Entretien avec Jacques Falda à Guitare En Scène

Si cela fait déjà quelques années que nous fréquentons Guitare En Scène, nous n'avions jusque là jamais pu interviewer l'organisation. Pour cette édition 2023, c'est directement avec Jacques Falda, président et fondateur du festival, que nous avons pu échanger. L'occasion de revenir sur la genèse du projet, sa philosophie et son succès, sans oublier de se raconter plusieurs anecdotes.

LGR : Question évidente mais qui nous semble obligatoire. Ça fait 7 ans qu'on vient, on met constamment en avant dans nos intros cette notion de grands groupes sur petites configurations. Est-ce qu'avec ce pari-là, tu as toujours réussi à avoir les groupes que tu voulais ?

Jacques Falda : En général oui, après ça peut prendre du temps. Tu as des routines, des tournées qui peuvent ne pas matcher. Mais en général, les groupes qu'on voulait avoir, on les as eus.
Est-ce que des fois tu as envisagé de compromettre, d'agrandir le site pour avoir une formation particulière ?
 

Grandir oui, mais grossir non. C'est vraiment mon Leitmotiv. Il faut grandir, et il faut du temps, on n'est pas prêts pour accueillir par exemple un artiste comme Mark Knopfler comme ça. On devient plus professionnel, ça c'est une chose. Grossir, le problème, c'est qu'on rentre dans une logique qui nous ferait devenir comme tous les autres. C'est pas mon truc parce que déjà c'est une passion, ça fait beaucoup dans la démarche, et je n'en vis pas. Le risque, quand on en vit, c'est qu'on vise plus, sauf que ça change complètement l'événement. L'artistique deviendrait presque accessoire, et on veut que l'artiste reste au centre du projet. Ici, ils ont envie de revenir, ils sont contents d'être là, ça a pris une énorme notoriété. Regarde les gars de Vintage Trouble, ils sont potes avec Beth Hart et disent qu'aux États-Unis, tout le monde parle du festival et a envie de venir.

Ça fait plaisir, ce genre de propos !

 
La réussite, pour moi elle est là, pas dans le chiffre d'affaires mais dans la notoriété que tu acquiers auprès des artistes, du public, et des médias. Là j'ai eu une interview avec Paris Match il y a 8 jours, et il me dit "Si vous, vous ne faites pas les choses comme ça, personne ne le fera". Il parlait de l'affiche de dimanche avec Wishbone Ash, Magma et Porcupine Tree. "On n'a jamais vu ça". Ça veut dire que des gros médias, spécialisés, comme La Grosse Radio aujourd'hui, s'intéressent à nous. Il y a nous déjà, on est là, on est heureux. Puis le public, des gens que je n'ai jamais vus qui m'abordent pour me remercier. Tu te rends compte, hier soir (l'interview est effectuée samedi 22 juillet) y'avait Whitesnake sur la scène, c'est un truc de fou, quand même ! Les pros veulent être là, les jeunes.
Le public est varié, et les bénévoles aussi, tu sens qu'ils sont heureux, impliqués...
 

C'est une famille, quoi ! C'est leur événement de l'année. Toujours les mêmes, et t'as vu les différences d'âge. C'est un tout. On a créé quelque chose, et même si on doit travailler pour équilibrer ça, il faut pas que l'argent devienne le centre du sujet parce que là tu changes tout.

On vient tous les ans depuis 2017. En plus on voulait venir pour Kansas, qui avait annulé. Mais quand on a vu le reste de l'affiche, évidemment qu'on voulait venir ! Regarde, quand on est arrivés, on nous a envoyés à l'aéroport pour interview Yes (Feat ARW), et c'est Rick Wakeman qui nous dit "mon fils a joué ici, il m'a dit que c'était super et que je ne devais pas refuser ce remplacement". Ne serait-ce que là, on a eu la confirmation, par un artiste, que ça allait être génial.
 

Ils viennent chez nous, ils sont accueillis, ils veulent tous revenir. Scorpions, Sting, Mark Knopfler, ils veulent tous revenir les mecs, c'est que c'est pas mal.

C'est pas un hasard si Sting revient pour la troisième fois.

 

Comme les Scorpions, comme Mark qui vient pour sa tournée d'adieu. C'est un Dieu ce mec, faut pas l'oublier.

Ça fait combien de temps que cette jauge de 5000 festivaliers est fixée ?
 

Depuis le début, c'était formaté. On était loin de les avoir mais on avait fixé quelque chose. J'aurais jamais dit 10 000, c'est trop gros, c'est pas ce que je voulais.

Ouais parce que toi avant d'être un programmateur t'es aussi un fan qui se fait plaisir.

