Dernier jour du Pointu Festival, sur l'Île du Gaou, seule occasion de l'année pour les vieux habitants du Var d’apercevoir des gens de moins de 50 ans. Dès demain, ceux que l’on appelle les « jeunes » lèveront le camp et re-migreront vers leurs habitats naturels, ô fascinante nature, riche de mystères.
BDRMM
Afin de pallier la défection de Bobby Lees, plutôt véner, le Pointu a fait appel à BDRMM, remplaçant le punk par du shoegaze. On n’est donc clairement pas dans du poste pour poste, les tempos ralentissent globalement.
Ce qui peut être chiant avec ce genre de groupes, c’est bien souvent l’aspect un peu monolithique de l’atmosphère proposée ; ici, ça n’est pas vraiment le cas, le quatuor propose de beaux contrastes entre doux et puissant, rapide et lent. Le groupe ne recule pas devant le répétitif pour autant, de quoi forcer un peu au voyage auditif. L’esthétique finira tout de même par nous lasser, on décroche avant la fin du set.
Parade
Nouveau représentant de l’excellente scène locale, Parade monte sur la scène de la Pinède, son chanteur Jules Henriel criminellement vêtu d’une parka, ce qui par cette chaleur devrait être interdit, que fait la police ? Avec son EP sorti au mois d'avril, le groupe a su attirer l’attention de la presse nationale sur la petite ville de Marseille ; les morceaux issus de It All Went Bad Somehow, déjà convaincants en studio, prennent encore du cachet en live, à la faveur d’une interprétation habitée.
La composition d’un morceau rock n’est pas révolutionnée, et ça n’est clairement pas l’objectif : on s’appuie, comme le veut la tradition, sur une section rythmique ultra-solide, qui bétonne des fondations sur lesquelles peuvent se développer sereinement interprétation vocale et mélodies de guitare. Les titres s’animent véritablement avec les personnalités qui les portent, et lorsqu’elles sont fortes, comme ici, ça fonctionne. Là encore, le public marseillais est présent en nombre pour forcer les non-avertis à coller aux tempos relevés de Parade.
A Place To Bury Strangers
On assiste sans doute, avec la prestation de A Place To Bury Strangers, à la proposition la plus effrontée, la plus primairement sauvage que l’île du Gaou aura connue. Comme on n’avait pas spécialement accroché à la musique du groupe en studio, on se place devant la scène sans attente, plutôt naïvement. On s’en prend plein la trogne avec un set qui, dès le départ, est bien plus tendu que ce que l’on avait imaginé. La présence sur scène est envahissante, charismatique, dangereuse. A la batterie, avec Sandra Fedowitz, on a le droit à l’une des frappes les plus sournoises de cette édition (il y a match avec Benefits la veille, on laisse le soin à nos lecteurs de départager).
Un autre set semble débuter lorsque la guitare de John Fedowitz se met à se mouvoir sans lui : dans les mains de la batteuse, ou simplement dans le ciel varois, elle prend son envol, au revoir petit oiseau. Sans plus d’explications, l’espace scénique est remis en question en quelques minutes : quelques éléments de batterie sont posés en avant-scène pour qu’un titre soit joué à trois de front ; ça fait son effet. A ce moment du set, on note sur notre petit carnet « c’est bien quand des groupes n’ont pas la flemme de déplacer des trucs ». On était alors bien loin de se douter que trois minutes plus tard, le groupe entier terminerait son set au milieu de la fosse – mais genre, au milieu-milieu, pas un peu là devant la scène, loin.
Ne résonnent alors plus qu’un vague instrument à cordes complètement saturé, un tom basse pas vraiment en rythme et des hurlements habités. Le sauvage, le tribal de ce moment révèle à une foule loin d’être préparée à cela la véritable nature de l’être humain, profonde, première, une animalité insurmontable, de la plus pure saleté. Impossible de dire combien de temps dure ce rituel, A Place To Bury Strangers nous ramène au temps où le temps ne se calculait pas. Un voyage vers la préhistoire, on en sort plus stupidement homo sapiens que jamais.
MSS FRNCE
A l’opposé du brillamment rétrograde de A Place To Burry Strangers, c’est une violence bien moderne, bien dans notre temps que nous propose MSS FRNCE sur la petite scène. Finement ciselée et brutalement enfoncée dans nos conduits auditifs, la musique du quintet parisien déclenche de belles bastons aux premiers rangs, et scotche les rangs suivants comme devant un accident de la route un peu démonstratif. L’exécution est impeccable, l’urgence est omniprésente, et une prise de conscience, même superficielle, des tempos mis en branle déclencherait une crise de tachycardie à n’importe qui, même un type lent genre Doc Gynéco.
On est particulièrement heureux de voir un groupe de ce style de punk rapide, pressé, sans concession, dans un tel contexte. D’autant que les gars, lorsqu’ils arrêtent de gueuler leurs textes violents et fun à la fois, ont l’air franchement sympa – on aime, entre les déflagrations, entendre la voix du batteur nous raconter des trucs d’un ton posé, comme un genre de Monsieur Loyal mais vraiment loyal, le gars sûr.
Loyle Carner
On a souvent été critique vis-à-vis de la timetable : les choix des programmateurs consistant à orchestrer une accalmie en milieu de soirée – soit le moment où l’alcool est monté, tout le monde est chaud et a envie de bouger – avec des sets d’artistes mous (genre Kurt Vile le premier soir) nous laissent dubitatifs. Mais pour programmer un artiste hip-hop au point culminant du dernier soir du festival-référence de rock indé de la région, il faut quand même être sacrément audacieux. Alors, si la prise de risque est couronnée de succès, c’est d’autant plus enthousiasmant.
