison : le groupe électrogène a pété !
Pas de billets scannés, pas d'entrée, et plus les corps suants retardent leur arrivée sur site, plus le programme.... ne semble pas décaler sa prévision horaire. On apprend que rapidement que Jeanette Berger est relayée entre la poire et le fromage, troquant son concert d'ouverture, habituelle session des tremplins de l'édition, contre un set intermédiaire, sans temps mort. Nul doute que beaucoup de festivaliers ne se déplaceront pas entre les prestations pour changer de scène, et resteront placés pour être sûr de bien voir en gros plan si Joe Bonamassa fait une pentatonique en 12 notes ou en 18. Une spéculation hasardeuse, mais qui peut se confirmer tant la première émise, que le public ne sera jamais sur site à 20h pour l'arrivée de Joss Stone, s'avère bien réelle. Le décalage final, d'un petit quart d'heure, ne change pas la donne, et la diva anglaise, accompagnée de huit musiciens qui ne manqueront pas de relayer l'anecdote en coulisses, débarque devant une fosse de quatre rangs. Sans être décontenancée, et professionnelle avant tout, elle entame un concert ardent, qui n'aura de cesse de jouer avec nos émotions. 1h15 plus tard, quand on se retourne, le parterre est plein à craquer, et les cœurs sont animés. La magie a opéré.

Joss Stone - Scène Couverte

Lorsque Joss Stone attaque les hostilités avec sa fine équipe de musiciens tous très talentueux, l'habillage scénique est ultra classieux, avec de longs rideaux qui en tapissent le fond et un pied de micro aussi habillé et étincelant que la robe de la diva. Ses acolytes ne sont pas en reste, musiciens comme choristes, tous en costume blanc, le concert nous en met déjà plein les mirettes. Après une courte vidéo d'introduction datant du début de sa carrière, l'artiste débarque en entonnant "You had me", son premier gros carton. Mais après le refrain, la formation embraye sans interruption sur d'autres morceaux emblématiques de ses années 2000, terminant par "You Got The Love" de Colour Me Free!. Avec ce premier medley d'une longue liste, Joss couvre une grande partie du début de sa carrière, entraînant les aficionados à la danse et les novices à la découverte.

Un rapide coup d’œil après les premiers titres nous confirme que le public commence à se faire présent. Il ne manque que quelques instants avant que la foule ne soit présente et compacte. Joss Stone prend la parole et annonce la couleur : on fête les vingt ans de carrière de l'artiste, au sein d'une tournée intitulée 20 Years Of Soul. On n'est pas surpris que le groupe attaque ensuite "Super Duper Love (Are You Digging On Me?) Pt.1", reprise de Sugar Billy parue sur son premier album, The Soul Sessions. Communicative, la chanteuse fait beaucoup participer le public. C'est aussi l'occasion du premier solo de guitare de Steve Down, et le cru 2023 commence fort bien. Plutôt que de se mettre systématiquement et exclusivement en avant, Joss laisse volontiers les projecteurs aux autres membres de son groupe dès qu'ils ont une partie à jouer en solo, n'hésitant pas à se tourner vers l'artiste qui se produit, quitte à tourner le dos au public. Le groupe joue à l'unisson, on aime !

On continue l'invitation au voyage avec un nouveau medley, cette fois-ci axé sur les compositions reggae de la chanteuse et dans lequel on retrouve "Wake Up", dont on avait parlé dans la première émission du podcast. Joss Stone reprend ensuite la parole et nous raconte son voyage en Afrique, en particulier au Botswana avec "Rain Song", composition portée sur l'amour et conte prophétique où elle raconte avoir été portée en héroïne après avoir apporté la pluie à l'atterrissage de son avion. Elle continue de nous raconter son histoire et ses émotions avec la présentation de "Music", et on aborde la fin du set avec de nouvelles reprises. C'est sur un medley explosif "Put Your Hands On Me"/"Son Of A Preacher Man"/"Piece Of My Heart" que le set se termine. Quelle énergie !

