Le réalisateur Baptiste Magontier s'est envoyé sur un double clip pour les groupes rouennais Dye Crap et Servo, que l’on peut dores et déjà considérer comme un petit chef d’œuvre de l’underground français. Mi-épique mi-burlesque, il met en scène une joute médiévale à mobylettes non-médiévales, dont l’intensité dramatique se nourrit de thématiques topiques telles que le deuil de l’enfance, les problèmes de voisinage ou les guitaristes en retard.
Un même scénario, celui d’un contentieux entre deux amis d’enfance, voisins et fans de chevalerie, est traité selon deux points de vue différents. L’exercice est audacieux autant que périlleux, mais la réussite est totale : la façon dont chacune des vidéos sied à l'identité de chacun des groupes est bluffante - on a même dû vérifier s'il s'agissait du même réalisateur, et du coup, oui, c'est le cas. Le fun de l'outsider propre à Dye Crap est parfaitement retranscrit dans l'atmosphère cartoonesque, naïve quoique teintée de mélancolie de "Cheers Neighbor", tandis que la noirceur franchement étouffante que produit Servo n'a jamais été plus oppressante que dans "Glitch 2.1". Un soin est même apporté à différencier les typographies et les génériques pour créer un objet autonome.
Dans le même temps, les images communes aux deux vidéos se lisent complètement différemment selon le son qui y est associé, en une variante de l’effet Koulechov qui sert encore plus le propos narratif. Chaque groupe a son aura, qui vient étoffer le caractère des personnages, mais se trouve aussi éclaircie par le procédé, renforcée par le contraste. Bon, on est conquis, quoi : c’est un peu le clip ultime, qui agit comme une œuvre à part entière sans n’être qu’un vague amas d’images soutenant un single, et qui contribue quand même à nourrir l’identité des deux groupes. Un travail franchement enthousiasmant de la part de Baptiste Magontier qui avait déjà réalisé des clips pour Dye Crap, ceux de "Good Days Again" et "Homesick", et qui est également le frère de Hugo, batteur de Servo.