Chapiteau. Village. Petite jauge. Bénévoles au poil. Bière au Génépi. On ne va quand même pas réécrire l'exacte même introduction tous les ans, qui répète à chaque édition pourquoi on décide de s'y pointer, et pourquoi, qu'on aime les groupes présents ou pas, on reviendra l'année suivante, si ? Regarde plutôt le lien là, y'a déjà tout dedans : le lien là. Tu as compris, on y retourne toujours avec plaisir. Guitare en Scène, ce sont aussi des programmations thématiques proposant quatre jours bien différents. Sans journée metal - comme l'an dernier - mais avec quelques interrogations quant à l'affiche. On y répondra dans les jours à venir, ce jeudi résolument rock semblant plutôt gage de qualité.
Gage de qualité... quoique. L'âge avancé des têtes d'affiche peut légitimement faire douter, voire craindre le pire (il est temps de retirer papy Biden, mais c'est un autre débat). Voyez par vous-même la moyenne d'âge de quelques-uns : John Fogerty, 79 ans ; Seasick Steve, 73 ; Francis Rossi, John "Rhino" Edwards et Andy Brown, respectivement 75, 71 et 78 ans. Tous des pantins de naphtaline (bravo si t'as la ref). Même les Inspector Cluzo, fierté du pays du foie-gras et de la corrida, ont déjà 18 ans de bouteille(s). Charge à Paddang, groupe du tremplin jouant ce soir de représenter une facette plus actuelle du rock.
Paddang - Scène Village
Le trio ouvre le festival, et comme tous les ans c'est sous un soleil de plomb. On se souvient de One Rusty Band ou The Prize il y a deux ans, dont le guitariste avait même attrapé une insolation : c'est un problème récurrent. S'il y a bien quelques degrés en moins par rapport à la canicule d'il y a deux ans - et tant mieux -, le ressenti reste celui d'une chaleur accablante. Pour le public déjà, bien clairsemé et qui s'agglutine dans les rares zones d'ombre au détriment de la barrière. Pour le groupe également : on voit le batteur tirer la langue avant la fin du premier titre et bien rapidement les serviettes pour essuyer la transpiration et se rafraîchir trouvent le chemin des visages. À l'heure où le festival communique sur le fait que, grâce au chapiteau tous les concerts sont garantis même en cas de grosse pluie, ce serait bien de prévoir une solution pour fournir un minimum d'ombrage aux groupes tremplin sur la scène Village.
Paddang vient de Toulouse à l'instar de Damantra l'an dernier qui a d'ailleurs gagné le tremplin. Doit-on y voir un signe ? Si on attendra dimanche pour savoir si la ville rose est désormais le nouveau pourvoyeur de rock émergent à St-Julien-En-Genevois, le Sud est à l'honneur aujourd'hui (vous verrez pourquoi au fil du texte). Le trio évolue dans un style souvent représenté dans les groupes du tremplin, le rock psychédélique, celui qui groove pas mal, avec des rythmiques dansantes qui font taper du pied. Avec une petite subtilité : si l'on retrouve une formation des plus classiques (basse/batterie/guitare), la particularité réside au niveau vocal. Pas de chanteur principal ici, qui se mettrait en avant avec une voix bien marquée ; on est plutôt dans des chœurs scandés, plus proches du garage/punk, voire post-punk. Tout le monde y va de sa voix, même si le lead vocal est surtout partagé par Thomas (guitariste) et Guirec (bassiste). L'association est assez originale et le rendu final est du genre à retourner la scène ; c'est du moins ce qui se passerait sans ce cagnard, à en juger par l'énergie que dégage le groupe. Aux côtés des trois musiciens qui envoient tout ce qu'ils peuvent, deux dinosaures sur les amplis regardent vers la gauche. Un clin d’œil au scrutin en cours à Paris ? Une direction que n'ont manifestement pas vraiment suivi les autres dinosaures (ceux de l'Assemblée), mais ça on ne le saura qu'après.
La Rickenbacker bien ronde de Guirec est régulièrement en avant dans le mix et impose sa patte dans la construction des compositions. La guitare de Thomas joue avec beaucoup de variété : les parties accompagnant les couplets restent relativement douces et mélodiques pour mieux hurler dans les départs en solo avec le plein usage d'effets divers. Dans ces moments-là ça joue, et bien ! On assiste à de beaux développements, de l'expérimentation pour atteindre le son voulu, y compris directement accroupi sur la pédale d'effets. Vous l'aurez compris, sans préjuger de la qualité du show que proposent les deux autres groupes du tremplin, on tient déjà là un prétendant très sérieux.
