Le mardi 5 décembre 2023 à l'Arena de Floirac près Bordeaux sonnait la dernière date d'une tournée débutée en 2019 : « Cornucopia » de Björk.
Dès l'entrée dans la salle, un haut-parleur nous précise qu'à la demande de l'artiste, il nous est fortement recommandé de refreiner nos envies de photographier ou de filmer le concert, cela pouvant gêner l'attention du filmeur, de son entourage et de l'artiste. La voix mystère nous précisant que les photos de la tournée sont accessibles gratuitement sur le site officiel www.bjork.com, reçoit à l'attention de l'artiste une salve d'applaudissements.
Devant nous une tenture filandreuse reconstituant une fresque végétale composée de graines, de bulbes et autres apex racinaires tels des cordons ombilicaux les reliant, masque la scène tandis que des cris d'oiseaux couvrant des bruits de jungle humide portent l'ambiance.
Les deux premiers morceaux se passant a tenture fermée, des figures animées y sont projetées et petit à petit, les franges comme des pistils s'ouvrent comme éclosent les fleurs pour dévoiler par jeu de lumière, Björk et des muses jouant de flûtes traversières, ondulantes au rythme des cils vibratiles des plantes diffusées en arrière-plan. Les plateformes qui composent le sol, sont soutenues par des décorations de tissu telles des lamelles de champignon et finissent de nous transporter dans ce contexte d'abondance végétale et de printemps
La présence d'instruments tels les flutes, trombones, harpes viennent classer ce spectacle dans le registre néo-classique et propulse Björk de star de la pop a diva ce soir, régissant le règne végétal et le monde des fées comme Titania chez Shakespeare. De fins films devant et au milieu de la scène permettent de plonger tous les protagonistes de cet opéra tantôt mélopée, tantôt alléluia dans un ensemble de fibres, de radicelles et de bourgeons projetés sur ces écrans invisibles. Au-delà d'un concert c’est une véritable ode au monde végétal, baignée de transformation, renaissance et mutation.
De loin le plus curieux des instruments sur scène : une table remplie d'aquariums dans lesquels des demi-calebasses flottent. En plus d'instrumentaliser l'écoulement de l'eau depuis les demi-sphères, le percussionniste les retourne et à l'aide de son maillet obtient ainsi au grés des dérives des bols sur la surface de l'eau, une batterie dont l’air emprisonné sous ces objets flottants donne un son sourd pour accompagner le chant cristallin qui emplit l’espace.
Un message projeté nous narrant un futur parallèle et possiblement salutaire pour notre planète piégée au milieu d’une époque industrielle toujours plus gourmande, nous laisse débarquer dans un nouveau monde peuplé d'hybrides de toutes espèces ou la technologie et la nature fonctionnent main dans la main.
Le décor est partout sur scène, l'habile jeu de lumières, de projections et de voiles se prêtant à merveille à recréer un monde onirique de vie, de croissance et de germination de toutes parts. Ce n’est pas un recueil de chansons mais une œuvre entière qui se déroule devant nos yeux. A la fin d'un cérémonial ancestral entouré par les instruments à vent, d'un "merci beaucoup" explosent des applaudissements endiablés qui ne cessent que devant le visage géant de Greta Thunberg qui avec la complicité de Björk nous incite à nous élever face à un ordre mondial en place qui n'a pas écouté avant, qui ne le fera pas plus dans l'avenir malgré toutes les belles promesses qui ont pu être évoquées et d'enfin non plus demander mais créer le "climate justice" nécessaire à notre survie, à celle des générations futures et à notre planète qui reste à ce jour notre seul foyer. Discours datant du début de la tournée il y’a 4 ans désormais mais encore plus d’actualité au fil du temps et largement applaudit par la salle entière qui là encore ne cesse qu'une fois la réapparition de l'artiste dans une seconde robe aussi improbable et indescriptible que la première.
Dans une sorte de cape inversée, entre conque et corolle rose nacrée la chanteuse continue de nous bercer, nous faire rêver, nous émouvoir par ces sons, ces images, ces chants avant de présenter tous les artistes sur scène et de nous exhorter à ne pas se retenir si l'envie de danser nous prenait pour cette dernière chanson. Ce que la salle petit à petit se meut à faire doucement pour finalement remplir les rangs, et former une marée plus haute qu'avant. La fosse se lève comme pousse l'herbe et ce gazon désormais friche, ondule au rythme des flutes et des percussions comme mût par les risées qui parcourent les champs.
Sur cette éclosion simultanée les franges florales se ferment sur ce concerto végétal.
Les oiseaux et le bruit des animaux nous accompagnent pour la sortie de salle dans un retour à la réalité inhabituel pour un concert qui finalement fût bien au-delà de cette classification.
Pour reprendre une pensée entendue à la sortie: "écouter un concert de Björk, ça ne donne pas envie de fumer, ça donne envie de planter un arbre". Alors à vos bèches !
Jason Pinaud
Photos : Santiago Felipe