 
Je le fais par passion, clairement. J'ai toujours aimé la musique, je suis de la génération Led Zep, Status Quo, les Stones, on a tout vu nous. Fan comme beaucoup de gars de mon âge mais c'est pas du tout mon métier, j'ai appris sur le tas.
C'est beau. Cette année, il y a eu pas mal d'annulations. Il y a toujours des déboires en festival, dans quel état tu es quand ces choses surviennent, s'enchaînent ?
 
Au début de saison on n'est pas trop en stress, mais quand on commence à avoir des annulations permanentes, typiquement le vendredi, les contrats doivent arriver puis ça ne se fait pas, là ça va plus. Pour vendredi par exemple, c'est là que je me suis dit qu'il fallait réinventer, trouver une solution. Tous les gros sont bookés, donc il faut réfléchir vite. Donc GES All Star Band, sorti du chapeau. Qu'est-ce qu'on met dedans ? L'option, c'était les Whitesnake. Vu qu'ils ne tournaient pas, il fallait juste les contacter. Aldridge (Tommy, le batteur) devait venir, mais il s'est pété le poignet à 15 jours du festival. On a eu les autres, et on a vu ce que ça a donné hier soir. C'était juste grandiose.
Ça a jammé longtemps en plus, après ! Avec Marco Mendoza qui est parti tout seul dans son délire.
 

Je lui ai dit "open bar ce soir, amusez-vous, je veux juste du Whitesnake après vous faites ce que vous voulez". Les retours ce matin étaient fous. Un peu comme Eric Gales qui monte avec Joe Bonamassa.

Le meilleur moment du concert ! On pensait que l'inverse se produirait, mais c'était quand même fou.
 

Bonamassa serait pas monté sur la Village, c'est sûr. Mais c'est ce qu'on veut vivre, un partage.

On en parlait quand l'année dernière, Joel O Keefe est monté sur scène après insistance de tout le monde. Pareil pour Uli Jon Roth avant.
 

Ce sont des moments hors du temps, et nous on peut le faire parce qu'on a cette petite configuration.

Voir les membres se balader sur site aussi, on ne voit pas ça ailleurs.
 
Non. C'est pour ça qu'on n'est pas copiables. Chacun doit avoir son projet, et le nôtre est particulier. Il s'adresse à un certain public et c'est très bien comme ça.
Nous par exemple on a fait Porcupine Tree au Hellfest et ici, ça va pas être la même ambiance.
 
C'est ici qu'on veut les voir, c'est clair ! On parlait à des fans de Dream Theater qui nous disent que même en les suivant partout, ici, c'est juste autre chose. T'es plus au milieu de 60 000 personnes mais de 5 000, tu savoures différemment. Ici, les gens viennent écouter, on essaie d'avoir le meilleur son possible, on s'en fout de vendre de la bière, on veut qu'ils soient devant les scènes. Il faut faire vivre la musique, s'assurer de sa qualité, faire des choses imprévues. C'est ça, ça fait partie d'un tout et ici ça se passe comme ça. Cette culture, il faut la promouvoir, c'est aussi pour ça que vous êtes là, pour être interpellés et ne pas voir des choses formatées. C'est une question de génération aussi.
T'en fais pas, on adore la spontanéité aussi !
 

Tu vois les interviews, je suis pas très bon, mais je viens avec rien de prévu, on verra.

C'est pour ça qu'on n'a pas voulu venir avec des questions, qu'on s'est dit qu'on allait plus créer un dialogue avec toi, nous laisser porter par ce que tu dis.

 
À force de trop en faire ça devient nul. Il faut faire les choses naturellement. Tous ces projets qui se passent, on les décide autour d'une table. Gales avec Carlos Santana, t'imagines, c'était Woodstock. Carlos a rajeuni de 50 ans d'un coup.

Pour avoir vu Santana dans plusieurs configurations, il a clairement besoin de ça.

Et dis-toi qu'on a discuté de ça à l'arrache, il suffisait de lui demander et il était partout. À notre dimension c'est possible. Dans les gros festivals, le mec arrive, sa loge est là, il bouffe, concert, il se casse, fin. C'est pas possible. Nous on leur dit qu'ils vont dîner avec nous. Mötorhead, ils ont débarqué, c'est devenu des copains. Regarde, c'est Mikkey Dee qui quand il revient avec Scorpions reste les autres jours avec nous. Y'a pas de prix pour ces choses-là, ça va bien au-delà de ça.

C'est une bonne conclusion, ça !

Interview réalisée par Thierry de Pinsun et Félix Darricau.

Crédits photos: Valentin Bonadei et Caroline Moureaux



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