Petite forme pour King Gizzard and the Lizard Wizard, nous sommes en octobre et le sextet ne sort que son deuxième album de l’année. Ceux que les esthètes véritables appellent parfois les Jul australiens (à prolificité discographique comparable) révèlent aujourd’hui au monde The Silver Cord, le fameux opus électro qui nous était promis depuis les temps jadis.
King Gizzard nous propose deux versions pour cet album : une standard, et une « extended version », "la version tout - les sept chansons que vous avez déjà entendues sur la première version, mais avec tout un tas d'autres choses que nous enregistrons pendant la création".
"Nous testons les limites de la capacité d'attention des gens lorsqu'il s'agit d'écouter de la musique."
Comme Stu Mackenzie nous met au défi, on s’envoie les deux. Force est de constater que l’on peut faire confiance à ces musiciens, lorsqu’ils nous indiquent qu’eux-mêmes préfèrent le long format : si le standard nous semblait intéressant sans pour autant nous emballer totalement, celui-ci nous enthousiasme bien plus franchement. 1H28 de méga teuf : en s’en passant, on se passerait également d’interminables bidouilleries psychédélisantes, notamment sur "Theia" qui passe de 3 à 20 minutes, juste ça.
Australian touch
Ces ajouts (on ne peut pas vraiment les appeler ajouts, puisqu’au final, ce serait plutôt la version courte qui a subi des retraits) sont parfaitement inutiles et inoffensifs, ils revêtent donc une importance capitale à nos yeux. Comme les arbres que l’on voit passer dans le train, on pourrait voyager sans eux, mais sans eux, pas de voyage.
Les atmosphères, avec tout cet espace-temps disponible, ont tout le loisir de s’insinuer dans nos cerveaux pour prendre le relai de notre conscience, et l’on se laisse guider par les atmosphères. Elles sont très diverses : du lourd, du dansant, du nébuleux. Sur "Gilgamesh", une « scène coupée » place le kick sur tous les temps (procédé utilisé avec une très juste parcimonie tout au long de l’album, sans abus aucun), il devient alors notre guide unique dans la nuit.
Ce kick sera d’ailleurs l’un des seuls motifs de frustration de cet album : la personnalité de cet élément, dans ce genre de musique où il est central, pèse lourd. Ici, son apparence peut diviser, assez aigu, volumineux mais manquant d’attaque et de bas – en particulier dans la première partie de l’œuvre. Un aspect assez cheap qui s'explique par l'utilisation d'une relique des années 80, une batterie électronique Simmons achetée "sur un coup de tête" par le batteur Michael Cavanagh.
Voyage en terre synth
Les synthétiseurs en revanche, en quelque sorte le clou du spectacle, nous semblent eux irréprochables, travaillés finement et astucieusement. Une illusion de répétition nous est sans cesse adressée, que l’on déjoue assez aisément : tout est en constante évolution, la richesse de la palette sonore est impressionnante. Ainsi, si un motif mélodique ou rythmique est amené à revenir, il est immanquablement vêtu différemment à chaque apparition, tant le travail des textures est soigné. Cette méticulosité n’a toutefois rien de rigide : tout semble être fait avec beaucoup d’amusement ; des enfants nous montrant leurs dernières trouvailles, dans un jeu-sérieux comme seuls les habitants du pays imaginaire peuvent édifier.
The Silver Cord fait suite à PetroDraconic Apocalypse, qui lui marquait en début d'année le retour du groupe à sa passion metal. L’annonce de la thématique d’un album de King Gizzard fait toujours son petit effet ; on se dit woah, qu’est-ce que ça va donner, un album hard core – electro – proto cumbia ou que sais-je, c’est la révolution ; et au final, ça ne l’est jamais vraiment : ça reste un album de King Gizzard et il est impossible de prétendre le contraire.
Crédits photo : Maclay Heriot
On pourrait se sentir déçu de cet effet de non-surprise, mais en réalité, c’est un fait étonnant, et encore plus intéressant artistiquement que si le groupe mutait véritablement. Il ne s’agit pas d’un exercice de style désincarné, mais vraiment de l’appropriation d’un décor esthétique, ou l’adaptation d’une personnalité à ce décor. Ces effets de structure globale, enchaînant les titres entre eux avec une grande logique sans qu’ils ne donnent l’impression non plus de n’être qu’un seul long morceau restent toujours parfaitement efficaces et agréables. Ambrose Kenny-Smith, fidèle à ses atributs de caméléon, est ultra-crédible en MC véner de la night ("Set" et "Gilgamesh"). Les auto-références sont évidentes, sans être grossières (reprise d’un motif de "Murder of the Universe" dans "The Silver Cord").
En bref, cet album prouve, une fois de plus, que l’univers foisonnant que s’est créé King Gizzard est efficient à l’extrême, permet énormément de liberté dans la création sans que l’auditeur ne se sente perdu lorsque de nouveaux horizons s’ouvrent ; et dans le même temps, ce balisage sécurisant ne bride en rien l’imaginaire, mieux, le propulse en avant. On serait donc étonnés que King Gizzard ne nous étonne pas encore prochainement.
Album disponible en commande sur le site du groupe.