On dit parfois que David Bowie avait déclaré que, pour faire une bonne chanson, peu importe l’instrumentation, ce qui compte, c’est qu’elle fonctionne avant tout en guitare-voix seuls. Manifestement, Maquina s’en fout.
Ça leur réussit plutôt bien d’ailleurs, à en juger par ce Prata (en écoute sur Bandcamp) de bon aloi qui est porté à notre connaissance par les incontournables Fuzz Club Records. Six titres d’autoroutes dance crade où beats lourds se jettent brutalement contre des murs de distorsion baveuse. La production ne fait pas dans la dentelle, bourrine, épaisse, massive. Le communiqué de presse nous précise d’ailleurs que le groupe jouant ces titres est un trio guitare-basse-batterie, « sans synthé », ce qui est une information pas si anodine : on jurerait en fait qu’ils sont beaucoup plus, étant donné qu’ils sonnent parfois comme un double DAF qui n’aurait pas perdu tous ses copains au fil des ans.
Mais le trio parvient à remplir parfaitement l’espace fréquentiel, et se met même en mode « y’en a un peu plus, je vous le mets quand même ». La batterie est chargée à bloc, bien en avant, propulsant une basse ultra-répétitive se présentant de front, offensive, sans aucun doute responsable de la transe dans laquelle on finit par être plongé. Derrière, la guitare se déploie, plus en retrait en terme de hiérarchie de volume, mais d’une envergure relevant quasiment de l’omniscience dans le spectre sonore ; c’est simple, elle est partout, un marais infini au-dessus duquel volent des générations de moustiques affamés.
Au-dessus de cette mélasse délicieuse, une voix surnage difficilement sans même réellement essayer d’attirer l’attention sur son immuable noyade, crie des trucs avec force delay et saturation ; l’écho rebondit sur la tourbe comme autant de ricochets fantomatiques. Les marécages ne sont pas des terrains fertiles au songwriting fleuri, ici il s’agit d’atmosphères et de danse macabre dans la gadoue. Prata n’est pas un album qui se chante, mais un album qui se remue : martelé, répété inlassablement, le rythme pénètre dans les peaux et invite autoritairement au mouvement. Ce bouillonnement s'inscrit d'ailleurs jusque dans la méthodologie de la création, puisque l'improvisation a sa place jusque dans le studio.
Crédit photo : Francisco Cabrita
C’est un autre fait étonnant, si certaines lignes de basse nous rappellent le Düsseldorf du début des années 80 comme si on y avait été (le titre "desterro" en particulier), Maquina est bien un groupe portugais ; autant dire qu’on ne ressent qu’assez peu le fond de l’air iodé qui fait l’arrière plan olfactif doucereux des pays océaniques. L’imaginaire visuel de l’auditeur, dont ces longues plages instrumentales favorisent l’épanouissement, s’en trouve perturbé, un temps d’adaptation est nécessaire pour cesser de s’imaginer déambulant dans une ville froide et brumeuse, à slalomer de nuit entre les rats et les tortues radioactives.
On choisit de garder la déambulation nocturne, on vire la brume et à la colorimétrie, on développe un jaune plus chaleureux ; la vision finit par fonctionner tout aussi bien. Dans ce schéma, la nappe de guitare omniprésente figure une chaleur étouffante, caniculaire, de celles qui ne redescendent pas lorsque le soleil se cache. On garde les tortues, parce qu’elles sont charismatiques et que l’on partage la même passion pour la pizza de sortie de concert, bourré à 2 heures du matin. Maquina fera la transition entre la salle punk et le club : lorsque les bouffeurs de taz s’acoquinent avec les buveurs de bourbon, les frontières tombent et les sueurs se mêlent.