Seasick Steve - Scène Couverte
Par fatigue, n'y voyez pas un concert emprunt d'une quelconque mollesse. Il s'agit plutôt d'une attitude scénique, de l'observation de ce visage marqué par la vie et sur lequel toute une histoire se raconte. Le parcours de Steven Gene Wold se veut atypique, ce dernier ayant été en contact avec nombre des plus grands - de Janis Joplin à Kurt Cobain - et ne s'étant accaparé la lumière qu'au milieu des années 2000. Quand les bluesmen nous content par leurs albums leurs ressentis en direct, couchant sur papier chacune de leurs (més)aventures, Seasick Steve opère l'action contraire : il prend le temps de vivre, d'aimer, de souffrir avant de coucher ses joies et ses peines sur la partition, de celles qui s'écoutent sur pizzas au réglisse uniquement (cf l'intitulé de l'avant-dernier album, Only on vinyl, en 2022). C'est probablement pour ça que son râle est aussi puissant et que ce soir, le rauque de sa voix nous emporte.
L'invitation au voyage est complète lorsqu'elle opère un dépaysement. Assis sur l'avant-scène, seulement accompagné d'un batteur qu'il place au même niveau que lui, Seasick Steve martèle sa guitare au corps carré qui nous rappelle celle de Bo Diddley. Quatre cordes détendues qui sonnent comme six, le son est gras. Nous voyons passer plusieurs modèles, Seasick déployant sa large collection, chacune de ses guitares correspondant à l'humeur du moment. Le tout reste définitivement blues, de celui qui se joue en petit comité, généralement familial, sur le perron d'une baraque en bois pouvant à tout moment être rasée par un ouragan. En fermant les yeux, on se croirait dans le Treme, ou dériver sur les rivières de Géorgie, prêts à rencontrer les dépeceurs de touristes de Délivrance - une sensation que nous a déjà procuré un autre duo, celui de One Rusty Band l'année dernière. À ceci près que le timbre de Steve n'a rien des dangereux mômes du pays de John Boorman. Rauque, mais chaleureux, le musicien cabossé est armé de bienveillance et nous la partage. Pour lui et son acolyte de scène, il s'agit de jouer pour survivre, revendiquer ses terres musicales et faire vivre son histoire. Des thématiques très américaines qui ne semblent pas issues, comme chez beaucoup de représentants actuels de la country par exemple, d'une volonté mercantile.
Avec son air hagard et sa barbe longue comme il faut, Seasick Steve a tout du remplaçant idéal pour Dusty Hill chez ZZ Top mais préfère tracer sa route seul et faire vivre son blues qu'aller jouer la grosse machinerie huilée mais fade avec la bande de Billy Gibbons. Tant mieux pour nous, surtout quand sa route le fait passer par Guitare en Scène pour une journée au pays du Far West que John Fogerty clôture quelques heures après.
Status Quo - Scène Couverte
Status Quo attaque son set avec presque 10 minutes d'avance sur l'horaire, sucrant au passage l'intro préparée par nos confrères Samuel Degasne (Une Chanson l'Addition) et Belkacem Bahlouli (Rolling Stone). Une situation qui se reproduira, à commencer par le set suivant, celui du père Fogerty. En même temps, après plus de soixante ans de carrière à fournir un boogie-rock extrêmement efficace mais aussi très répétitif, on se demande bien qui dans le public peut encore avoir besoin d'une présentation pour un tel groupe. Status Quo n'a rien à prouver et se lance sur son autoroute.
"Caroline", "Rain", "Little Lady" : l'énergie est là et le groupe répond encore bien présent après toutes ces décennies de tournées. La formule intemporelle du combo fait toujours mouche même si l'audace dans la setlist est toute relative, et c'est un euphémisme. La seule chose qui peut surprendre est la répartition des parties vocales de feu Rick Parfitt - dont l'énergie manque -, Rhino assurant les lignes de "Rain" avec une intonation crade, presque punk. Ça contraste fort avec le chant éternellement propret de Francis Rossi. Avant de lancer "Softer Ride", celui-ci annonce un set un peu raccourci, écourtant une prise de parole sur la politique anglaise - c'est dommage, on aime bien entendre que les Conservateurs se sont pris une tôle -, enchaîné avec le titre le plus récent du set, "Beginning Of The End".... qui date d'In Search Of The Fourth Cord, 2007 déjà. Depuis les Anglais ont sorti 5 albums. Quand on parle de manque d'audace ! On l'aimerait bien aussi, ce quatrième accord !
Fidèle aux setlists depuis aussi longtemps que nos cerveaux fatigués arrivent à s'en rappeler, le medley est bien sûr au rendez-vous. Puisque la discographie de Status Quo tourne presque exclusivement autour des mêmes accords, quand ce ne sont pas les mêmes riffs, autant les condenser pour les renforcer. "What You're Proposing", "Somethin' Bout You Baby I Like", "Rollin Home", "Again And Again"... on est parti pour un bon moment d'énergie. Naturellement, la transition avec "The Oriental" fait mal tant le titre est mou. De même pour le sempiternel "In The Army Now", tube que le groupe pourrait retirer des concerts sans qu'il ne nous manque. Heureusement, ce dernier est pas mal écourté pour retourner vers une fin de set sans erreur, terminée par leur version du "Rocking All Over The World" de John Fogerty, que l'icône américaine ne manquera pas d'interpréter à son tour.