Royal jusqu'au bout, le groupe débute son rappel avec "I Put A Spell On You", puis un magnifique "Some Kind Of Wonderful" qui voit chacun y aller de son petit solo : batterie, basse en slap, puis sax et envolée de trompette, sans oublier l'orgue... Joss attrape un bouquet de tournesols et en arrose le public, conquis devant ce superbe premier concert de la soirée. Dès la fin, on se dépêche vers la scène Village pour retrouver le groupe de tremplin du jour, Jeanette Berger, qui enchaîne sans temps mort.

Jeanette Berger - Scène Village

Plus nombreuse qu'attendu, l'auditoire réunie devant la scène Village se voit quand même réduite, beaucoup étant restés de l'autre côté, en attente du gourou Bonamassa - la pentatonique , tout ça tout ça -. Il n'y a de frustrés que les absents, et on ne se gênera pas pour attiser les regrets de ceux s'étant refusés les cinquante mètres d'efforts qui les séparent de la prestation tout en énergie de Jeanette Berger. Les dix ans de scène de la chanteuse se font sentir tant son aise est évidente, et si la spontanéité transpire et s'accompagne de marques d'improvisations, tout est bien rodé.
À l'instar du concert de Joss Stone, la formation, qui cette fois-ci s'évertue dans des accents plus rock - parfois même expérimentaux, avec modulation de voix par la pédale d'effets du guitariste -, présente une construction scénique similaire, notamment au niveau des deux choristes, qui offrent beaucoup de corps à l'ensemble. Grand moment musical où la aussi, les musiciens envahissent l'espace, dans un ballet mené par Jeanette, qui sait s'effacer pour renforcer ses moments de chant, et dévoiler une voix puissante, toujours inattendue.

Si les compositions semblent moins impressionnantes, c'est aussi par la position bâtarde dont bénéficie le groupe. Après Joss Stone qui nous propose un set varié, s'étalant sur vingt ans (et même plus) de diversité musicale, Jeanette Berger a un répertoire moins dense à déployer, et aurait été bien mieux appréciée en ouverture de journée. Mais lorsque nous sont dévoilées les couleurs d'un album à venir, Do your thing, le ton change, et nous voyons que dans les prochaines propositions les influences risquent de fortement s'enrichir, faisant de Jeanette Berger non seulement une artiste qui nous surprendra, mais surtout qu'il faut suivre absolument.

Le set aurait été parfait sans un bémol bien triste, et il s'agit bien du comportement de certains festivaliers. Malheureux de devoir consacrer quelques lignes à des imbéciles libidineux, incapables de contrôler leur besoin compulsif de partager leur fantasmes sur le corps de l'artiste, mais on ne le répétera jamais assez : vous n'avez pas votre place ici. Quand le groupe nous emporte vers les étoiles, on sent que votre frustration de ne plus parvenir à lever grand chose ressort. Allez donc chouiner qu' "on ne peut plus rien dire" ailleurs. Vers le set de Joe Bonamassa, peut-être, qui, bien irrespectueux lui aussi, décide de faire fi du quart d'heure de report et de commencer à 22h pétantes. Quand on a une telle réputation de connard, il y avait là une carte "modestie" à jouer, dommage. Heureusement que son concert sera lui aussi excellent, mais pour l'heure, nous observons les déserteurs fuir vers la lueur à six cordes, et nous restons pour acclamer Jeanette Berger.

Impériale, l'artiste ne se démène pas et, malgré le gros son de Bonamassa qui couvre largement le sien, choisit de nous offrir une dernière mélopée, cette fois-ci plus calme, destinée aux rêves. Peu nombreux mais envoûtés, nous savourons les mélodies, la virtuosité du groupe toujours intacte, qui ne joue que pour nous et surtout avec nous. Notre dernière frustration sera celle de ne pouvoir profiter d'un moment de silence, pour lentement redescendre avant d'entamer le prochain concert, qui lui aussi jouit de son intensité propre.

