Le projet commun de Bruce Soord (the Pineapple Thief) et Jonas Renkse (Katatonia) avait tout pour faire envie, au moins sur le papier. Car malgré des carrières quasi impeccables, force est de reconnaître que les deux formations se sont plus récemment engagées sur des pentes glissantes. Katatonia n'est visiblement plus intéressé par le métal et cherche désespérément à réaliser un crossover entre ses aspirations passées et actuelles, ce qui aboutit à une musique le cul entre trois chaises, incapable de se projeter vers l'avenir car prisonnière d'un passé dont elle n'ose pas s'affranchir suffisamment. The Pineapple Thief, quant à lui, s'est peu à peu dirigé vers la simplification à outrance de ses compositions après avoir écrit quelques unes des plus belles pages du progressif contemporain. Jamais démonstratif, toujours d'une grande richesse émotionnelle, sa musique n'avait nullement besoin de se diriger vers une pop insipide. Une chose est sûre, au vu de leurs récents travaux, les deux musiciens ont des aspirations et envies communes.
On reproche souvent à des groupes d'avoir tellement changé d'identité qu'ils auraient mieux fait de changer de nom. Une remarque plus ou moins justifiée selon les cas, mais il est vrai qu'un changement de patronyme peut permettre de faire table rase du passé et de s'offrir le luxe d'une vraie page blanche. C'est précisément le cas ici. A l'écoute de cet album, ni métal ni progressif pour un sou, il est évident que les deux compères avaient terriblement besoin de puvoir s'exprimer de façon différente que dans leurs formations respectives (même si l'on trouve bien sûr quelques réminiscences mélodiques ici et là). La musique de Wisdom of Crowds se rapproche bien plus de la rencontre entre Depeche Mode et Radiohead qu'autre chose. Les arrangements sont élégamment ciselés, parfois limite électro, l'ensemble est volontairement calme et épuré, comme si avec l'âge, les deux musiciens avaient ressenti le besoin de faire une musique moins démonstrative, de se reconcentrer sur l'essentiel. Et si l'album n'est pas exempt de tout défaut, l'une de ses plus grandes qualités est d'offrir un écrin parfaitement adapté à la voix de Jonas Renkse.
Le fait que l'accent soit mis sur l'ambiance (toujours globalement mélancolique) plutôt que la puissance et le côté épuré des compositions permettent au timbre plaintif dh chanteur de devenir la clé de voûte de compositions qui le mettent particulièrement en valeur ("Pretend"). L'album explore les contrées électro/goth/dark wave sans complexes, enfin débarassé de toutes obligations morales, et s'avère être une réussite étonnante. Etonnante car au vu des dernières réalisations des deux hommes avec les formations qui les ont fait connaître, ce n'était pas forcément gagné. Et si toutes les compositions ne sont pas aussi prenantes les unes que les autres, si l'album recèle assurément quelques longueurs, rappelons qu'il ne s'agit encore que d'un premier jet. Un premier jet qui, on l'espère, en appellera d'autres. A dire vrai, les deux musiciens ont l'air tellement épanouis, les compositions sont tellement sincères qu'il est légitime de se poser des questions quant à l'avenir de leurs autres groupes. Ou mieux, espérer que du fait de l'existence de ce projet qui pourrait servir d'exutoires à leurs envies de changements, chacun se sente regonflé à bloc et puisse se concentrer à nouveau sur ce qui a fait le succès de ce qui reste encore (pour combien de temps en cas de succès de ce projet ?) leurs formations principales.