La présence à la fois douce et imposante du frontman impose une certaine fascination. On entend près de nous que chaque mot semble être pleinement adressé au public avec une grande sincérité ; nous souscrivons à cette thèse, effectivement, chaque spectateur semble se sentir intimement concerné par les textes – qu’il les comprenne ou non d’ailleurs.
C’est également l’occasion pour tout un chacun de découvrir que cette grande scène extérieure peut produire un son de bonne qualité : ici, chaque instrument est d’une parfaite limpidité, et le groove des musiciens – il y a du monde sur scène ! – accompagne superbement les nuances de l’interprétation pure et intense de Loyle Carner.
Lysistrata
Du coup, on retourne au dawa avec un plaisir tout neuf : comme le bain d’eau froide après le sauna, Lysistrata, depuis la scène de la Pinède, réveille notre peau et redynamise notre esprit, ou plus exactement, vient contrer la vasodilatation en favorisant une vasoconstriction.
Pas une seconde de répit dans les structures mouvantes du trio, où le repos n’existe pas. L’intensité est suffocante au sein de ce set qui nous semble, par ailleurs, bien plus explosif que celui que nous avions vu au Check-In Party l’été dernier. Peut-être que l’ambiance nocturne leur va mieux que le créneau digestion-en-plein-cagnard, va savoir.
Idles
Vient l’heure du bouquet final de cette édition du Pointu Festival : c’est à Idles que revient l’honneur de conclure les festivités. A notoriété à peu près identique, il pourrait être assez pertinent de comparer le show des Britanniques à celui de leurs homologues suédois en clôture du jour précédent, Viagra Boys. Déjà, tout le monde est vachement plus tendu derrière la scène : lorsque les jours précédents, on nous autorisait gracieusement à aller de notre petite story depuis la rampe photographes, ce soir on se fait éjecter rapidement, comme si le degré de famousité avait augmenté drastiquement. D’ailleurs, les photographes voient eux aussi leur temps de travail écourté, sortis du crash barrière au milieu du deuxième morceau (habituellement, ils ont trois titres entiers pour faire leur office) parce que le manager craint les jets de projectiles (notre photographe revient en sentant vachement la bière et pour une fois, c'est pas sa faute).
Mais plus significatif encore, les attitudes des deux têtes d’affiche diffèrent radicalement. A la décadence bedonnante qu’incarnent les Viagra Boys – mais comme une véritable proposition artistique – s’oppose le dynamisme quasi-athlétique des Idles, parfaitement in shape pour réaliser une performance musicale et sportive. Cela se ressent sur le show lui-même, où rien ne dépasse : on est notamment impressionnés par les cuts chirurgicaux, où tous les sons disparaissent simultanément même après le passage le plus noisy cataclysmique qui soit ; pas une réverb, pas un larsen qui traîne, c’est le big bang, mais à l’envers.
Sur des valeurs comparables, la méthode de traitement est également en contradiction. Quand Idles pointe du doigt, Viagra Boys s’auto-désigne du pouce. C’est la différence entre le « dire » et le « montrer » : les premiers dénoncent en créant une barrière entre le sujet néfaste qu’ils accablent et eux-mêmes, quand les seconds jouent sur l’ambiguïté de la représentation, et assument la première personne pour parler de personnages peu désirables (le single "Punk Rock Loser").
De tout cela il résulte, dans deux registres musicaux pas si éloignés, deux shows très différents : chez Viagra Boys ça bave, ça n’est pas toujours précis, ça ramollit en fin de tournée au risque de nous ennuyer un peu, mais ça laisse la place à l’identification, même dans les aspects les plus sombres. Chez Idles, l’identification existe par la négative, les clans sont bien définis. Le spectacle est parfaitement réglé, franchement impressionnant techniquement, riche de trouvailles, éclatant, captivant de bout en bout, mais le fond artistique, le reflet du monde que le groupe propose, est peut-être plus manichéen, en tout cas indéniablement plus autoritaire. Superman contre Rorschach.
Bilan
C’est donc un festival intense qui s’achève sur l’île du Gaou. Marquée par le raté organisationnel du premier jour, cette édition du Pointu Festival est aussi celle d’un record de fréquentation. On retient une proposition musicale d’une grande diversité, et donc, dans cette opposition de valeurs artistiques, d’une grande richesse. La petite scène, si elle a pu frustrer les spectateurs qui ne pouvaient l’atteindre sur certains sets, remplit parfaitement son rôle d’alternative dans l’alternatif, et aura permis, malgré tout, à plus de personnes de voir plus de concerts – c’est déjà beau. Nous y aurons en tout cas vécu, tout subjectivement, les meilleurs moments de ce week-end.
Si les têtes d’affiche nous avaient semblé moins rares et étonnantes que les années précédentes (Idles, Viagra Boys, BJM sont tout de même des réguliers des festivals français), elles ont eu en tout cas le mérite de fédérer, et de satisfaire massivement les amateurs de rock indé de PACA et d’ailleurs. Notre photographe oeil-de-lynx mentionne à raison les light shows qui nous ont semblé particulièrement réussis. Pour couronner le tout, l’esprit More women on stage a trouvé son écho dans la programmation, ce qui était un manque l’an dernier, et file dans le bon sens en 2023 – allez l’an prochain, on peut encore faire mieux !
Crédits photos : Thomas Sanna. Toute reproduction interdite sans l'autorisation du photographe.