Si l'exécution est toujours au poil après plus de 60 ans de carrière, le poids des années se fait quand-même sentir dans la performance vocale de Francis Rossi. Malgré des lignes de chant simples qui lui ont permis de tenir aussi longtemps, des fautes de justesse se remarquent, notamment dans les aigus. Mais le tout tient bon grâce aux camarades de scène. Andy, doyen du groupe, prend lui aussi sa part en remplacement de Parfitt, comme dans "Whatever You Want". En place depuis 2017, Richie Malone est en partie responsable de ce nouveau souffle, qui ne semble pas annoncer la fin pour tout de suite.
John Fogerty - Scène Couverte
Pour le premier concert du festival qui bénéficie d'une introduction vidéo, les lumières du Chapiteau laissent place à celles de l'écran géant d'arrière-scène où une interview récente de John Fogerty apparaît ; il y raconte sa lutte pour obtenir les droits des morceaux de Creedence Clearwater Revival. Un combat de longue haleine étalé sur 50 ans durant lequel l'affaire devient même un alinéa de jurisprudence validé par la Cour Suprême. Autant dire que le gars est déter' et qu'à 79 ans, la joie de pouvoir enfin jouer les titres qu'il a lui-même composés sans avoir à payer des royalties à un label véreux se ressent. Quand le bougre débarque et gratte les premiers accords de "Bad Moon Rising", on croirait presque qu'il la joue pour la première fois depuis une éternité.
C'est surtout l'énergie déployée, pour un artiste de cet âge à qui on aurait volontiers pardonné le sous-régime, qui nous met sur les rotules. Fogerty court, s'égosille, sa générosité est sans faille. Évidemment, la fatigue s'installe, les notes ne sont plus aussi justes. À mi-concert, lorsqu'il s'agit d'entonner "Have You Ever Seen The Rain", John Fogerty ne chante plus mais crie pour parvenir à sortir le refrain aigu de son fond de gorge. Il y a ici quelque chose de sincère qui se dégage. Quand Bono, dans un déluge d'effets visuels plus destinés à nous émerveiller qu'à nous rappeler la brutalité des paroles, chante "Sunday Bloody Sunday" aujourd'hui, on se doute que le massacre de Derry est bien loin pour lui. C'est d'ailleurs souvent là la limite des artistes engagés. Mais quand Fogerty assène "Fortunate Son" avec énergie, la colère de celui qui n'a toujours pas pardonné à son pays d'avoir été combattre au Viêtnam, accompagné d'images plus qu'explicites en fond, semble intacte. Une rage peut-être fausse mais n'empêche qu'on y croit. Ce morceau est bien le sien et ne peut être récupéré, encore moins par un Donald Trump pensant l'utiliser pendant ses meetings avant de se faire interpeller par l'intéressé pour le sommer d'arrêter. Critiquer l'armée et ses privilégiés pour se faire récupérer par le fasciste en chef n'est pas au programme.
On pourrait se laisser distraire par un photographe zélé exigeant qu'on fasse un paragraphe complet à sa gloire mais nos yeux sont rivés vers la scène, le charisme phéromonal du maître de cérémonie attirant tous les regards. Au point où malgré le caractère familial de la formation et l'accent qu'y met Fogerty lors des présentations, le public n'a d'yeux que pour lui. Mais si la saveur des morceaux vieux d'un demi-siècle se retrouve ce soir et parvient à nous faire une seconde fois voyager dans le bayou - on revient à ce que l'on disait précédemment concernant Seasick Steve -, c'est aussi et surtout parce que musicalement, tout le monde est au rendez-vous. CCR ayant un nombre bien conséquent de titres cultes que tout le monde reconnaît, le public ne peut que passer un moment mémorable, ambiancé par les rythmes country rock enivrants quand il ne chante pas "Lookin' Out My Back Door" en pensant aux frères Coen.
Si vous vous demandez pourquoi la Terre est plate, demandez-vous plutôt pourquoi nous n'avons pas de photos de John Fogerty. La raison est commune : quand il s'agit de balancer des théories hasardeuses ou d'imposer des contrats dégueulasses refusant tous droits d'exploitation à nos photographes, il y a toujours des cons pour répondre présent. #notallamericans
The Inspector Cluzo - Scène Village
Photos : Stéphane Chollet/Luc Naville/Caroline Moureaux/Alexandre Coesnon
Toute reproduction interdite sans l'autorisation du photographe
Textes : Intro + Paddang + Status Quo + The Inspector Cluzo : Félix Darricau
Seasick Steve + John Fogerty : Thierry de Pinsun