Joe Bonamassa - Scène Couverte

Quand on arrive devant la scène couverte, le guitariste en est déjà à "Love Ain't A Love Song", et il faut bien reconnaître que tout semble assez exceptionnel ! Joe maîtrise indéniablement son domaine, son toucher de guitare est précis et le long solo du titre, à la fois technique et rapide, déclenche déjà une ovation. On le sent largement conquis et compact comme jamais. Si les musiciens présents sur scène sont techniquement très bons, ils donnent malgré tout l'impression d'être un side band, en retrait par rapport au leader. Chacun reste à sa place, y compris lorsque la tournure musicale est à leur avantage, et Joe ne se tourne qu'occasionnellement vers ses comparses, préférant échanger des regards avec le public derrière ses lunettes de soleil qui lui donnent des airs de Gilbert Montagné.

Après deux compositions originales, le groupe entame la première des reprises blues de la soirée, avec le dantesque "I Want To Shout About It" de Coco Montoya. Ultra dansant, le standard du blues est aussi l'occasion du premier solo de guitare que Joe laisse à ses musiciens, avant de reprendre le lead. Ça joue longtemps, on assiste à beaucoup de jams, et si le titre ne semble pas très éloigné de son modèle original en dehors des soli, on passe un très très bon moment. Les choristes sont aussi pour beaucoup dans l'énergie dégagée, avec leurs multiples incitations au public à "shout about it". Joe enchaîne avec une seconde reprise un peu moins dansante, "Double Trouble" d'Otis Rush, avant de prendre le temps de remercier Joss Stone, le festival qui l'avait déjà accueilli il y a 13 ans, et chacun des membres qui l'accompagne.

Clairement, Joe sait s'entourer, avec notamment Anton Fig à la batterie, Michael Rhodes à la basse et surtout Reese Wynans aux claviers, lui qui a joué avec Stevie Ray Vaughan jusqu'à sa mort. Avec un tel backing band, il y a clairement matière à faire. Mais le meilleur musicien qui accompagne Joe ce soir, c'est évidemment Eric Gales. Contrairement au ring de boxe du clip d'"I Want My Crown", la bataille à coup de riffs et de soli entre les deux bluesmen s'effectue sur l'envoûtant "Breaking Up Somebody's Home". Eric et Joe échangent pas mal de sourires, enchaînent les départs en solo et partagent un très bon moment sur scène, pour peut-être le sommet de cette première journée. On a du mal à déterminer un vainqueur entre les deux à la fin, même si Eric arbore toujours son médaillon.

A l'instar de la fin de set de Joss Stone, celle de Joe Bonamassa retourne vers les reprises, avec un medley ZZ Top/Led Zeppelin ("Just Got Paid"/"Dazed And Confused") endiablé. Cela fait probablement longtemps que le riff de Billy Gibbons a pu sonner aussi énergique et le public a pris un super coup de boost. Quelle extase ! Le rappel arrive sur le long "Mountain Time". Ses nombreux solos sont une dernière occasion de reconnaître le niveau de maîtrise de la guitare qu'a Joe. On reste subjugué par la subtilité de son jeu, notamment sa technique de manipulation du potentiomètre à l'auriculaire, lui permettant d'obtenir un rendu unique, très aérien. Un régal, mais il est bientôt temps de quitter la Scène Couverte pour aller retrouver le blues tout à fait différent qu'Eric Gales s'apprête à interpréter.

Eric Gales - Scène Village

Tiens, retourne sur le lien, là, celui du début, et regarde ce qu'on dit du dernier concert de la journée, sur la Village. Bon, si on dit pas que c'est généralement le meilleur, va vérifier sur un autre, c'est forcément là, quelque part. T'as capté, Eric Gales, c'est le moment savoureux, celui où on veut tout lâcher pour expier nos derniers relents énergiques, et où les musiciens, qui attendent depuis des heures d'enfin fouler les planches, sont exactement dans le même état d'esprit. Comment peut-il en être autrement, quand après une longue jam envolée où tout le monde explose, Eric Gales nous explique que de nombreuses difficultés techniques sont de la partie, et qu'ils ne joueront pas le set prévu. "Mais la musique ne s'arrêtera pas une seule seconde, je vous le promets". C'est parti pour une folie sans fin, où le guitariste change son instrument lorsque ce dernier ne parvient pas à être amplifié, et lance ses musiciens dans des improvisations solaires le temps de faire le tour de passe-passe qui lui permettent de revenir sur le devant de la scène. Ce n'est pas un musicien et son groupe, mais une harmonie totale, qui joue ensemble, se regarde, s'amuse, se moque de celui qui n'a pas suivi la structure établie, sans que jamais la musicalité ne déraille.
Pas étonnant que le premier morceau joué s'intitule "You don't know the blues". Là où Joe Bonamassa, d'une philosophie radicalement différente, considère que le blues est indissociable de ses pères et qu'il ne faut pas se détourner de leurs voies dans ses compositions, Gales adopte un adage venant de la rue, celui qui fait de l'expression et de la créativité le mot d'ordre, où chaque morceau est un cri de survie, et non une démonstration musicale. Ce qui ne l'empêche pas, paradoxalement, d'être lui aussi un guitar hero, à sa manière, l'arrogance se voulant cette fois-ci dans l'audace du geste. Tel un prêche scandé avec vigueur, il nous apprend son blues, celui qui n'a de respect pour ses pères que la volonté de les tromper, de montrer que rien ne doit être figé mais incarné. Le voir, comme Stevie Ray Vaughan en son temps, réinterpréter "Voodoo Child" en embrassant ses métriques en premier lieu pour mieux les embraser derrière, y intégrer "Kashmir" et "Back in Black" forme un parallèle évident. Brouillon par moments sans jamais sembler désordonné, le set est un enchaînement de surprises. Pour les spectateurs comme pour les musiciens, ne sachant pas où leurs impulsions les amènent.

Une démonstration qui ignore, et peut-être à défaut, le répertoire du guitariste. Si nous entr'apercevons des bribes de sa carrière avec quelques titres chantés, et la mention de Crown, dernier album dont il arbore fièrement le pendentif, les morceaux interprétés ce soir seraient presque trop "sages", un comble quand on voit la richesse d'influences qui se dévoile. L'attitude scénique qui retrouve constamment la spontanéité de la rue aurait adoré jouer avec les passages plus hip-hop qu'il a pu déployer au cours de sa carrière. Mais le funk, élément principal dans la fusion de son blues, est quant à lui bien là, dans des boucles hypnotiques qu'il assène pour faire danser l'auditoire, et où chaque break est l'occasion pour le musicien désigné de s'atteler à des mini-solos, qui ponctuent la séquence musicale d'un orgasme à chaque fois. Cette spontanéité, qui relève de conditions particulières mais semble un leitmotiv constant pour Gales, se retrouve lors de ses interventions, comme lorsqu'il aperçoit un jeune homme qui semble mal en point et arrête le morceau pour s'assurer de sa santé. "D'ici je vois tout, je vous regarde. Et je n'ai surtout pas fait 13h de vol pour qu'une seule personne passe un mauvais moment avec moi, ou fasse un malaise. Donc vous vous assurez qu'il va bien avant qu'on ne reprenne !". Le jeune homme va bien, le confirme, Queen Lady G derrière les percussions donne la cadence, et c'est reparti de plus belle.

Comme le glas que l'on appréhende un peu trop et qui sonne le retour au dortoir, 1h20 semble un temps bien trop court, qui s'effile à vitesse folle en compagnie d'Eric Gales. On ne peut que finir la journée sur la meilleure des notes avec des musiciens si impliqués, et avec un maître de cérémonie qui nous aura regardés comme un parent bienveillant alors que c'est bien lui, l'enfant sur scène. Il nous a promis de revenir vite, et on guettera l'info de près.

Photos : Luc Naville/Alexandre Coesnon
Toute reproduction interdite sans l'autorisation du photographe

Textes : Intro + Jeanette Berger + Eric Gales : Thierry de Pinsun

Joss Stone + Joe Bonamassa : Félix Darricau



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